«Quelles sont les conditions gagnantes pour le travail hybride?»
Olivier Schmouker|Publié le 02 août 2022Les gestionnaires doivent «faire preuve d’équilibre et d’empathie», notamment en tenant compte du fait que le travail hybride peut être source de stress pour les travailleurs. (Photo: 123RF)
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Q. – « Comme nombre d’employeurs, j’ai offert le travail hybride à mes employés. Sous une forme simple et commune: un minimum de trois jours au bureau par semaine, les lundis, mardis et jeudis. Et pourtant, vu les faces de certains et les commentaires glanés çà et là, j’ai l’impression que ça ne satisfait pas tout mon monde. Je m’interroge: quelles sont les conditions gagnantes pour le travail hybride?» – Florent
R. – Cher Florent, le travail hybride n’est pas une fleur qu’on fait aux employés, ça doit être une décision managériale mûrement réfléchie et concertée. Sans quoi, cette nouvelle forme de travail risque fort, comme vous semblez le constater, d’être source d’inconfort, de stress, de déceptions.
Tatiana Harkiolakis est doctorante en médias et communication à la London School of Economics (LSE). Elle s’est récemment attelée à un travail de moine: compiler et synthétiser l’ensemble des écrits scientifiques portant sur les différentes façons de travailler qui ont émergé depuis le début de la pandémie. Et ce, avec un double objectif: découvrir s’il y a une façon de travailler plus agréable et efficace que les autres pour les travailleurs; et regarder s’il y a une façon de travailler qui permet d’accroître de manière durable le «capital mental» des organisations (le «capital mental» évoque ici le niveau global de «santé mentale» d’une organisation, lequel peut fructifier ou au contraire péricliter en fonction, par exemple, du niveau de stress ressenti quotidiennement par les travailleurs).
Les résultats de son étude devraient vous intéresser au plus haut point, Florent. De fait, la façon de travailler qui procure, en général, le plus grand bien-être et le plus de satisfaction au travail est le travail hybride. Mais pour que le travail hybride puisse diffuser tous ses bienfaits, il est impératif que les travailleurs ne soient «pas poussés au surmenage» et qu’ils «ne compromettent pas leur santé physique et psychique» en raison d’«exigences professionnelles excessives de la part des gestionnaires».
Le succès repose donc en grande partie entre les mains des gestionnaires. Ces derniers doivent «faire preuve d’équilibre et d’empathie», notamment en tenant compte du fait que le travail hybride peut être source de stress pour les travailleurs.
Un exemple frappant: l’une des grandes sources d’inquiétude concerne la crainte qu’être moins présent au bureau que d’autres peut se révéler pénalisant le jour où la haute-direction décide d’attribuer une promotion. La peur, c’est que les hauts-dirigeants choisissent celui qui est toujours présent au bureau, car il semble plus travailleur et plus disponible que ceux qui ont pris l’habitude de travailler à distance. Que cette peur soit fondée ou pas, peu importe, elle est une vraie source de stress pour nombre de télétravailleurs. D’où l’importance, pour les gestionnaires, de régulièrement rassurer les uns et les autres à ce sujet.
Ce n’est pas tout. L’étude de Tatiana Harkiolakis montre que la satisfaction au travail découle aussi de l’autonomie des travailleurs quant au moment et à la manière dont ils travaillent à distance. Lorsque la haute-direction décrète qu’il faut être au bureau les lundis, mardis et jeudis, elle se tire une balle dans le pied puisque cela va à l’encontre de l’autonomie des travailleurs. Mieux vaut, disons, laisser chacun choisir à sa guise, en imposant certaines contraintes, du genre «Arrangez-vous pour que les membres d’une même équipe viennent tous au bureau au moins un même jour par semaine afin d’être en mesure de tous se réunir en présentiel».
Enfin, il peut être bénéfique d’envisager certaines mesures comme le «droit à déconnexion», qui interdit aux gestionnaires d’entrer en contact avec les membres de leur équipe en dehors des heures normales de travail. Car cela permet à chacun de vraiment faire une coupure entre le travail et la vie privée, ce qui est aujourd’hui reconnu comme un bienfait pour la santé mentale.
Voilà, Florent, quelques pistes que vous gagneriez à explorer. Vous avez visiblement fait le bon choix en optant pour le travail hybride, reste à adopter la bonne manière de l’implanter au sein de votre organisation. Pour résumer, il vous faut sûrement revoir votre copie en revêtant des lunettes teintées, aux couleurs de l’empathie et de la bienveillance. Autrement dit, en vous demandant qu’est-ce qui arrangerait le plus les travailleurs, et non plus en partant du postulat que la priorité est avant tout de satisfaire les gestionnaires et la haute-direction. En pensant «Nous», et non plus «Je». Et le tour sera joué!