Ces leaders pourrissent la vie des autres. (Photo: Engin Akyurt pour Unsplash)
MAUDITE JOB! est une rubrique où Olivier Schmouker répond à vos interrogations les plus croustillantes [et les plus pertinentes] sur le monde de l’entreprise moderne… et, bien sûr, de ses travers. Un rendez-vous à lire les mardis et les jeudis. Vous avez envie de participer? Envoyez-nous votre question à mauditejob@groupecontex.ca
Q. – «Mon boss est dominateur, arrogant, invivable. Et pourtant, personne ne dit rien contre lui, personne ne s’oppose à lui. Par respect de la hiérarchie? Par peur? Par habitude de suivre comme des moutons? J’aimerais tellement savoir comment mettre fin à cette insupportable domination…» – Jean-Pascal
R. – Cher Jean-Pascal, vous avez visiblement un boss à l’ancienne, convaincu que le chef se doit de rouler des mécaniques, de s’imposer aux autres et d’être fort en gueule. Un boss à l’ancienne qui, curieusement, est toujours en vogue de nos jours, même si l’on ne compte plus les études scientifiques qui montrent que ce style de leadership donne des résultats moindres que d’autres et même si l’on sait tous que ceux qui sont sous les ordres d’un tel boss ne perçoivent plus le travail que comme une souffrance sans fin.
La question saute aux yeux: comment se fait-il que nous supportions encore de tels dirigeants?
Deborah Gruenfeld est professeure de comportement organisationnel à Stanford et spécialiste de la psychologie du pouvoir. L’une de ses dernières études portait justement sur la déférence que nous éprouvons à l’égard des personnes ayant une forme d’autorité sur nous, en particulier à l’égard de celles qui expriment leur pouvoir par la domination. Ses expériences lui ont permis de découvrir deux choses intéressantes:
– Nous croyons, de manière erronée, que les autres sont plus soumis à l’autorité dominatrice que nous-même. Eh oui, les autres sont des moutons, mais nous, à bien réfléchir, nous n’en sommes pas un. C’est du moins ce que nous nous disons en notre for intérieur.
– Cette croyance erronée nous incite à ne pas contester l’autorité dominatrice, aussi insupportable soit-elle. Cela peut s’expliquer par le fait que nous avons peur de nous rebeller, seul contre tous, ou encore par le fait que nous ne pensons pas qu’une rébellion de notre part puisse changer quoi que ce soit.
En vérité, explique Deborah Gruenfeld, nous nous fourvoyons: l’autorité dominatrice peut être déstabilisée, sans avoir à fournir de combat épique pour cela. La clé, c’est juste d’oser faire le premier pas en ce sens.
«Les leaders dominateurs continuent d’agir à leur guise tant qu’ils ne sont pas pénalisés pour cela, dit-elle dans son étude. Voilà pourquoi il suffit que les employés expriment leur désapprobation pour qu’ils le ressentent comme une punition réelle et puissante, une remontrance suffisante pour les pousser à changer de comportement.»
Or, ses travaux montrent qu’exprimer sa désapprobation, c’est beaucoup plus simple que ce qu’on peut croire. Pas besoin d’affronter son boss de manière dramatique, de comploter dans son dos, ni même de se confier au boss du boss en question. Non, il peut suffire, au moment où le boss dominateur commet un geste inadmissible, d’un regard choqué, ou bien d’une moue indignée, bien visible de tous. Cela va envoyer aux autres le signal que c’est «non» pour vous, et cela va amener les autres, par mimétisme, à exprimer aux aussi leur désapprobation, dans la seconde même, que ce soit par les yeux levés au ciel ou un soupir réprobateur. Et toutes ces expressions vont être ressenties par le boss comme un message clair qu’il vient de franchir une ligne, qu’il est allé trop loin. Oui, il va vivre ce moment comme une gifle, ce qui l’amènera à réfléchir sur son style de leadership.
Un regard choqué ou une moue indignée, ça peut sembler ridiculement inefficace, mais la professeure de Stanford soutient le contraire, études à l’appui. C’est justement ce qui peut mettre fin à l’habitude de suivre comme des moutons, ce qui peut déclencher des discussions entre collègues là où régnait un morne silence, ce qui peut faire ressentir au boss dominateur que son pouvoir est plus fragile que ce qu’il pensait. Et cette instabilité de l’autorité va pousser le boss à chercher un terrain plus stable, et donc à changer de comportement. Ni plus ni moins.
En passant, le philosophe français Alain a dit dans «Politique»: «Tout pouvoir sans contrôle rend fou».