Emilia Lahti est doctorante à l'Université Aalto d'Helsinki. [Ph: Sisu not silence]
BLOGUE. Vous comme moi, nous disposons d’un pouvoir secret. D’un vrai pouvoir doté d’une puissance phénoménale. Et le plus incroyable, c’est que nous n’en avons même pas conscience.
Ce pouvoir a un nom: le sisu.
Et il se trouve que la toute première étude scientifique à son sujet vient d’être publiée, signée par Emilia Lahti.
Emilia Lahti ? Ce nom vous dit-il quelque chose ? Peut-être bien, si vous êtes un fan fini du blogue «En Tête» : j’ai parlé en effet de cette doctorante de l’Université Aalto à Helsinki (Finlande) dans un billet intitulé «Comment tirer du positif à partir du négatif?», le 17 mai 2016 ; et j’y présentais déjà les grandes lignes de ce qu’est le sisu, à partir des travaux en cours de la chercheuse finlandaise.
Depuis, Emilia Lahti et moi sommes devenus amis. Nous avons pu nous rencontrer lors de son dernier passage à Montréal, à l’occasion d’une soirée riche en émotions – il y a parfois, comme ça, des rencontres purement magiques… Et c’est ainsi que je suis maintenant en mesure de partager avec vous le fruit de son travail de recherche, qui vient tout juste de voir le jour.
Le sisu, donc. Permettez-moi de vous en dire deux mots, car je suis convaincu que cela peut changer votre vie. Ni plus ni moins.
Si vous demandez aux Finlandais ce qui définit la Finlande, ça ne loupera pas, il vous diront : «Sisu». Mais ils peineront à vous expliquer ce que c’est au juste, car ce terme n’a jamais été clairement défini.
«Sisu est un mot finlandais qui remonte à des centaines d’années, qui traduit un trait caractéristique des Finlandais, même si, en vérité, il s’agit d’un phénomène universel, explique Emilia Lahti, à l’occasion du dévoilement de son étude. Il vient des racines sisä (intérieur) et sisus (tripes), et évoque donc «ce qu’on a dans le ventre», soit un mélange de courage et de ténacité qui vient de plus profond de nous-mêmes. C’est, dit simplement, une force intérieure inexplorée, à laquelle on peut accéder lorsqu’on traverse une épreuve extrêmement pénible.»
Bref, le sisu est un terme intraduisible qui évoque le «second souffle» que l’on trouve au moment où l’on se croit à bout de souffle. C’est ce qui permet au marathonien de franchir le fameux cap des 35 km, où le coureur pense qu’il a tout donné et qu’il ne lui reste plus qu’à abandonner. C’est encore ce qui permet au nageur qui coule de donner ce petit coup de pieds qui le fera remonter à la surface comme par magie.
Le sisu nous rappelle que nous sommes fondamentalement des êtres humains, en ce sens que nous sommes non seulement fragiles et vulnérables, mais aussi résilients et puissants. Car chacun de nous a en lui la force insoupçonnée de faire face à l’adversité avec un cran et une énergie qui dépassent l’entendement.
Emilia Lahti l’a mis en évidence en analysant plus de 1 200 questionnaires remplis par des Finlandais qui avaient déjà expérimenté le sisu dans leur vie. «Le sisu est, à leurs yeux, la capacité d’un individu à dépasser ses limites préconçues – physiques comme psychiques –, en accédant à un stock d’énergie secret, dit-elle. Ce qui permet d’accomplir de petits miracles, comme celui d’aller jusqu’au bout d’un Ironman, ou encore de retrouver le goût d’aimer après avoir vécu un enfer conjugal.»
Ce n’est pas tout. L’étude a mis au jour une autre dimension du sisu qui, elle, était passée totalement inaperçue de tous ceux qui s’étaient penchés sur le phénomène. Il se trouve en effet que le sisu peut se révéler… destructeur.
«Lorsqu’on s’en sert mal, ou trop intensément, ça peut mal tourner, explique la chercheuse finlandaise. Prenons le cas du quotidien au travail. Un employé se sent au bord du gouffre, et soudain, il se découvre un surplus inattendu d’énergie – le sisu. Résultat ? Cela peut se traduire par des sautes d’humeur inhabituels, voire violents, à l’égard des autres. Cela peut également l’amener à redoubler d’ardeur au travail, et par suite à tutoyer l’épuisement professionnel. À force d’en faire trop, n’importe comment. En guise de baroud d’honneur.»
