Quel est LE livre à lire avant d’embarquer pour 2022?
L'économie en version corsée|Publié le 13 Décembre 2021Un livre dont il se dégage une belle humilité... (Photo: Amanda Vick pour Unsplash)
Voici venu le moment tant attendu — si j’en crois les nombreux courriels reçus ces derniers jours — de ma recommandation annuelle de lecture pour le temps des Fêtes. L’an dernier, ça avait été «Le leadership horizontal — Instaurer une organisation non hiérarchique, une pratique à la fois» (Les Éditions de l’Homme) de Samantha Slade. L’année d’avant, «Sciences et arts – Transversalité des connaissances» (Éditions PUL) de Virginie Francœur. Et auparavant, «Donnez du sens à vos décisions» (Éditions Eyrolles) de Sylvie-Nuria Noguer.
Cette fois-ci, il s’agit d’un livre dont le titre pourrait vous surprendre, car il n’y est pas question a priori de management, ni de leadership: «Investir à la Bourse et s’enrichir — Compagnies extraordinaires, rendements extraordinaires» (Les Éditions de L’Homme) de Bernard Mooney. Oui, vous avez bien lu, un livre de finance personnelle qui s’adresse aux investisseurs et autres boursicoteurs. Laissez-moi vous expliquer mon choix…
Le livre de l’ex-chroniqueur financier du journal Les Affaires m’a séduit d’emblée par l’humilité qui s’en dégage. Il faut savoir qu’il s’agit d’une réédition. L’ouvrage date de 2001, il est vieux de vingt ans, et pourtant l’auteur n’en a pas modifié le moindre mot. Est-ce parce qu’il est toujours aussi pertinent qu’au tournant du millénaire? Aucunement. On y trouve un paquet d’«erreurs gênantes», mais celles-ci sont pleinement assumées.
Ainsi, Bernard Mooney confesse dans l’introduction de la nouvelle édition qu’il s’est senti «inconfortable» en relisant des passages comme: «Vous pouvez choisir d’investir dans une brochette de titres de qualité exceptionnelle, comme […] American International Group et General Electric. Vous choisissez dans ce cas de prendre peu de risques.» Il se trouve que nombre de grandes entreprises dans lesquelles il recommandait chaudement d’investir, à l’image d’AIG et GE, ont eu besoin de l’aide du gouvernement américain pour survivre à la crise financière de 2007-2008 ou ont carrément disparu depuis!
L’auteur n’a pas apporté de corrections parce qu’il a jugé que là n’était pas l’important. Non, l’important était l’enseignement fondamental de son expérience d’investisseur, l’expérience d’une vie, si vous préférez, qui ressort du livre. Pour juger du caractère «extraordinaire» d’une entreprise et, donc, pour dénicher une entreprise réellement susceptible de fournir aux investisseurs des rendements «extraordinaires», rien ne sert de se plonger dans les chiffres et les graphiques, la seule chose qui compte vraiment, c’est la «dimension humaine» de l’entreprise.
Ça y est, vous venez de saisir pourquoi je vous invite à lire «Investir à la Bourse et s’enrichir». La richesse véritable d’une organisation, ce sont les êtres humains qui la composent. Rien d’autre. Et c’est un maniaque de la finance qui le dit et le martèle.
Jugez-en par vous-même à l’aide des passages suivants.
«Mes années d’expérience me poussent à croire que si vous avez un dirigeant qui répond à trois critères — compétence, ambition et honnêteté —, le reste est presque secondaire (je suis obligé de dire “presque” parce que tout ce que j’ai écrit jusqu’à ce point serait inutile, sans cela). En d’autres mots, c’est si important que cela passe devant toutes les autres dimensions de l’analyse boursière, surtout si vous investissez à long terme.»
