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Recrutez, déléguez, répétez

Karl Moore|Publié le 02 mars 2022

Recrutez, déléguez, répétez

C'est le mantra qu'a adopté John Wood pour aider plus de 23 millions d'enfants à terminer leur scolarité.. (Photo: 123RF)

BLOGUE INVITÉ. John Wood a laissé de nombreux collègues perplexes lorsqu’il a quitté son poste de direction chez Microsoft en 1999 pour lancer Room to Read, un organisme à but non lucratif axé sur l’alphabétisation des enfants et l’éducation des filles. Après en avoir aidé 23 millions à terminer leur scolarité primaire et secondaire, il vient de lancer une nouvelle entreprise sociale mondiale qui vise à lever les obstacles systémiques qui entravent l’accès à l’enseignement supérieur.

U-Go – le U signifie université – est un organisme à but non lucratif qui s’efforce de venir en aide aux jeunes femmes des pays à faible revenu, dont le Bangladesh, le Cambodge, l’Inde, l’Indonésie, le Népal, le Pakistan et le Vietnam, afin qu’elles poursuivent des études supérieures grâce à des bourses d’études. Lancée le 7 février, cette initiative a déjà réuni suffisamment de fonds de démarrage pour financer plus de 5000 années de bourses.

«Nous avons tous besoin d’un objectif dans la vie, déclare John Wood, fondateur de U-Go. Le mien consiste à vouloir vraiment aider les enfants qui ne gagnent pas à la loterie de la vie à inverser ce cruel destin et à bénéficier du cadeau de l’éducation permanente.»

Le parcours philanthropique de John Wood prend racine dans son amour précoce pour la lecture. Ayant grandi dans une famille de la classe moyenne dans la petite ville d’Athens, en Pennsylvanie, et ayant accès à une bibliothèque communautaire bien fournie, il a toujours pensé que sa famille était «riche en livres».

Après avoir obtenu un baccalauréat de l’Université du Colorado et une maîtrise en administration des affaires de la Kellog Graduate School of Management de l’Université Northwestern, John Wood a d’abord travaillé chez Deloitte en tant que vérificateur. Il a ensuite rejoint Microsoft, où il a finalement dirigé des équipes de développement commercial à Sydney, Hong Kong et Beijing, avant de devenir le responsable du développement commercial pour la région de la Chine élargie de Microsoft.

 

L’amour des bibliothèques

Lors d’une randonnée pédestre au Népal en 1998, John Wood a visité la bibliothèque d’une école primaire de 300 élèves, dont les rayons étaient complètement vides. «Nous sommes trop pauvres pour nous offrir une éducation, mais tant que nous n’aurons pas accès à l’éducation, nous resterons pauvres. Monsieur, peut-être reviendrez-vous un jour avec des livres», lui a alors dit le directeur de l’établissement. En un an, six bibliothèques ont été créées dans de petits villages nichés à l’ombre de l’Himalaya.

«Je pensais que ce serait un passe-temps, mais après avoir érigé quelques bibliothèques, j’ai réalisé que cela ne suffirait pas dans un monde qui compte 770 millions d’analphabètes, raconte John Wood. J’ai commencé à réfléchir à plus grande échelle : est-ce que je pourrais ouvrir des bibliothèques aussi rapidement que Starbucks ou McDonald ouvrent des points de vente en adoptant une approche commerciale?»

Un an plus tard, convaincu que «le talent est universel, l’opportunité ne l’est pas», il a quitté son poste prestigieux pour poursuivre un plus grand idéal et a fondé Room to Read.

«L’endroit où vous êtes né et qui vous êtes sont les plus grands déterminants de ce que vous deviendrez en tant que jeune personne, estime le philanthrope. Si vous n’alphabétisez pas les enfants dès leur plus jeune âge, quelle chance ont-ils?»

