Racisme et «discrimination flagrante» au Bureau du Conseil privé
La Presse Canadienne|Mis à jour le 30 juillet 2024Selon le document, ces fonctionnaires «ont détaillé leurs expériences personnelles et leurs opportunités d’avancement de carrière qui étaient très différentes» de celles des employés noirs, autochtones et autres employés de couleur. (Photo: Adrian Wyld / La Presse Canadienne)
Un rapport interne de la fonction publique fédérale publié lundi indique que les employés noirs et racialisés du Bureau du Conseil privé (BCP) sont victimes de racisme et de discrimination au travail.
«Les employés noirs et racialisés — à travers des dizaines d’exemples de stéréotypes raciaux, de microagressions et de violence verbale — ont décrit une culture de travail où de tels comportements sont régulièrement pratiqués et normalisés, y compris au niveau de la direction», peut-on lire dans le rapport.
La Coalition contre la discrimination en milieu de travail a obtenu le rapport en utilisant la Loi sur l’accès à l’information. Le document détaille les obstacles auxquels se heurtent les employés de couleur du Bureau du Conseil privé, l’organe administratif du gouvernement qui dessert le bureau du premier ministre et le cabinet.
Les conclusions sont basées sur des discussions de groupe et des entretiens avec le personnel en 2021 et 2022.
Le rapport relate les cas d’employés noirs et racialisés décrivant avoir été ignorés alors que des opportunités ont été offertes à leurs collègues blancs, et cite l’exemple d’employés noirs qui ont déclaré avoir dû intervenir auprès de gestionnaires qui utilisaient le mot en N «confortablement en leur présence».
Au même moment, des employés et cadres blancs se sont dits surpris que le mot en N soit un «terme très péjoratif pour les Noirs», indique le rapport.
Selon le document, ces fonctionnaires «ont détaillé leurs expériences personnelles et leurs opportunités d’avancement de carrière qui étaient très différentes» de celles des employés noirs, autochtones et autres employés de couleur.
Peu de suites
La coalition a déclaré lundi que le gouvernement avait tenté de mettre en œuvre les recommandations du rapport, mais n’était pas allé assez loin pour répondre aux conclusions inquiétantes.
Nicholas Marcus Thompson, président du Secrétariat recours collectif noir, qui dirige la coalition, a déclaré lundi lors d’une conférence de presse que de nombreuses recommandations clés du rapport n’avaient toujours pas été prises en compte.
Il a souligné que le gouvernement n’a pas mis en œuvre de pratiques d’embauche équitables, telles que cacher le nom des candidats sur les curriculum vitae ou recourir à de tierces parties pour l’embauche.
«Il est choquant que ce niveau de discrimination flagrante se soit produit dans l’un des bureaux les plus élevés du Canada. Encore une fois, ceux qui ont été les auteurs de la discrimination sont chargés de mettre en œuvre le changement. Cette approche a constamment échoué, et il est temps d’avoir de véritables mécanismes de responsabilisation indépendants et des changements structurels pour s’attaquer de manière significative à la discrimination anti-Noirs», a-t-il indiqué dans le communiqué.
«Nous sommes particulièrement préoccupés par le manque de mesures de responsabilisation contre les dirigeants qui étaient à la barre alors que la discrimination généralisée était monnaie courante au Bureau du Conseil privé», a ajouté Nicholas Marcus Thompson lors d’une conférence de presse.
La publication de cette enquête interne survient alors que le gouvernement mène un recours collectif qui allègue qu’environ 30 000 fonctionnaires noirs ont perdu des opportunités et des avantages qui ont été accordés à d’autres en raison de leur ethnicité, remontant aux années 1970.
La ministre des Finances et vice-première ministre, Chrystia Freeland, a été interrogée lundi sur le rapport.
«Le racisme et la discrimination ne sont jamais acceptables. Ils ne sont acceptables nulle part au Canada, encore moins au sein de notre gouvernement», a-t-elle répondu.
Un traitement différent
Les employés blancs travaillaient au Bureau du Conseil privé pendant de plus longues périodes et «étaient regroupés dans des postes permanents et de niveau supérieur», mentionne le rapport.
Il cite des exemples d’employés caucasiens qui déclarent avoir «observé une discrimination anti-Noirs de la part des gestionnaires et des employés qui a eu des impacts directs et négatifs sur la progression de carrière des employés noirs».
La plupart de ces employés ont détaillé une culture de blancheur au niveau de la direction et soutenu qu’une nette préférence pour la blancheur est omniprésente au BCP.
La stagnation de carrière était «évidente», a déclaré l’auteur dans le rapport, et «la discussion de ces expériences a fait pleurer certains employés, car ils communiquaient leur conscience du racisme comme facteur de motivation clé».
Selon le document, les employés qui ont connu une stagnation ont régulièrement obtenu des évaluations de haute performance, mais ont vu les employés blancs formés avec eux progresser au-dessus de leur niveau.
Cinquante-trois employés ont assisté à des séances de groupe, 13 employés de couleur ont participé à des entretiens individuels et le rapport comprend également huit entretiens avec des employés noirs.
Le rapport indique également que la plupart des employés noirs ont été «réprimandés ou découragés» de participer au travail sur la diversité, l’équité et l’inclusion.
L’étude note que lorsque des sessions axées sur ces thèmes ont eu lieu, elles ont été décrites par certains employés comme de mauvaise qualité et inappropriées — y compris une session sur la diversité et la communication dirigée par une équipe entièrement blanche.
«Le BCP a fourni à la Coalition une mise à jour sur les mesures qu’ils ont prises depuis la publication interne de ce rapport. Bien que leur liste d’initiatives montre une tentative d’implémentation des recommandations du rapport, elles manquent de la profondeur nécessaire pour s’attaquer pleinement aux problèmes systémiques identifiés, et de nombreuses recommandations clés n’ont toujours pas été abordées», déplore l’organisation dans un communiqué.
La coalition réclame par ailleurs la démission de la sous-greffière Natalie Drouin, responsable du dossier de la discrimination depuis 2021, et celle du secrétaire adjoint du Cabinet, Affaires et services ministériels, Matthew Shea, à la tête des services depuis 2017.
Elle réclame par ailleurs la création d’un commissariat à l’équité pour les Noirs et un département des affaires afro-canadiennes, en plus de compenser les travailleurs lésés.
Le Bureau du Conseil privé n’a pas répondu à une demande de commentaires.
Sharon DeSousa, présidente de l’Alliance de la Fonction publique du Canada, a déclaré que le rapport montre que les employés noirs, autochtones et racialisés vivent une fonction publique très différente de celle de leurs homologues blancs.
Ils n’ont pas les «mêmes opportunités d’évolution de carrière, sont piégés dans une porte tournante symbolique, placés dans des postes temporaires pour donner une apparence d’équité raciale, puis mis de côté sans opportunités significatives d’avancement».
Par Anja Karadeglija