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RH: les vacances illimitées ont des limites

Catherine Charron|Édition de la mi‑février 2023

RH: les vacances illimitées ont des limites

En l’absence de cadre défini sur les vacances, des règles informelles ont tendance à émerger, ce qui peut accroit les conflits. (Photo: 123RF)

Après avoir passé les dix dernières années à vanter les mérites des vacances illimitées, comme la flexibilité et le sentiment d’autonomie qu’elles procurent, Marianne Lemay, présidente de Kolegz-Stratégies RH, un cabinet de servicesconseils en ressources humaines, n’est plus tout à fait du même avis. Du moins, pour sa propre organisation.

«Certains employés ont manifesté le désir d’avoir une limite. Le fait de ne pas en avoir peut causer de l’incertitude et du stress à l’idée d’en prendre trop ou pas assez, relate-t-elle. À vrai dire, il y a toujours une limite aux vacances illimitées:on ne paiera jamais quelqu’un pour qu’il soit absent toute l’année.»

La patronne a donc adopté une nouvelle formule: toutes ses coéquipières ont droit à sept semaines de repos par année et à autant de congés de maladie que nécessaire, sans que leur banque de vacances en fasse les frais.

Elle n’est d’ailleurs pas la seule experte à voir quelques failles dans les vacances illimitées. «Ce n’est pas si simple de donner une telle carte blanche, confirme Geneviève Provencher, présidente de Flow ressources humaines, un cabinet de servicesconseils spécialisé en politiques de travail flexibles. Il ne suffit pas d’ouvrir les valves, car les employés finissent par prendre moins de pauses que ce qui leur est attribué.»

 

Assurer un minimum

Ainsi, aussi multiples les bénéfices des politiques de vacances illimitées ou généreuses puissent-ils être, encore faut-il que les salariés se prévalent pleinement de leur privilège. Et ça, ce n’est pas garanti.

«Unlimited Paid Time Off Policies:Unlocking the Best and Unleashing the Beast», une analyse réalisée par quatre professeurs européens parue le 24 mars 2022 dans la revue universitaire Frontiers in Psychology, met en lumière ce phénomène.

«Si les vacances payées illimitées peuvent augmenter le sentiment de contrôle, de responsabilité et d’engagement au travail des employés, elles peuvent également conduire à des comportements professionnels dangereux pour soi, à de longues heures de travail et à l’épuisement», a-t-il été constaté.

En effet, l’employé pourrait notamment se sentir redevable et obligé d’être un travailleur modèle, mettant ainsi les besoins de l’équipe avant les siens.

De plus, en l’absence de cadre défini, des règles informelles ont tendance à émerger, ce qui «accroit les conflits sociaux», prévient-on, puisqu’on laisse place à l’interprétation.

D’où l’importance de réglementer — du moins en partie — les politiques de vacances qui vont au-delà du temps minimum prescrit par la Loi sur les normes du travail, soit de quelques jours à trois semaines selon le nombre de mois ou d’années passés au sein de l’entreprise.

Ce «bac à sable»peut par exemple préciser la part des vacances illimitées réellement payées par l’employeur, le nombre de semaines consécutives qui peuvent être prises, ou «établir comment on va évaluer la performance et le rendement d’un employé si celui-ci n’est pas là un ou deux mois par année», énumère Me Annie Bourgeois, avocate en droit du travail et de l’emploi et associée chez Langlois Avocats.

 

Créer un cadre

L’employeur doit aussi déterminer ce qui adviendra de l’indemnité de vacances du salarié s’il quitte ses fonctions.

«En cas de départ, s’il n’y a pas de règles sur la prise ou sur la comptabilisation [des jours de repos], ça peut causer un flou juridique autour du montant auquel l’employé aura droit», met en garde Me Annie Bourgeois. Certains édictent notamment qu’après avoir touché de 4 % à 6 % de son revenu brut pendant les quelques jours aux trois semaines prévues dans la loi, l’employé recevra sa paie normale lors des pauses supplémentaires qu’il prendra, a déjà observé Brittany Carson, avocate en droit du travail et de l’emploi et associée chez Lavery. L’autre piège qui peut guetter les organisations qui ne comptabilisent pas les vacances, c’est de s’appuyer sur une telle politique pour ne pas avoir à débourser pour le temps de travail supplémentaire accumulé.

Sauf exception, les personnes rémunérées «avec un taux horaire ont droit à ce que ce temps de travail supplémentaire soit payé. […] Et on ne peut imposer à l’employé de l’avoir en vacances», rappelle Me Brittany Carson.

 

Faire preuve de créativité

Les expertes ne veulent pas pour autant décourager les entreprises à faire preuve de créativité en matière de gestion des vacances. De belles réussites, il en existe.

En plus de créer un cadre, Marianne Lemay recommande de jauger le bond qui sépare ce qu’on désire permettre à son équipe et ce qui lui est déjà proposé. «Une PME qui n’offre que deux semaines et qui souhaite tendre vers l’illimité va ressentir un gros coup dans les opérations et dans le budget. […] On peut y aller graduellement pour s’y habituer et ne pas avoir des problèmes financiers», indique-t-elle. Geneviève Provencher suggère même de mener des projets pilotes pour tester ces nouvelles avenues.

Elle constate que de moins en moins d’entreprises bonifient leur politique de vacances en fonction de l’ancienneté, étant donné que les travailleurs fidèles se font plus rares et que davantage proposent des banques de journées «personnelles». Pour s’assurer que tous ses salariés profitent bel et bien du repos qui leur est accordé, la présidente de Flow ressources humaines exhorte les leaders à faire un suivi de la situation chaque trimestre. De plus, les patrons doivent donner l’exemple en prenant eux-mêmes le temps de s’exiler du boulot pour recharger leurs batteries.

«Une semaine de vacances par saison, ça pourrait aussi être intéressant pour la santé globale de tout le monde, ajoute-t-elle. Mais c’est rare que les gestionnaires et les employeurs encouragent ça. […] Pourtant, c’est prouvé qu’une personne reposée sera plus productive. C’est une culture à transformer.»