Il existe un moyen subtil de décoincer son doigt... (Photo: 123RF)
MAUDITE JOB! est une rubrique où Olivier Schmouker répond à vos interrogations les plus croustillantes [et les plus pertinentes] sur le monde de l’entreprise moderne… et, bien sûr, de ses travers. Un rendez-vous à lire les mardis et les jeudis. Vous avez envie de participer? Envoyez-nous votre question à mauditejob@groupecontex.ca
Q. – «Cela fait trois mois que je suis gestionnaire. Tout se déroule bien pour moi, l’équipe m’accepte et me respecte, même chose avec les autres gestionnaires. Toutefois, je bute sur un problème: la hiérarchie. La haute direction dit non aux demandes des employés et veut que ce soit moi qui porte le chapeau et les membres de mon équipe veulent que je leur obtienne des concessions de la part de la haute direction. Comment me sortir de ce guêpier?» – Zack
R. — Cher Zack, vous êtes en train de vivre le paradoxe dans lequel évoluent aujourd’hui nos organisations. Comme l’explique Henry Mintzberg, professeur de management à l’Université McGill, dans son livre «Gérer dans l’action» (Les Éditions Transcontinental, 2014), le passage du 20e siècle au 21e siècle a vu «une évolution de la gestion “contrôlante” vers la gestion “engageante”»: «Bon nombre de “subordonnés” sont devenus des “collaborateurs” et plusieurs fournisseurs sont maintenant des partenaires, note-t-il. Il y a eu un changement correspondant des styles de gestion, qui ont migré du contrôle vers la persuasion, de la direction vers la liaison, de l’habilitation vers l’inspiration.»
Le hic? C’est que nous sommes toujours, en ce début de 21e siècle, dans la phase de transition d’un style à l’autre. Certes, notre cœur nous dit d’adopter la gestion engageante, mais notre tête — bourrée de vieux réflexes — nous dit d’user de gestion contrôlante dès lors que nous tenons les rênes du pouvoir. Parce que nous avons grandi dans un univers professionnel contrôlant. Parce que nous sommes issus d’un système éducatif contrôlant. Parce qu’il est toujours pénible de se débarrasser de «bonnes vieilles habitudes».
La bonne nouvelle, c’est qu’il est possible de retirer son doigt coincé entre l’arbre et l’écorce, c’est-à-dire d’accélérer la transition, à notre petite échelle. Henry Mintzberg estime en effet qu’il appartient au gestionnaire de devenir l’agent du changement. Il lui suffit de se mettre dans la peau d’un leader engageant, c’est-à-dire d’un gestionnaire «qui met la main à la pâte afin de faire participer les autres». «Il doit faire preuve de respect, de confiance, d’attention, d’inspiration et surtout d’écoute», indique-t-il, en soulignant que sa qualité principale doit être «l’empathie».
Bien entendu, adopter une telle posture dans une organisation dont la culture est contrôlante va déclencher des heurts. Pour éviter que ces derniers ne deviennent des malheurs, il convient de respecter certaines règles de conduite, selon le professeur de l’Université McGill que le magazine américain Fast Company considère comme le «Mick Jagger du management»:
— Se montrer engageant, c’est «faire confiance et obtenir le respect des autres».
— Être un gestionnaire engageant, c’est «libérer l’énergie positive naturelle des gens». Par conséquent, la gestion, c’est «l’engagement fondé sur l’esprit critique et ancré dans le contexte». Bref, ça revient à se montrer pertinent et efficace.
— Le gestionnaire engageant devient important à partir du moment où il aide les autres à devenir importants.
— Il faut considérer l’organisation non plus comme une structure hiérarchique pyramidale, mais plutôt comme un réseau de connexions, où chaque point correspond à un employé dont l’importance est déterminée par le nombre et la qualité des liens qu’il a avec les points qui l’environnent. Le gestionnaire engageant se montre efficace dès lors qu’il est bien connecté au réseau ; il ne s’enferme pas dans une tour d’ivoire.
— Le gestionnaire engageant fait naître des stratégies à partir de son réseau de connexions. Car les «points» auxquels il est connecté sont naturellement disposés à s’engager à fond dans la résolution de petits problèmes communs, lesquels peuvent se transformer en grandes initiatives collectives. C’est que «l’exécution alimente la formulation», affirme Henry Mintzberg.
L’idée est donc, cher Zack, de voir votre quotidien au travail autrement. Vous devez vous considérer comme un point central du réseau de connexions dans lequel vous œuvrez tous les jours et veiller à faire vibrer harmonieusement les liens qui vous relient avec les uns et les autres, qu’il s’agisse d’un membre de votre équipe, du directeur de la comptabilité, ou encore de votre boss immédiat. Tous ces liens sont là pour vous aider à remplir mission après mission, et cela se fera tout naturellement si vous vous souciez de continuellement «nourrir» les liens impliqués, par exemple, en invitant un employé à recourir à l’un de ses talents propres qu’il a peu d’occasions d’exprimer au travail.
Oui, l’idée est tout bonnement de vous montrer, comme le résume Henry Mintzberg, «simple, naturel et sain» au travail. Jour après jour, semaine après semaine, mois après mois.