 

Savoir déléguer

Selon une étude de la Banque mondiale, moins des deux tiers des filles des pays à faible revenu terminent leur scolarité primaire et seule une sur trois complète le premier cycle du secondaire. Celles qui complètent leur secondaire ont plus de chances d’entrer dans la vie active à l’âge adulte et d’exercer une influence dans leur foyer et dans leur communauté.

Non seulement l’accès à l’éducation renforce l’autonomie des femmes, mais il peut aussi contribuer à sortir les ménages, les communautés et les pays de la pauvreté. Cela peut aussi entraîner la diminution des mariages d’enfants, de la mortalité infantile et de la malnutrition, ainsi que la baisse des taux de fécondité dans les pays à forte croissance démographique, toujours selon la Banque mondiale.

En tant que PDG fondateur de Room to Read, John Wood a commencé à planifier sa transition il y a plus de dix ans. Fidèle au mantra «recruter, déléguer, répéter», plus son équipe de direction s’agrandissait, plus il cédait de ses tâches. Après avoir quitté son poste en 2008, il a continué de s’impliquer au sein de l’organisation en tant que membre du conseil d’administration et ambassadeur itinérant.

«Au cours des deux dernières années, j’ai réalisé que notre organisme se trouvait dans la meilleure posture qu’il ait jamais connue et que cela me permettrait non seulement d’être libre de poursuivre une nouvelle activité, mais aussi de faire preuve de respect envers les nouvelles personnes aux commandes, soutient John Wood. C’est ce que les dirigeants sont censés faire. On ne se contente pas de faire participer les gens et de les contrôler de près; on les fait collaborer et on leur donne carte blanche.»

 

Coup de pouce à l’émancipation

Inspiré par l’idée de se lancer dans un nouveau défi, le nouveau projet social de l’ancien cadre de Microsoft s’appuie sur le succès de Room to Read pour permettre à de jeunes universitaires ambitieux d’aller plus loin dans leur apprentissage.

«Les jeunes femmes dans des pays comme le Vietnam, le Bangladesh, l’Inde ou le Pakistan possède la matière grise nécessaire pour faire des études universitaires, mais elles n’ont tout simplement pas les moyens financiers, souligne John Wood. Nous allons les aider avec une somme d’argent relativement modeste pour les faire accéder aux universités locales et leur permettre de poursuivre leur carrière.»

U-Go a l’intention d’offrir des bourses d’études de première année, ce que John Wood décrit comme le «coup d’envoi de la course à relais», dont le renouvellement est conditionnel à l’obtention de résultats scolaires prometteurs. L’organisme s’associera à des organisations non gouvernementales locales qui ont travaillé avec des cohortes de jeunes femmes pour leur fournir un soutien complet en plus des bourses d’études, y compris des programmes de mentorat, de développement de carrière et des cours de préparation à la vie active par le biais du réseau U-Go.

«Les parents sont les mêmes partout, glisse son fondateur. Ils veulent que leurs enfants aient une vie meilleure que celle qu’ils ont eue. Quand on leur demande ce que cela signifie, la réponse est presque toujours l’éducation.»

«Les chances d’accéder à l’enseignement supérieur sont très inégales selon le sexe, mais ce sont les hommes qui en profitent le plus, ajoute-t-il. Lorsque nous parviendrons à la parité, nous envisagerons de financer des bourses pour les jeunes garçons, mais à l’heure actuelle, trop peu de femmes peuvent entrer à l’université. Si vous voulez changer la société, vous devez revenir à la case départ et aider ces jeunes femmes à poursuivre leur chemin. C’est l’un des plus grands plafonds de verre qui subsistent pour celles qui demeurent dans les pays à faible revenu. Nous avons l’intention de distribuer des marteaux piqueurs et de le briser.»

Karl Moore et Stéphanie Ricci. Karl est professeur agrégé dans la Faculté de gestion Desautels de l’Université McGill. Stéphanie est étudiante en journalisme à l’Université Concordia.