«Si vous trouvez [par votre analyse boursière] une compagnie exceptionnelle et que la direction n’est pas compétente, dynamique et intègre, il y a de fortes chances pour que ce soit un mauvais placement à long terme. Également, si la direction de cette entreprise est soit incompétente, soit paresseuse, soit malhonnête, peu importe le prix du titre boursier, ce titre est un mauvais placement. Dans ce dernier énoncé, la présence d’un seul des éléments est suffisante pour qu’il soit vrai. Dans l’énoncé qui l’a précédé, les trois éléments doivent être présents.»
Selon l’auteur, la compétence de la direction, et en particulier du PDG, est primordiale, car elle a un impact à «plusieurs niveaux» sur l’organisation. «Par exemple, un PDG brillant saura s’entourer d’autres personnes brillantes. Il choisira donc des dirigeants compétents. Idem, un PDG qui a un bon jugement l’aura dans tous les aspects de la vie et cela lui servira partout: cela se reflétera dans le choix de ses lieutenants, dans ses décisions quotidiennes, dans ses grandes décisions (acquisition d’un concurrent, projet d’investissement, etc.) Bref, on voit aisément les dommages qu’un PDG incompétent peut causer à une entreprise à long terme.»
«Mon expérience m’a appris que bien des dirigeants d’entreprise (bien trop) sont devenus des dirigeants non parce qu’ils sont compétents, mais plutôt parce qu’ils sont soit liés par le sang, soit d’habiles manipulateurs. Un des aspects les plus répugnants du monde des affaires est précisément ses aspects “politiques”, où l’opportuniste, le chanceux et le parasite sont rois. La compétence est souvent un critère secondaire dans le choix d’un haut dirigeant: on préfère de beaucoup avoir une personne qui a un beau discours, qui se comporte de la bonne façon devant les médias, qui a des contacts avec des politiciens (dans l’espoir de soutirer des subventions) et qui est bien “branchée’ auprès des investisseurs institutionnels.»
«Évidemment, c’est sans mentionner toutes les entreprises où le papa fondateur décide que fiston deviendra président, sang oblige, peu importe la compétence. C’est sans mentionner ces étoiles filantes qui, profitant d’un bon contexte économique, paraissent des génies, avant de tomber lorsque le contexte devient un peu plus difficile.»
«Bref, je connais des centaines et des centaines d’entreprises au Canada, et je suis tout à fait incapable de nommer 20 présidents dont la compétence m’impressionne! Je ne veux pas vous décourager, mais simplement vous faire prendre conscience que la compétence exceptionnelle est… exceptionnelle. C’est-à-dire très très très rare.»
Quel est donc le truc de Bernard Mooney pour identifier malgré tout un PDG et une organisation extraordinaire? L’analyse, entre autres, des discours du président. Certains détails permettent d’évaluer les trois critères fondamentaux (compétence, ambition et honnêteté). Un exemple frappant:
«Je vous suggère d’étudier de près leurs discours, année après année, qui figurent dans le rapport annuel de l’entreprise. De partir à la recherche d’indices. Par exemple, après une année décevante, vous apprécierez le discours franc et candide du président qui avoue ses erreurs et qui ne tente pas de vous berner. Or, il y a tant de dirigeants qui semblent prendre leurs actionnaires pour des imbéciles… Tenez, après une mauvaise année, ceux-ci parleront sans retenue des ‘grandes réalisations’ de leur entreprise, alors même que le titre a chuté de 50% en Bourse! En fait, ce qu’on attend d’un président franc du collier, c’est qu’il s’avoue déçu par la performance de son entreprise et de son titre boursier. C’est qu’il considère ses actionnaires comme des partenaires, et non comme des sujets inférieurs. Et cela transparaît toujours dans les discours de tels présidents.»
À (re)lire: notre dossier «Chapeau les PDG»
Voilà. L’humain est la vraie valeur d’une entreprise. Et cela saute aux yeux dès lors qu’on s’attarde à trois critères: compétence, ambition et honnêteté. Ce n’est pas moi qui le dis, mais Bernard Mooney, l’investisseur qui a fini par découvrir que pour devenir riche il fallait non pas courir après l’argent, mais chérir l’humain.
Bonne lecture!
Et bonne et heureuse année 2022!