SHRM: ce qui se cache derrière le retrait du «E» de sa stratégie EDI
Catherine Charron|Publié le 29 juillet 2024(Photo: 123RF)
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RHÉVEIL-MATIN. Le 10 juillet 2024, la plus grande association américaine de gestionnaires des ressources humaines, la Society for Human Resource Management (SHRM), annonçait qu’elle retirait le terme «équité» de sa stratégie de diversité, d’équité et d’inclusion (EDI). L’annonce a froidement été accueillie par bien des membres de la communauté de professionnels, certains appelant même au boycotte.
Prioriser l’inclusion, comme souhaite le faire l’association, n’a rien de mal en soi, indique Céline Morellon, PDG de Leaders de valeur groupe conseils. Sortir du «débat stérile» entourant le principe d’équité non plus, jusqu’à un certain point.
Dans la Revue RH de l’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés (CRHA), sa directrice générale, Manon Poirier, écrivait d’ailleurs que «l’inclusion est possiblement le véritable levier pour faire réellement bouger l’aiguille de la diversité. En effet, c’est peut-être sous cet angle qu’on peut encore mieux sensibiliser la société, les organisations et les gens qui les composent.»
Là où ça coince, c’est s’il en résulte de «nier la nécessité des actions correctrices», ce à quoi appelle le concept d’équité, nuance Céline Morellon.
La consultante craint que cette décision soit politique, dans un contexte où les programmes d’EDI rencontrent de plus en plus de réticences.
«En période de changement, particulièrement en période de transformation culturelle, les comportements défensifs sont courants. Ces comportements traduisent un inconfort temporaire. Ils doivent être repérés, mitigés et encadrés. Ces personnes doivent être accompagnées et rassurées», explique-t-elle.
Ce qui la dérange aussi dans le discours du SHRM, c’est une mécompréhension apparente de ce à quoi servent de telles stratégies. En effet, l’organisme aspire à «l’inclusion pour tous, pas que pour certaines personnes», a dit Johnny C. Taylor Jr., son président.
«Les processus inclusifs ne visent pas à priver qui que ce soit de quoi que ce soit, rappelle Céline Morellon. […] Sous-entendre que la gestion actuelle des concepts EDI serait dommageable pour les personnes majoritaires, c’est dangereux et inexact.»
L’autre risque, d’après l’Ordre des CRHA, c’est d’invisibiliser le concept d’équité en estimant que ça fait partie de l’inclusion. «Le rendre moins explicite dans le vocabulaire courant pourrait réduire les actions qui sont prises en son nom et, par ce fait même, ralentir la progression vers l’inclusion», prévient-on dans un courriel. C’est pourquoi l’organisation ne compte pas emboiter le pas à l’association américaine.
Le paradoxe de l’EDI en 2024
L’EDI n’en est pas à sa première polémique sémantique, rappelle Sarah Bourdeau professeure au département d’organisation et ressources humaines à l’Université du Québec à Montréal. Tout dépend de la définition que l’on a de chacun des termes.
«L’inclusion c’est d’avoir un environnement jugé respectueux et redevable de ses actions par tous les partis, surtout celles issues de populations marginalisées. L’équité, c’est lorsqu’il y a absence de discrimination, estime-t-elle. Un milieu inclusif n’est pas nécessairement équitable.»
Si les démarches EDI rencontrent autant d’embuches après la lune de miel qui a suivi 2020, c’est qu’elles suscitent des réactions défensives, démontrent de plus en plus d’étude. Plusieurs facteurs contribuent à nourrir ce phénomène, dont le white fragility, ou la fragilité blanche.
«Le traitement préférentiel, la discrimination positive à l’embauche, les prises de paroles sur la diversité, ça laisse croire que sans eux, les personnes issues de groupe marginalisé ne seraient pas capables de fonctionner», explique-t-elle.
C’est pourquoi on observe un repositionnement de l’EDI, pour tenter d’arriver aux mêmes fins sans pour autant activer les biais que l’on tente de déconstruire. Changer les mentalités en milieu de travail et la culture n’a rien de simple, observe-t-elle, surtout si la direction et les gestionnaires n’incarnent pas le changement de comportement.
Si l’intention de SHRM est bel et bien de contribuer à créer des environnements de travail où tous peuvent s’y épanouir, l’énergie aurait dû être mise à tenter de trouver une solution à ce paradoxe, plutôt qu’à jouer sur la sémantique.