Mêmes les tâches les plus rudes peuvent contribuer au bien-être de l'employé, pourvu que celles-ci aient du sens. (Photo: Jesse Orrico pour Unsplash)
Q. — «Je n’arrête pas de voir dans les médias que lorsqu’un employeur améliore le bien-être des employés, cela se traduit presque automatiquement par une amélioration de la productivité individuelle et collective. C’est donc tout bénéfice pour l’employeur. Mais alors, pourquoi si peu d’employeurs se soucient vraiment du bien-être de leurs employés (surcharge de travail, stress continuel, burnout, etc.)?» – Todd
R. — Cher Todd, vous soulevez-là un point fondamental. Les études scientifiques pullulent pour dire que le bien-être a un réel impact sur la productivité; ce point est aujourd’hui incontestable. Comment se fait-il donc que si peu d’employeurs recourent à ce levier? Cela paraît a priori totalement illogique.
Henrik Bresman est professeur de comportement organisationnel à l’Insead. L’essentiel de ses travaux de recherche porte justement sur ce mystère managérial. Et ses conclusions sont littéralement fascinantes. Regardons ça ensemble.
Selon lui, de nombreuses entreprises utilisent des mesures de productivité traditionnelles pour évaluer la valeur que les employés apportent à l’organisation. Ces mesures sont tangibles et quantifiables. Elles sont basées sur les résultats enregistrés par chacun et par tous, en tenant notamment compte de la qualité du travail produit ainsi que du respect des délais et du budget. Et la vaste majorité des gestionnaires s’appuient uniquement sur ces mesures chiffrées pour déterminer les promotions, les augmentations de salaire et autres primes de performance.
Le hic? C’est que ne considérer que les chiffres amène à occulter l’humain, et ce faisant l’importance du bien-être de celui-ci. On peut en arriver à des extrêmes comme celui atteint par Qu Jing, la directrice des relations publiques de Baidu, le Google chinois. Des vidéos d’elle se sont mises à circuler sur les médias sociaux, la montrant en train d’exiger une productivité maximale de la part des employés sous sa coupe, à coups de propos tels que «Ne vous attendez pas à des fins de semaine sans travail» et «Gardez votre cellulaire allumé 24h/24, soyez toujours prêt à répondre». Confrontée à ces vidéos, Qu a expliqué qu’elle n’avait aucunement conscience que son management était toxique, qu’elle était convaincue que bien diriger, c’était se débrouiller pour remplir les missions qui lui étaient confiées. À ses yeux, seul comptait le résultat final, pas l’être humain qui devait l’atteindre. Elle a finalement été contrainte de présenter des excuses publiques et a été licenciée.
C’est clair, se concentrer uniquement sur les indicateurs de productivité traditionnels est préjudiciable, car cela peut se faire au détriment du bien-être des employés. Et si les employés rencontrent des difficultés sur ce plan, cela affectera négativement leur rendement.
Conclusion? «Pour vraiment récolter les bénéfices d’une main-d’œuvre engagée et motivée, les organisations doivent élargir leur définition de la productivité pour tenir compte de la santé physique et mentale de leurs employés», note Henrik Bresman dans un billet de blogue du site web de l’Insead. Autrement dit, au lieu de considérer productivité ou bien-être, comme cela se fait très souvent, il convient de prendre en compte productivité et bien-être. Oui, les deux à la fois, car l’un ne va pas sans l’autre.
Grâce à ses travaux de recherche, le professeur de l’Insead a validé le fait que, pour qu’une entreprise réussisse, les employés doivent avant toute chose ressentir le sentiment d’être dans un environnement où ils peuvent donner le meilleur d’eux-mêmes, sans le moindre risque, comme, entre autres, la possibilité d’émettre une opinion contraire à celle du boss sans risquer d’être pénalisé. Ils doivent jouir d’une authentique sécurité psychologique. «Les recherches que j’ai menées avec Amy C. Edmondson, professeure de leadership et de management à la Harvard Business School, montrent que la sécurité psychologique améliore non seulement le bien-être individuel, mais aussi la performance collective», souligne-t-il.
Un leader peut s’y prendre de différentes façons pour améliorer le sentiment de sécurité psychologique au sein de son équipe:
- Prôner une communication honnête et respectueuse. Cela revient, par exemple, à reconnaître ses propres erreurs et inciter les autres à en faire de même, le moment venu. Ou encore, à ne jamais tolérer la moindre expression irrespectueuse envers qui que ce soit.
- Instaurer un climat sûr et positif. Cela peut se faire par l’instauration, ou l’actualisation, d’une politique contre le harcèlement et la discrimination.
- Se montrer ouvert d’esprit. Par exemple, accueillir favorablement la rétroaction de la part des membres de son équipe, ou bien écouter les idées émises par les autres sans avoir le réflexe de les juger ou de les casser d’emblée, surtout si elles vont à l’encontre des vôtres. «En général, les personnes qui maîtrisent bien cette capacité se tiennent informées de l’actualité dans leur secteur d’activité, sont curieuses des nouvelles tendances et aiment apprendre des autres», indique-t-il.
- Reconnaître et apprécier. Il convient de saluer les efforts et les initiatives de chacun et de tous.
- Favoriser la connexité. L’idée est d’adopter le principe selon lequel chacun ne peut évoluer sainement, et donc être à la fois heureux et productif, que s’il noue des liens fructueux avec les autres.
Ce n’est pas tout. Henrik Bresman a également travaillé avec Deborah Ancona, professeure de management à la MIT Sloan School of Management, ce qui lui a permis de mettre au jour le fait que le leader doit avoir une qualité essentielle pour que les membres de son équipe puissent combiner bien-être et productivité. Cette qualité essentielle, c’est la faculté de donner du sens au travail à effectuer.
Comment y parvenir? Plusieurs moyens peuvent être envisagés à cet égard.
- Inviter chacun à s’impliquer dans la vie du bureau.
- Prendre le temps de discuter avec chacun de son rôle et de son importance au sein de l’équipe.
- Souligner avec chacun les valeurs qui entrent en jeu dès lors qu’il effectue telle ou telle tâche.
- Inviter chacun à partager avec les autres le plus de choses possible: son savoir, ses contacts professionnels, ses bons coups, etc.
- Veiller à ce que chacun jouisse d’un véritable équilibre entre la vie pro et la vie perso.
C’est que le travail n’a de sens que si on parvient à combiner trois éléments fondamentaux: faire, avoir et être. Faire, c’est apprendre et évoluer. Avoir, c’est gagner, dans tous les sens du terme (réussite, rémunération, etc.). Et être, c’est être reconnu et valorisé.
Faire + Avoir + Être => Sens du travail
En résumé, Todd, il convient de changer de mentalité en matière de bien-être et de productivité: il faut passer du «ou» au «et». Cela peut permettre d’avoir ainsi non seulement une main-d’œuvre plus heureuse et en meilleure santé, mais aussi une meilleure productivité individuelle et collective.