Ainsi, le sisu est un outil. Ni bon ni mauvais. Tout dépend de la façon dont on s’en sert.
Comment apprendre à manier notre sisu ? Emilia Lahti a tenu à le découvrir. Elle s’est mise elle-même en condition de l’exercer, histoire d’effectuer des tests essai/erreur, grâce à l’opération ‘Sisu not silence’.
Emilia Lahti en Nouvelle-Zélande. [Ph: Sisu not silence]
Il s’agissait d’un défi personnel : courir en solo 50 marathons en 50 jours en Nouvelle-Zélande, au début de 2018. L’objectif était double : d’une part, aller au bout d’elle-même ; d’autre part, faire voler en éclats le silence qui entoure la violence conjugale, dont elle a été elle-même victime par le passé.
«Lorsqu’on exerce trop de sisu, on nie la réalité, on ne voit plus les limites, on oblitère le noyau-même de notre humanité, dit-elle, au sujet de son expérience. C’est pourquoi il est bon, je pense, de recourir au sisu lorsque le besoin s’en fait sentir, mais en l’accompagnant impérativement de toute la bienveillance, la compassion, l’honnêteté envers nous-mêmes dont nous sommes capables. Car c’est là le seul moyen de ne pas tomber dans l’excès, d’atteindre un juste équilibre.»
Mieux, nous gagnerions tous à acquérir une meilleure compréhension de nous-mêmes à travers le sisu et ses naturels contre-balanciers. Tous, en ce sens de toute la société dans laquelle nous vivons. C’est qu’Emilia Lahti considère son étude comme une magnifique occasion d’engager un dialogue sociétal sur la manière d’améliorer notre quotidien.
«La Finlande est un cas intéressant, dit-elle. Nous sommes considérés comme le pays le plus heureux du monde, et il vrai que nous avons, entre autres, un excellent système de protection sociale. Pourtant, nous sommes un pays qui lutte contre le suicide, la dépression et la violence conjugale.»
D’après elle, la vie moderne est viciée, et nous pourrions – tous ensemble – contribuer à la création d’une feuille de route menant à un mode de vie plus harmonieux. Et ce, en montrant l’exemple dans notre propre quotidien, par exemple au sein de notre équipe de travail – c’est à qui veillera à ce qu’aucun membre de l’équipe ne souffre d’une surcharge de travail, ou encore à qui instaurera un petit rituel d’ouverture de réunion qui donnera le sourire à tout le monde (au lieu de se demander, en douce, ce qu’il fait là…), comme cette idée du «merci» à un collègue qui a su faire preuve dernièrement de gentillesse.
On le voit bien, l’idée est de renouer avec l’humain. Avec ce qui fait de nous des êtres à la fois faibles et puissants. Avec la beauté qui vibre au plus profond de nous-mêmes. C’est aussi simple que ça.
Impressionnant, n’est-ce pas ? Je vous l’avais bien dit, Emilia Lahti est vraiment une personne exceptionnelle. Et je me sens on ne peut plus priviligié de bénéficier de ses lumières…
Que retenir de tout ça, à présent ? Ceci, à mon avis :
> Qui entend devenir un super-héros au travail se doit de s’évertuer à se montrer le plus humain possible. Il lui faut accepter sa faiblesse comme sa puissance, et non plus faire tout son possible pour les dissimuler aux autres. Puis, il doit puiser dans toute l’audace et l’énergie dont il dispose – son sisu – pour oser apporter des améliorations à son quotidien ainsi qu’à celui de ses collègues. Et ce, en veillant farouchement à faire systématiquement preuve de bienveillance, de compassion et d’honnêteté. Et le tour sera joué !
En passant, l’écrivain français Victor Hugo a dit dans Les Misérables : «La vie, le malheur, l’isolement, l’abandon, la pauvreté sont des champs de bataille qui ont leurs héros ; héros obscurs plus grands parfois que les héros illustres».
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