Q. — «Je travaille sur un projet qui me tient à cœur depuis presque une année. Mais les résultats ne sont pas là. Que dois-je faire maintenant? Redoubler d’efforts en me disant que ça finira bien par payer? Ou tout laisser tomber, et ainsi arrêter de gaspiller mon temps, mon énergie et mon argent?» – Juliette
R. — Chère Juliette, nos vies sont une suite sans fin de prises de décision. Certaines sont anodines, d’autres sont fondamentales. Toutes sont, en vérité, difficiles, car leurs conséquences sont presque toujours incertaines, parfois même imprévisibles.
Alors, comment faire le bon choix? Et en particulier, comment savoir s’il convient de renoncer ou de persévérer lorsqu’on est confronté à une difficulté? Que faire, par exemple, lorsque c’est la cinquième entrevue d’embauche après laquelle on ne nous a même pas rappelés? Lorsqu’une troupe de théâtre joue devant une salle vide depuis trois soirées d’affilée? Ou encore, lorsque c’est la dixième fois que vous tombez sur les fesses en apprenant à faire de la planche à neige?
Dans son livre «Le dip», le conférencier américain Seth Godin et ex-responsable du marketing direct chez Yahoo! donne une astuce d’une géniale simplicité pour répondre à cette sempiternelle interrogation : renoncer ou persévérer? Ce truc consiste à répondre à trois questions, vos réponses vous éclairant sur la bonne décision à prendre.
Mais avant de vous présenter ces trois questions, une mise en contexte s’impose, Juliette. À commencer par ce qu’est le «dip».
Selon l’auteur, le «dip» est l’acronyme de «Décision Impossible ou Possible». Plus précisément, c’est le moment précis où il se produit quelque chose qui ne va pas dans ce qu’on fait, ce qui nous amène à nous interroger, plus ou moins consciemment : renoncer ou persévérer?
C’est que la façon dont on fait quelque chose (mener à bien une tâche, un projet, un apprentissage, etc.) se déroule presque toujours suivant le même schéma, estime Seth Godin. Au début, lorsqu’on commence, c’est amusant : on trouve cela intéressant, on enregistre des progrès rapides, on obtient des commentaires positifs de la part de ceux qui nous entourent. Et puis arrivent au bout d’un moment les premières difficultés, ce qui ralentit nos progrès, même si nous produisons toujours autant d’efforts. Et le ralentissement finit par se faire cruellement sentir : nous ne progressons plus, nous nous trouvons sur un plateau, et si jamais nous relâchons un peu nos efforts, nous régressons. Nous sommes à ce moment-là au beau milieu du dip.
Dès lors, deux possibilités se présentent à nous. Soit nous poursuivons malgré tout nos efforts, et là, les résultats deviennent exponentiels. Par exemple, nous comprenons enfin à comprendre comment garder notre équilibre sur un vélo, et un tout nouveau monde s’ouvre alors à nous. Soit nous persévérons, en vain. Nous gaspillons à ce moment-là notre temps et nos efforts, à l’image notamment de la troupe de théâtre qui s’acharne à faire toujours les mêmes représentations devant des salles vides.
Juliette, vous semblez bel et bien dans le dip. D’où l’intérêt de répondre aux trois questions suggérées par Seth Godin visant à savoir s’il convient de renoncer, ou pas.
- Suis-je en train de paniquer?
«La décision de renoncer se prend souvent sous l’impulsion du moment, mais c’est justement le mauvais moment pour prendre une décision aussi cruciale, note l’auteur. Si tant d’entre nous renoncent au milieu du dip, c’est parce que, sans compas ou plan précis, ils considèrent que la chose la plus facile à faire est de renoncer. Or, la facilité n’est jamais garante du succès.»
Autrement dit, Juliette, demandez-vous froidement si vous êtes en train de paniquer face à la difficulté rencontrée. Si tel est le cas, renoncer est probablement la mauvaise option.
2. Qui suis-je en train d’essayer d’influencer?
Lorsqu’on songe à renoncer, c’est souvent en raison du fait qu’on ne parvient pas à avoir l’influence qu’on espérait avoir. Par exemple, l’influence sur un client potentiel, qu’on appelle au téléphone pour la cinquième fois. Ou bien, l’influence sur un marché niché que l’on espère conquérir.
Il convient donc de vous demander qui vous voulez, au fond, influencer. S’il ne s’agit que d’une seule personne et que vos efforts ne se révèlent pas payants en dépit de vos efforts répétés, mieux vaut songer à renoncer lorsque vous vous sentez dans le dip.
«Influencer une personne, c’est comme escalader un mur, note l’auteur. Si vous parvenez à franchir le mur dès les premières tentatives, vous êtes gagnant. Dans le cas contraire, vous découvrirez souvent que le mur gagner en hauteur à chaque tentative.»
Et de poursuivre : «Influencer un marché, c’est-à-dire un groupe de gens, c’est plus comme grimper au sommet d’une colline qu’escalader un mur. Vous pouvez faire des progrès, un pas à la fois, et tandis que vous montez, les choses deviennent plus faciles. C’est que les gens d’un même marché parlent entre eux. Ils s’influencent les uns les autres. Chaque progrès que vous faites s’en trouve amplifié.»
3.Quels progrès mesurables suis-je en train de faire?
Poursuivre ses efforts en dépit du moindre progrès mesurable est pur gaspillage, estime Seth Godin. «Oui, gaspillage, car le refus de renoncer vous coûte une opportunité : vous pourriez faire un bien meilleur usage, et sûrement plus agréable, de votre temps», dit-il.
D’où la nécessité d’identifier des indicateurs de performance mesurables dans ce que vous faites. Et d’analyser ceux-ci sur une base régulière. Cela vous permettra de savoir si vos efforts sont voués à l’échec, ou pas. De savoir si vous êtes sur une voie sans issue, ou pas.
Voilà, Juilette. Répondez en toute honnêteté à ces trois interrogations, et vous aurez votre réponse.
En passant, une des répliques cultes concoctées par le dialoguiste français Michel Audiard pour le film «Maigret et l’affaire Saint-Fiacre» est : «Je sais que la bière fait grossir et que je devrais y renoncer. Mais j’ai préféré renoncer à la coquetterie.»