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«Pourquoi mon boss est-il toujours sur mon dos?»

Olivier Schmouker|Publié le 19 septembre 2023

«Pourquoi mon boss est-il toujours sur mon dos?»

«Il passe son temps à nous dire quoi faire et comment le faire.» (Photo: LinkedIn Sales Solutions pour Unsplash)

MAUDITE JOB! est une rubrique où Olivier Schmouker répond à vos interrogations les plus croustillantes [et les plus pertinentes] sur le monde de l’entreprise moderne… et, bien sûr, de ses travers. Un rendez-vous à lire les mardis et les jeudisVous avez envie de participer? Envoyez-nous votre question à mauditejob@groupecontex.ca

Q. – «Depuis la rentrée, notre boss a davantage de pression qu’auparavant: il faut qu’on livre la marchandise d’ici les fêtes de fin d’année, sans quoi nous allons devoir subir des coupures. Résultat? Il est tout le temps sur notre dos, à contrôler ce qu’on fait et à donner des ordres quand il juge que notre façon de faire n’est pas optimale. Pourquoi agit-il comme ça? Ne voit-il pas que c’est contre-productif?» – Hichem

R. – Cher Hichem, si votre boss réagit sous la pression en se mettant à commander et contrôler les autres comme jamais auparavant, c’est parce qu’il subit de plein fouet l’effet Taylor.

L’effet quoi? L’effet Taylor, qui veut qu’un gestionnaire en situation de stress a le réflexe de recourir au taylorisme. Oui, cette méthode d’organisation scientifique du travail concoctée dans les années 1880 par l’ingénieur américain Frederick Taylor qui veut que le meilleur moyen d’afficher un rendement optimal est de diviser le travail: le boss est le cerveau et les employés, ses «bras» et ses «outils».

J’ai saisi l’existence de l’effet Taylor à la lecture d’un livre remarquable, «Tous managers!» de Julien Dreher, un entrepreneur français qui a cofondé Ground, un collectif spécialisé en transformation des organisations, et Yolocracy, une communauté de partage sur les nouvelles cultures de travail. L’auteur y explique que le premier à théoriser le management tayloriste a été l’ingénieur français Henri Fayol, dans son livre «L’Administration industrielle et générale», publié en 1916. Celui-ci a mis au jour le principe tayloriste selon lequel la pensée doit être déconnectée de l’action: au sein d’une organisation, une minorité (les dirigeants) est responsable des décisions tandis que la grande majorité (les travailleurs) est chargée de les appliquer.

Par conséquent, le boss est là pour «décider, planifier, organiser, commander, coordonner, contrôler et, le cas échéant, sanctionner». Ce que Fayol résume sous la forme de huit tâches propres aux gestionnaires:

1. avoir une connaissance approfondie du personnel dont il a la charge;

2. éliminer les incapables;

3. bien connaître les conventions qui lient l’entreprise et ses employés;

4. donner l’exemple;

5. faire des inspections régulières;

6. rassembler ses principaux collaborateurs dans des réunions périodiques visant à créer l’unité de direction et la convergence des efforts;

7. ne pas se laisser absorber par les détails;

8. imposer la discipline et susciter le dévouement.

Effarant, n’est-ce pas? Si nombre de gestionnaires agissent encore aujourd’hui comme des «petits chefs», c’est parce que, que cela nous plaise ou pas, nous sommes tous plus ou moins formatés par le taylorisme! Sous pression, le réflexe se déclenche de lui-même: le boss se met à envoyer le message que c’est lui le patron (tâche numéro 4), à surveiller chaque geste des membres de son équipe (5), à réprimander ceux qui ne donnent pas leur 110% (8), ou encore à écarter ceux qu’il juge être des bras cassés (2).

Le hic, comme vous le soulignez, Hichem, c’est que ce comportement est contre-productif. Julien Dreher l’indique très bien dans son livre: «De nos jours, un manager qui se comporte de la sorte impose aux autres d’agir en suivant des processus et des méthodes qui ont été pensés pour un monde qui n’existe plus, note-t-il. Ça revient à exiger que chacun remplisse son encrier tous les matins avant d’allumer son ordinateur!»

Et de souligner: «On applique finalement le modèle tayloriste d’organisation du travail à la création de services qui n’ont plus rien à voir avec les vis et les boulons.»

En conséquence, le gestionnaire est devenu «une figure de grandeur et d’autorité qui structure nos vies professionnelles». Et cela crée au sein de l’organisation «une frustration qui va en augmentant chaque jour un peu plus». Parce que les équipes de travail fonctionnent dès lors suivant «un modèle managérial hiérarchique et pyramidal, inadapté aux défis d’agilité auxquels doivent faire face aujourd’hui les entreprises». Parce que cela place les gestionnaires «dans une position peu enviable, contraints qu’ils sont de concentrer et polariser les dysfonctionnements d’un modèle d’organisation devenu inapproprié au monde issu de la révolution numérique».

Comment corriger le tir? Le boss doit avant tout prendre conscience que sa façon de fonctionner n’est pas la meilleure qu’il soit. Il doit saisir qu’un leader ne peut plus se contenter de Commander & Contrôler, car de nos jours plus personne n’aime se faire dire quoi faire et comment le faire; à présent, un leader se doit de Comprendre, Conseiller & Soutenir, et donc de se comporter comme un coach.

Pour y parvenir, il existe une astuce, préconisée par la coach Annie Boilard. «Le truc, c’est d’arrêter de se soucier du “comment” pour ne plus se soucier que du “quoi”, dit-elle. Le leader doit laisser complètement le “comment” aux membres de son équipe, leur faire assez confiance pour prendre en mains les tâches qui leur reviennent, y compris les tâches qui le font, lui, triper. C’est dur, certes, mais nécessaire. Sans quoi, la performance ne pourra pas être au rendez-vous…»

Autrement dit, il convient de se dire qu’on est devenu un coach. Rien qu’un coach. Plus du tout un «petit chef». Et donc, d’appliquer la règle du 10-20-70:

– 10% du temps à expliquer la tâche;

– 20% du temps à expliciter la tâche;

– 70% du temps à donner du feedback.

Voilà, Hichem, comment votre boss peut arrêter d’agir comme le faisaient les patrons au XIXe siècle pour (enfin) se comporter en leader du XXIe siècle. Comment passer du «petit chef» au «leader». Comment vraiment dynamiser l’efficacité et la performance de votre équipe.

Laissez traîner une copie de cette chronique au bureau, à un endroit où il a l’habitude de se rendre. Sa curiosité le poussera à y jeter un œil. Et son intelligence, à en tenir compte sans tarder.

En passant, le chef d’orchestre autrichien Herbert von Karajan aimait à dire: «L’art de diriger consiste à savoir abandonner la baguette pour ne pas gêner l’orchestre».