Il s'agit du livre «Le stress au travail vs le stress du travail» de Sonia Lupien. (Photo: Christin Hume pour Unsplash)
MAUDITE JOB! est une rubrique où Olivier Schmouker répond à vos interrogations les plus croustillantes [et les plus pertinentes] sur le monde de l’entreprise moderne… et, bien sûr, de ses travers. Un rendez-vous à lire les mardis et les jeudis. Vous avez envie de participer? Envoyez-nous votre question à mauditejob@groupecontex.ca
Q. – «Dès qu’on arrive au mois de décembre, j’attends votre chronique habituelle sur le livre qui vous a le plus marqué durant l’année écoulée. Ça fait toujours une bonne idée de cadeau de Noël. Alors? C’est quoi, le livre de l’année?» – Justin
R. – Cher Justin, le temps des Fêtes est effectivement un moment souvent propice pour la lecture. Cela permet de réfléchir sur soi ainsi que sur les connexions que nous avons avec autrui, en particulier dans le cadre du travail. Et donc, d’entamer la nouvelle année du bon pied, riche d’idées neuves et d’une énergie décuplée.
Ma suggestion? Vous plonger dans «Le stress au travail vs le stress du travail» de Sonia Lupien, professeure titulaire du département de psychiatrie de la faculté de médecine de l’Université de Montréal. Car il permet à chacun de nous d’y voir plus clair concernant l’un des fléaux des temps modernes, le stress. Et surtout, il nous donne l’occasion de saisir que le stress résulte en grande partie de notre façon de travailler, non pas du lieu où l’on travaille: par exemple, on peut très bien être stressé en télétravail, contrairement à ce que nombre d’entre nous croient encore.
«Le stress au travail vs le stress du travail» présente différentes stratégies pour atténuer le stress inhérent à notre quotidien au travail. En guise d’exemple, cet extrait lumineux qui traite du «brouhaha productif», un passage qui m’a permis de comprendre pourquoi j’aimais tant travailler dans des cafés remplis de gens.
Sonia Lupien explique que nombre d’entre nous adorent, sans trop savoir pourquoi, travailler dans le brouhaha des conversations environnantes, que ce soit dans des bureaux à espace ouvert, des cafés bruyants ou des bibliothèques où l’on chuchote en permanence. Et que cela a d’ailleurs cruellement manqué à ces mêmes personnes lorsqu’elles ont dû travailler confinées chez elles lors de la pandémie de COVID-19. «Les chercheurs appellent cela le débordement positif de productivité (en anglais, positive productivity spillover)», note-t-elle.
Le débordement positif de productivité fait référence au processus par lequel la productivité d’une personne varie en fonction de celle des gens autour d’elle.
«Par exemple, illustre-t-elle, lorsqu’on demande à des participants à une expérience d’effectuer une tâche simple, comme entrer des données dans un fichier Excel, leur performance est plus élevée lorsqu’ils sont entourés d’autres participants qui effectuent la même tâche que lorsqu’ils sont seuls dans une pièce.»
Comment expliquer ce phénomène? «L’une des raisons évoquées par les chercheurs est que le fait de travailler entouré d’autres personnes stimule l’esprit de compétitivité, et donc augmente la performance», dit-elle.
«Toutefois, poursuit-elle, d’autres chercheurs soulignent que ça ne peut pas seulement être l’esprit de compétition qui fait en sorte qu’il est plus facile d’être productif lorsqu’on est entouré de gens qui travaillent, car nous ne sommes pas vraiment en compétition avec ceux que l’on côtoie au café ou à la bibliothèque.»
Il doit donc y avoir une autre explication…
Une équipe de chercheurs a mesuré l’effet de débordement de productivité chez des caissières d’un supermarché sur une période de deux ans. Un logiciel permettait de mesurer le nombre d’items scannés par chaque caissière. Puis, les chercheurs ont associé la productivité de chaque caissière à celle des autres caissières qui travaillaient autour d’elle.
Les résultats ont montré la présence d’un très fort effet de débordement de productivité. Lorsqu’une caissière très productive commençait son travail, cela augmentait de manière drastique la productivité des collègues à proximité (et un peu moins celle des caissières plus éloignées).
À noter que, quoique les caissières moins productives profitent de la présence de caissières productives, l’inverse n’est pas vrai. La productivité des caissières efficaces n’est pas diminuée par la présence de caissières moins productives dans leur environnement.
«Les chercheurs considèrent que le mécanisme le plus plausible pour expliquer ce résultat est un effet d’observation: le fait de voir les autres personnes autour de soi être en mode travail a un impact positif sur notre performance», indique l’auteure.
Cela étant, il semble que tout le monde n’est pas sensible au débordement positif de productivité. Pour certains le brouhaha ambiant peut nuire à leur concentration, et donc à leur productivité.
Par conséquent, il appartient à chacun de voir ce qui est le mieux pour lui: travailler au calme chez lui ou dans un bureau fermé, ou au contraire dans un espace à aire ouverte ou de coworking. Annihiler toute forme de distraction extérieure ou profiter de la productivité de ses collègues pour augmenter la sienne.
Maintenant, à vous de voir, Justin. Et surtout, je pense, à vous d’en faire part à votre boss. Car cela peut peut-être suffire à le convaincre de vous accorder de meilleures conditions de travail, c’est-à-dire des conditions de travail mieux adaptées à votre profil de travailleur; par exemple, cela peut revenir à davantage de temps en télétravail, disons une après-midi en espace de coworking ou dans un café rempli d’étudiants studieux. À la clé, une potentielle amélioration de votre quotidien au travail.
En passant, l’écrivain français Victor Hugo a dit dans «Faits et croyances»: «Tout bruit écouté longtemps devient une voix».