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Parler de votre cancer à votre boss, bonne ou mauvaise idée?

Olivier Schmouker|Publié le 03 août 2023

Parler de votre cancer à votre boss, bonne ou mauvaise idée?

Garder le silence sur son cancer afin de préserver sa carrière est un réflexe compréhensible, mais pas nécessairement judicieux. (Photo: Motoki Tonn pour Unsplash)

MAUDITE JOB! est une rubrique où Olivier Schmouker répond à vos interrogations les plus croustillantes [et les plus pertinentes] sur le monde de l’entreprise moderne… et, bien sûr, de ses travers. Un rendez-vous à lire les mardis et les jeudisVous avez envie de participer? Envoyez-nous votre question à mauditejob@groupecontex.ca

Q. – «Le diagnostic m’est tombé dessus comme un coup de massue: j’ai le cancer. Je suis en état de travailler et compte l’être le plus longtemps possible. Mais je me demande si je devrais en aviser mon employeur. J’ai peur d’être discriminée, consciemment ou pas: regard apitoyé des collègues, gestionnaire qui confie mes dossiers à d’autres, promotion qui me passe sous le nez, etc. Que faire? En parler, ou pas?» – Lysanne

R. – Chère Lysanne, pour commencer, permettez-moi de vous envoyer tous mes vœux de prompt rétablissement. Prenez bien soin de vous, et si le travail peut y contribuer, alors oui, continuez de vous épanouir dans votre quotidien au travail.

Ensuite, un point important: un employé «n’a pas, à proprement parler, d’obligation légale d’informer son employeur de l’existence d’un cancer», m’a indiqué Jonathan Garneau, avocat spécialisé en droit du travail et de l’emploi chez Langlois Avocats. Vous pouvez donc très bien garder le secret à ce sujet, aussi longtemps que vous le souhaiterez. Cela ne pourra en aucun cas vous être reproché, si jamais cela venait malgré tout à se savoir.

Maintenant, la question est de savoir s’il y a un risque sur le plan professionnel de confier aux autres qu’on a le cancer, ou pas. Or, une étude menée récemment en France par l’Observatoire sociétal des cancers a mis au jour le fait que 21% des personnes interrogées disent avoir connu des difficultés dans la poursuite de leur carrière après l’annonce de leur maladie.

Par exemple, cinq années après, seulement la moitié d’entre elles avaient gardé le même emploi. Les autres avaient soit préféré changer d’employeur (en raison notamment du changement d’attitude des collègues, ou encore de la diminution des responsabilités attribuées par le gestionnaire immédiat), soit carrément perdu leur emploi et dû en trouver un nouveau ailleurs.

Autrement dit, 1 fois sur 5, ça se passe mal pour la personne qui dit la vérité à son employeur. Et 1 fois sur 2 cela se traduit par un changement d’emploi.

Faut-il pour autant en conclure qu’il vaut mieux taire la vérité? Ce n’est pas si simple que ça.

La divulgation de la maladie peut devenir difficile à éviter. Par exemple, illustre M. Garneau, s’il vous faut vous absenter pour raison médicale, l’employeur peut exiger la présentation d’un billet médical; il saura dès lors la vérité. Autre exemple: si l’évolution de la maladie vous empêchait d’effectuer certaines de vos tâches, ou à tout le moins vous amène à les accomplir avec une efficacité moindre au point de représenter un risque pour vous-même ou pour vos collègues, il serait a priori judicieux d’aviser votre employeur de votre maladie. Idem, poursuit l’avocat, si vous en venez à faire une demande en assurance invalidité, l’employeur sera inévitablement informé de la nature de l’invalidité.

Ce n’est pas tout. Cacher la vérité vous empêcherait de faire jouer une obligation que l’employeur a envers tout employé présentant un handicap (ce qui inclut une maladie comme le cancer), à savoir «l’obligation d’accommodement raisonnable», indique M. Garneau. Cela concerne des mesures visant, entre autres, à faciliter les absences pour traitement, ou bien à alléger certaines tâches. Cela vous éviterait de planifier des traitements pendant les vacances (un classique!), d’organiser des rendez-vous médicaux sur l’heure du lunch et de vous accorder en cachette des microsiestes dans un coin retiré du bureau. «C’est que ne pas révéler sa pathologie peut virer à l’exercice d’équilibriste», estime l’avocat de Langlois Avocats.

Alors, que faire? Se taire ou dire la vérité? Mon premier conseil est de vous renseigner discrètement sur d’éventuels cas précédents: il se peut fort bien que vous ne soyez pas la première à contracter cette maladie, et vous saurez ainsi comment cela s’est passé auparavant pour les autres. Vous saurez dès lors s’il peut être périlleux pour vous de dévoiler la vérité, ou pas.

Le second est très simple: si cela se passe mal, en général, pour 1 employé sur 5 qui dit la vérité, ça signifie également que cela se passe relativement bien 4 fois sur 5. Statistiquement parlant, 80%, ça me semble parfaitement jouable.

Vous ne devriez donc pas avoir peur de miser sur la transparence, si jamais votre préoccupation principale est l’évolution de votre carrière. Car les risques sont minimes que cela vous desserve. Bien au contraire, me semble-t-il, cela peut vous servir de multiples façons, de manière aussi inattendue qu’inespérée: une collègue que vous connaissez peu ou prou peut se rapprocher de vous pour finir par vous confier qu’elle a déjà eu le cancer, et vous offrir un soutien inestimable; le service des RH peut vous dénicher des aides dont vous ignoriez l’existence; votre gestionnaire réputé pour sa dureté et sa froideur peut soudain faire preuve d’une empathie formidable et améliorer votre quotidien au travail; etc.

Bref, Lysanne, réfléchissez-y à deux fois si vous envisagez de vous alourdir du fardeau du secret. Vous avez déjà un poids sur les épaules, alors à quoi bon en ajouter un autre?