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Transparence salariale: le pour et le contre

Olivier Schmouker|Publié le 12 janvier 2023

Transparence salariale: le pour et le contre

La transparence salariale peut avoir du bon, mais elle peut aussi faire beaucoup de mal. (Photo: Anh Tuan To pour Unsplash)

MAUDITE JOB! est une rubrique où Olivier Schmouker répond à vos interrogations les plus croustillantes [et les plus pertinentes] sur le monde de l’entreprise moderne… et, bien sûr, de ses travers. Un rendez-vous à lire les mardis et les jeudisVous avez envie de participer? Envoyez-nous votre question à mauditejob@groupecontex.ca

Q. – «Mon nouvel employeur interdit toute discussion de salaire entre employés. Ça m’incite à croire que plusieurs ne sont pas rémunérés à leur juste valeur, dont moi. La confiance que j’avais envers mon employeur en a pris un méchant coup. Comment remédier à une telle situation?» – Martin

R. – Cher Martin, pour commencer, sachez que vous n’êtes pas le seul à être frustré par l’opacité des salaires, loin de là. Un sondage Léger mené l’an dernier pour le compte de Talent.com et YPR a mis au jour le fait que, comme vous, 22% des Québécois pensent avoir déjà été victimes de discrimination salariale, faute de transparence dans le système de paie en vigueur au sein de leur organisation.

C’est bien simple, 63% des Québécois croient que la transparence salariale améliorerait l’équité entre hommes et femmes, et même celle entre majorité et minorités dans une proportion de 56%. Cela dit, seulement 43% d’entre eux se sentiraient à l’aise de voir leur salaire dévoilé au grand jour.

Ce dernier point me paraît crucial. Car il met le doigt sur le nœud du problème en ce qui concerne la transparence salariale: employeurs comme employés, nous souhaitons tous davantage de justice dans la rémunération des uns et des autres, mais voilà, personne ne souhaite que cela se fasse au détriment de certains, en particulier de soi-même. Logique.

Tout cela signifie que le défi fondamental en matière de transparence salariale réside dans le degré de transparence que nous pouvons tolérer, et par suite dans la manière dont se fait la transparence au sein de notre organisation. Pour prendre une image simple, imaginez, Martin, qu’au lieu de parler de salaires on parle de vêtements: personne ne serait à l’aise de voir tout le monde en sous-vêtements, comme ça, du jour au lendemain; en revanche, si le contexte s’y prête (l’été, la plage), ça ne pose de problème à personne de voir les autres en tenue de bain et d’être soi-même en maillot de bain.

Autrement dit, la transparence salariale, ça doit soigneusement se préparer, sans quoi on va droit à la catastrophe. Il faut tenir compte du pour et du contre, dont voici trois exemples.

> POUR

– Grâce à la transparence salariale, l’organisation peut réduire les écarts de salaires. Ce qui va sûrement se révéler positif pour les femmes et les minorités présentes au sein de l’organisation. Entre autres.

– L’organisation garde le contrôle sur la politique salariale. Jouer la transparence ne veut pas dire changer sa grille salariale, ni même sa politique de rémunération. En vérité, cela va lui faire gagner en clarté concernant sa façon de gérer les salaires.

– L’organisation témoigne ainsi d’un véritable leadership, car elle fait preuve d’ouverture et d’authenticité. D’ailleurs, une étude menée par l’Université de Tel-Aviv, en Israël, a montré que cela avait un impact positif sur la performance des employés: plus le secret sur les salaires est intense, plus l’efficacité des employés va en diminuant; et inversement.

> CONTRE

– L’organisation peut perdre en attractivité, si jamais elle réalise ainsi que ses salaires ne sont pas compétitifs. En effet, à quoi bon postuler, quand on est un jeune talent prometteur, pour une job moins bien payée que ce qu’offre la concurrence?

– Les employés peuvent devenir jaloux les uns des autres, si jamais certains écarts de salaires semblent a priori injustifiés. D’ailleurs, une expérience à ce sujet a été menée au sein d’une université américaine: du jour au lendemain, chacun pouvait librement consulter les bulletins de paie de tout le monde. Résultat? 10% des professeurs – pour la plupart, en bas de l’échelle salariale – ont présenté leur démission dans les six mois qui ont suivi, considérant qu’ils n’étaient pas payés «à la hauteur de leur talent».

– Les gestionnaires se retrouvent sous pression, si jamais il leur revient de justifier certaines différences salariales qui suscitent des interrogations. Ils se retrouvent coincés entre l’arbre et l’écorce, ne pouvant changer quoi que ce soit à la paie des uns et des autres et n’ayant parfois même pas l’explication des «bizarreries» en question.

On le voit bien, une transparence salariale mal appliquée peut «vite mener au chaos», comme le disait sans ambages Tim Low, à l’époque où il était vice-président marketing de Payscale, en s’appuyant sur l’analyse des données sur la rémunération de plusieurs milliers d’entreprises.

Bref, Martin, la transparence salariale peut avoir du bon, mais elle peut aussi faire beaucoup de mal. D’où la nécessité d’y aller pas à pas, de manière concertée avec l’ensemble des employés. Et ma suggestion concernant votre cas particulier: laissez traîner cette chronique ici et là dans votre organisation, en particulier à un endroit que fréquentent souvent les membres de la haute direction. Qui sait? Peut-être cela donnera-t-il des idées à votre employeur…