Le bonheur réside souvent dans l'anticipation... (Photo: Bruce Mars/Unsplash)
BLOGUE. La fin de l’année approche. À plus court terme, la fin de la semaine également. Et j’en connais plus d’un qui se réjouit à l’avance du temps de loisirs que cela annonce…
De fait, il arrive que l’attente soit source d’un plaisir plus grand que la chose attendue elle-même. Songez, par exemple, aux heures printanières que vous avez passées à rêver avec délectation à vos dernières vacances d’été; à la joie qui vous envahissait, du temps de votre prime jeunesse, à l’approche d’une sortie en amoureux; ou encore à l’enthousiasme qui vous aviez, enfant, durant les semaines qui précédaient votre anniversaire ou Noël. Oui, ce bonheur résidait avant tout dans l’anticipation de ce qui allait se produire, et dans une moindre mesure dans l’événement lui-même. Pas vrai?
Maintenant, qu’en est-il dans le cadre de votre quotidien au travail? Préférez-vous ainsi les vendredis aux dimanches? Et de manière plus générale, votre bonheur au travail réside-t-il avant tout dans l’expectation de bonnes nouvelles?
Tali Sharot est professeure de neuroscience à l’University College de Londres, en Grande-Bretagne. Elle s’est justement penchée sur le sujet, ses travaux portant essentiellement sur l’incidence de l’optimisme dans nos vies. Et elle a abordé ce point précis dans son ouvrage intitulé «Tous programmés pour le bonheur!» (Marabout, 2012), sur lequel j’ai récemment mis la main dans une bouquinerie. Regardons ça ensemble…
«Si nous connaissons tous la joie de l’attente, nous prenons rarement sa valeur en compte, note-t-elle. [Pour bien le réaliser,] imaginez le scénario suivant : votre épouse a décidé de vous offrir pour votre anniversaire des billets pour un concert de votre groupe préféré, qui s’apprête à donner une série de prestations dans votre ville. «Quand veux-tu y aller? demande-t-elle. Ce soir? Demain soir? Dans cinq jours? Ou bien la semaine prochaine?» Alors, quelle date allez-vous choisir?
«Quand les gens ont le choix, ils préfèrent souvent attendre un certain temps avant d’avoir quelque chose plutôt que de l’avoir immédiatement. Ainsi, la plupart d’entre nous préféreraient aller au concert plus tard, pas le soir même. George Loewenstein, un économiste de l’Université Carnegie-Mellon, a fait un sondage auprès d’un groupe d’étudiants, leur demandant combien ils seraient prêts à payer pour échanger un baiser passionné avec la célébrité de leur choix (et vous? serait-ce Angelina? Brad? George? Scarlett? Après avoir résolu cet épineux dilemme, notez sur un bout de papier le prix que vous seriez prêt à payer pour pouvoir embrasser cette star immédiatement, dans une heure, dans trois heures, dans 24 heures, dans trois jours, dans un an et dans 10 ans).
«M. Loewenstein a pu constater qu’en règle générale les étudiants étaient prêts à payer davantage pour un baiser… dans un an. Avec un baiser tout de suite, il n’y aurait aucun temps d’anticipation. Cela reviendrait à renoncer au plaisir de l’attente, aux moments passés à se réjouir en imaginant le baiser attendu, à se demander comment et où il aura lieu. En revanche, si le baiser est programmé dans, par exemple, une semaine, cela laisse le loisir d’en rêver. Chaque fois que l’on y pense, ça procure un bref moment de joie. Les étudiants étaient ainsi prêts à patienter une année durant avant d’avoir le baiser de leur star, mais tout de même pas 10 années (qui sait si leur idole serait encore aussi désirable au terme de ce délai?).
«En général, le temps d’attente préféré des gens est de trois jours. Ce qui reflète un compromis entre plaisir d’attente et impulsivité. Même si notre état présent est plutôt négatif – par exemple, si on est vendredi soir et si on a été contraint de rester tard au bureau –, on ressent du bonheur en pensant à la fin de semaine qui arrive. D’ailleurs, quand on demande aux gens de classer les jours de la semaine par ordre de préférence, le vendredi vient systématiquement avant le dimanche, et ce, même si c’est une journée travaillée. Bien entendu, cela ne signifie pas que nous préférons le travail au repos et aux loisirs qui vont avec. Non, ce qui distingue le vendredi, c’est l’anticipation des journées à venir.
«Bref, pourquoi préfère-t-on les vendredis aux dimanches? Tout simplement parce que c’est un jour plein de promesses : la promesse du week-end qui arrive et de toutes les activités que nous avons prévues. Le dimanche, lui, n’apporte pas de joie d’anticipation. Au contraire, même si nous faisons ce jour-là un pique-nique au parc ou une balade en ville, le plaisir que nous tirons de ces activités est assombri par la perspective de la semaine de travail qui arrive. Que ce soit en bien ou en mal, notre état émotionnel est conditionné par le contexte dans lequel nous nous trouvons au moment présent et par ce que nous attendons du futur rapproché.»
Voilà. Vous comme moi, nous sommes, au fond, programmés pour préférer les vendredis aux dimanches. Pour avoir un faible pour les bonnes nouvelles à venir, et non pas pour celles qui nous tombent dessus sans prévenir. Pour savourer par anticipation les plaisirs à venir, qu’ils soient menus ou grands.
Concrètement, quelle importance cela a-t-il dans notre quotidien au travail? C’est bien simple, une importance fondamentale. Je souligne, fondamentale. En effet, quiconque se trouve en situation de leader a tout intérêt à en tenir compte dans son approche des membres de son équipe :
– Vous venez de décrocher un nouveau mandat? Une nouvelle mission à remplir en équipe? Une occasion tripante de mettre en œuvre les talents des uns et des autres? Ne vous précipitez surtout pas à l’annoncer à tout le monde à l’aide d’un courriel où vous vous pétez les bretelles! Ça gâcherait le plaisir des autres. Non, mieux vaut envoyer à tous une invitation à une mini-réunion dans votre bureau dans trois jours, en indiquant juste qu’une sacrée bonne nouvelle y sera dévoilée.
– Un employé vous demande une augmentation, ou à tout le moins une prime, parce qu’il a redoublé d’efforts au travail ces derniers temps et parce que sa conjointe et lui attendent un heureux événement dans les prochains mois? Si vous trouvez que c’est bien mérité, faites-lui comprendre que vous êtes sensible à sa requête, que vous la trouvez justifiée, mais que vous avez besoin de trois journées – trois, le chiffre magique, en l’occurrence – pour lui donner votre réponse. Son bonheur n’en sera que décuplé.
– Le big boss vous convoque dans son bureau et vous balance, du but en blanc, qu’il a besoin de vous à un autre poste, nettement plus prestigieux et mieux rémunéré que celui que vous occupez à présent. Autrement dit, vous venez d’être promu. Votre réponse? Vous explosez de joie dans son bureau? Non, retenez-vous et dites-lui que vous lui reviendrez à ce sujet dans trois jours très exactement, en lui envoyant tout de même quelques signes de satisfaction pour qu’il ne panique pas. Pourquoi? Eh oui, pour décupler sa propre joie au moment où vous accepterez officiellement sa proposition. (Et aussi parce que cela donnera de vous une image de quelqu’un de raisonnable, et non pas d’impulsif…)
Vous voyez, nous avons tous à gagner à miser davantage sur le plaisir de l’anticipation. En particulier au travail. À vous, donc, d’en tirer parti comme il se doit, à l’avenir!
En passant, l’écrivain marocain Ahmed Sefrioui a dit dans La Boîte à merveilles : «Attendre, c’est cela exister».
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