C'est que nombre de gestionnaires souffrent d'un biais inconscient qui est favorable aux femmes, selon une étude. (Photo: Jason Goodman pour Unsplash)
MAUDITE JOB! est une rubrique où Olivier Schmouker répond à vos interrogations les plus croustillantes [et les plus pertinentes] sur le monde de l’entreprise moderne… et, bien sûr, de ses travers. Un rendez-vous à lire les mardis et les jeudis. Vous avez envie de participer? Envoyez-nous votre question à mauditejob@groupecontex.ca
Q. – «J’ai l’impression que notre boss a tendance à faire des commentaires plutôt positifs aux femmes de l’équipe et des commentaires plutôt négatifs aux gars. Et ça me dérange, car ça envoie le message que nous ne sommes pas tous sur le même pied d’égalité. Comment aborder ce point? Et surtout, comment ne pas alors passer pour le sexiste de service?» – Guy
R. – Cher Guy, parler d’un sujet sensible avec son boss n’est jamais chose aisée. Surtout lorsqu’il est concerné au premier chef. Voilà pourquoi il vous faut impérativement soigner la préparation de l’entretien que vous voulez avoir avec lui.
1. Validez votre impression
Vous me parlez d’une impression. Cela ne suffit pas pour vous avancer à ce sujet, il vous faut des faits. Par exemple, cela peut consister en une anecdote, soit un moment précis où il a complimenté une collègue et négligé de louer le travail d’un collègue. Autre exemple: cela peut revenir à noter dans un carnet les commentaires qu’il a faits à voix haute, durant une semaine entière, concernant vos collègues féminines et vos collègues masculins; puis à souligner la disproportion entre les uns et les autres.
2. Anticipez sa réaction
Critiqué pour une chose à laquelle il ne s’attend sûrement pas, votre boss risque fort de réagir vivement. Un peu comme s’il venait d’être blessé. D’où la nécessité pour vous de bien choisir vos mots et d’anticiper ce que vous pourriez lui dire, en fonction de différentes sortes der réactions (par exemple, en cas de déni, ou bien en cas de contre-attaque sur un autre sujet).
3. Choisissez le bon moment
Prenez rendez-vous avec lui, de préférence à un moment calme de la semaine pour lui. Car l’idée n’est pas de le faire sortir de ses gonds, mais bel et bien de l’alerter sur un angle mort dans sa façon de gérer l’équipe et de l’inviter à corriger le tir à ce sujet.
4. Soyez respectueux
Ne vous énervez pas vous-même. Ne sortez pas de mot blessant. N’accusez pas.
Contentez-vous d’exprimer le plus sobrement possible votre ressenti, puis les désagréments que cela représente pour vous dans votre quotidien au travail. Mieux, indiquez-lui les répercussions potentielles que son attitude peut avoir sur le bien-être et la performance de l’équipe.
Soulignez-lui au passage que son influence est primordiale au sein de l’équipe – une belle marque de respect – et qu’il lui suffirait donc d’avoir conscience de son biais inconscient pour que la donne change d’elle-même.
5. Ne vous perdez pas dans les détails
Veillez à ce que votre message soit bref et efficace, car c’est comme ça qu’il passera le mieux. Rien ne sert de passer des heures à tenter de lui prouver votre point et à argumenter péniblement. Non, mieux vaut présenter les faits, parler des problèmes que cela occasionne et, le cas échéant, proposer une piste de solution. Et ce, en soulignant combien cela aura un impact positif pour l’ensemble de l’équipe, et donc pour l’entreprise.
Maintenant, un dernier point, Guy, qui vous permettra peut-être de bien vous en sortir si jamais votre boss en venait à se braquer durement, convaincu qu’il est qu’il n’a absolument aucun biais sexiste, ni en faveur des femmes ni en faveur des gars. Il se trouve, en effet, qu’une récente étude a mis au jour le fait que les gestionnaires ont, en général, un a priori positif envers les femmes, même s’ils n’en ont pas conscience. Explication.
Une équipe de trois chercheuses pilotée par Lily Jampol, directrice du cabinet-conseil américain ReadySet, a mené différentes expériences qui lui a permis de découvrir que, lors des entretiens d’évaluation de performance, «les femmes sont plus susceptibles que les hommes de recevoir des commentaires positifs de leurs supérieurs».
Interrogés à ce sujet, les gestionnaires se sont tous montrés catégoriques: non, en aucun cas ils n’avaient donné plus de commentaires positifs aux femmes qu’aux gars. Pourtant, l’analyse de leurs réponses a révélé que les commentaires faits aux femmes:
– avaient un ton plus positif;
– comprenaient un pourcentage plus élevé de mots associés à des émotions positives;
– et incluaient un pourcentage inférieur de mots associés à des émotions négatives.
Les trois chercheuses ont creusé dans leurs données et interrogé les participants en profondeur. Résultat? Les gestionnaires se montrent plus gentils avec les femmes en raison du stéréotype selon lequel les femmes sont elles-mêmes «plus gentilles», voire «plus chaleureuses».
Qu’est-ce à dire? Que les gestionnaires sont inconsciemment incités à être gentils avec les membres féminins de l’équipe juste parce qu’il s’agit de femmes. Et un peu plus rudes envers les membres masculins parce qu’ils ont a priori, disons, la couenne plus épaisse.
Autrement dit, votre impression est sûrement juste, Guy. Il y a de fortes probabilités que votre boss, comme nombre de gestionnaires, souffre d’un a priori positif envers les collègues féminines. Et cela représente au moins deux gros problèmes, selon l’étude:
– Ça peut nuire aux femmes. «Si une plus grande gentillesse et une plus grande positivité envers les femmes enveloppent la franchise des commentaires, cela peut inhiber la capacité des femmes à apprendre et à anticiper leurs résultats futurs», est-il noté.
– Et ça peut nuire aux hommes. «Des commentaires plus durs envers les hommes peuvent diminuer le dévouement et le bien-être des hommes au travail. Cela peut aussi favoriser l’émergence d’une culture organisationnelle marquée par une masculinité toxique, laquelle est néfaste pour tous les genres.»
Bref, nos biais cognitifs peuvent se révéler être une véritable plaie. D’où l’importance d’avoir le cran de s’y attaquer dès que l’occasion nous en est donnée. Car c’est comme cela que, tous et chacun, nous pourrons gagner en bien-être et en efficacité dans notre quotidien au travail.