Logo - Les Affaires
Logo - Les Affaires

Un PDG peut-il être «trop vieux»?

Olivier Schmouker|Publié le 21 février 2023

Un PDG peut-il être «trop vieux»?

La capacité de bien gérer une entreprise diminue avec l’âge, selon une récente étude. (Photo: Edrece Stransberry pour Unsplash)

MAUDITE JOB! est une rubrique où Olivier Schmouker répond à vos interrogations les plus croustillantes [et les plus pertinentes] sur le monde de l’entreprise moderne… et, bien sûr, de ses travers. Un rendez-vous à lire les mardis et les jeudisVous avez envie de participer? Envoyez-nous votre question à mauditejob@groupecontex.ca

Q. – «Je sais que ma question n’est pas politiquement correcte, mais je me lance tout de même. Notre PDG n’est plus tout jeune, il s’approche de l’âge de la retraite. Il n’a plus la fougue d’avant, il fait preuve de ce qu’il appelle la «force tranquille». Mais moi, je m’interroge: avons-nous vraiment besoin d’un leader qui se montre toujours prudent, surtout en ces temps de vive concurrence? Ne nous faudrait-il pas mieux un PDG plus jeune, à tout le moins plus dynamique et audacieux?» – Émile

R. – Cher Émile, il est clair qu’il n’est pas question de faire d’âgisme dans cette chronique. Cela étant, votre interrogation me semble pertinente, car la population du Québec vieillit rapidement. Selon les projections de l’Institut de la statistique du Québec (ISQ), le quart des Québécois seront âgés de 65 ans ou plus en 2031 et près du tiers, en 2061. Il nous faut donc avoir le cran de regarder cette réalité en face, et d’en tirer des enseignements pour notre futur commun, en particulier celui de nos entreprises.

De nombreuses études portent sur l’incidence de l’âge des PDG, et elles semblent a priori donner des résultats contradictoires. Certaines études montrent ainsi que le vieillissement d’un PDG est en général corrélé à «davantage de mauvaises prises de décision», une «baisse globale de la performance financière de l’entreprise», ou encore une «plus faible valorisation en Bourse». Cependant, d’autres études montrent que les entreprises gérées par des PDG âgés ont la plupart du temps une «meilleure qualité d’information financière», une «moindre volatilité des rendements boursiers», ou bien des «investissements moins risqués et plus diversifiés» que celles dirigées par de jeunes PDG.

Lesquelles ont raison? Lesquelles ont tort? En fait, aucune étude empirique n’a démontré une relation directe entre l’âge d’un PDG, sa capacité managériale et la performance de l’entreprise qu’il dirige. Et la question était restée ouverte jusqu’à la récente publication d’une étude sur ce point précis, pilotée par Rosemond Desir, professeur de comptabilité à l’Université Florida Atlantic, à Boca Raton (États-Unis).

L’équipe de chercheurs dirigée par M. Desir a recueilli des données sur des milliers d’entreprises américaines et leurs PDG glanées entre 1992 et 2018. Puis, elle a recouru à différentes formules mathématiques visant à évaluer la performance managériale de chaque PDG considéré (la qualité de ses prises de décision, etc.) et la performance financière de son entreprise (profits, etc.), l’idée étant de découvrir si l’âge du PDG a la moindre incidence sur les résultats affichés par l’entreprise.

La conclusion de l’étude est sans appel: «Les PDG plus âgés affichent des capacités de gestion d’une entreprise nettement inférieures à celles des PDG plus jeunes», est-il écrit noir sur blanc. Elle enfonce carrément le clou: «La capacité de bien gérer une entreprise diminue avec l’âge».

Autrement dit, il est vrai, et l’étude le souligne, que le vieillissement d’un haut dirigeant se traduit souvent pour lui-même par une «plus grande expérience», des «compétences développées» et une «meilleure performance au travail». Mais cela ne compense pas, ce que souligne toujours l’étude en s’appuyant sur d’autres travaux de recherche, une «diminution significative de la fonction cognitive, de l’énergie, de l’ambition et, de manière générale, de la capacité à gérer une entreprise».

Bref, il semble bel et bien que la «force tranquille» dont vous parlez, Émile, ne rivalise pas avec la «fougue créatrice» d’un jeune PDG.

Faut-il en conclure que les PDG d’un certain âge devraient systématiquement se faire montrer la porte par le conseil d’administration de l’entreprise? Non, bien sûr que non, car ce serait là une décision déplorable, basée sur l’âgisme. L’idéal, ce serait que le PDG prenne lui-même conscience de l’inévitable diminution de ses capacités à diriger et accorde une large partie de son temps à former sa relève. Oui, l’idéal serait qu’il fasse preuve d’humilité et de sagesse, en faisant de la formation de la relève sa grande priorité. Ce qui, il est vrai, n’est jamais chose aisée.

D’ailleurs, il est à noter qu’aux États-Unis, où la population se fait elle aussi vieillissante, les conseils d’administration de la majorité des entreprises du S&P 1500 ont mis en place, ces dernières années, des politiques de «retraite obligatoire» pour le PDG, passé un certain âge. Même chose pour le tiers des entreprises du S&P 500. C’est que ces C.A. ne veulent surtout pas voir des PDG vieillissants s’accrocher au pouvoir coûte que coûte, bien souvent au détriment de l’entreprise elle-même…

En passant, Napoléon Bonaparte disait: «L’art de gouverner consiste à ne pas laisser vieillir les hommes dans leur poste».