Le service au volant a gagné en popularité depuis la pandémie. (Photo: Tim Cooper pour Unsplash)
MAUDITE JOB! est une rubrique où Olivier Schmouker répond à vos interrogations les plus croustillantes [et les plus pertinentes] sur le monde de l’entreprise moderne… et, bien sûr, de ses travers. Un rendez-vous à lire les mardis et les jeudis. Vous avez envie de participer? Envoyez-nous votre question à mauditejob@groupecontex.ca
Q. – «J’ai prévu comme job d’été de travailler au service au volant d’une chaîne de restauration rapide. C’est facile à faire et c’est payant. Mais mon chum m’a dit que je devrais chercher autre chose, car cette chaîne va bientôt confier cette job à des robots. Est-ce vrai? Et si oui, quelle autre job pas compliquée, qui ne sera pas prise par les robots, me conseilleriez-vous de choisir cet été?» – Sara
R. — Chère Sara, l’intelligence artificielle (IA) générative, dont le porte-étendard est aujourd’hui ChatGPT, est en train de bousculer nombre de domaines d’emploi, et le service au volant est, en toute logique, un des principaux concernés. En toute logique puisque l’IA générative est capable, entre autres, d’avoir des discussions avec des êtres humains sans que ces derniers ne puissent soupçonner qu’ils n’ont pas affaire à un être humain.
Le champ des possibles est impressionnant: prendre une commande, poser des questions pertinentes pour clarifier cette commande, répondre à une question précise concernant l’un des menus offerts, ou même comprendre qu’un automobiliste fait une joke en même temps qu’il passe sa commande et en rire de bon cœur, tout cela, l’IA générative en est d’ores et déjà capable.
On peut même aller plus loin. Techniquement, l’IA générative pourrait prendre la voix de Pier-Luc Funk ou de Katherine Levac. Ou bien, elle pourrait chantonner chacune de ses réponses avec la voix d’Hubert Lenoir ou de Charlotte Cardin.
On le voit bien, il est difficile de rivaliser avec tout ça… D’autant plus que l’IA générative ne demande aucun salaire, ne prend pas de congés, ni même de pause, et travaille 24/7 sans jamais rechigner, et encore moins se mettre en grève.
Sans surprise, nombre de chaînes de restauration rapide se ruent actuellement sur de telles IA. Wendy’s a révélé la semaine dernière qu’elle s’était associée à Google pour implanter une IA générative — Vertex AI — au service au volant de ses restaurants de Colombus, dans l’Ohio. L’opération doit débuter sur le terrain en juin. Le but est d’«offrir une expérience vraiment différenciée, plus rapide et sans friction à nos clients», a dit Todd Penego, le PDG de Wendy’s, dans un communiqué.
L’intérêt de Wendy’s est évident: la pandémie a fait gagner en popularité le service au volant, qui représente aujourd’hui près de 80% des commandes qui lui sont faites. «L’IA générative va changer fondamentalement la façon dont les gens interagissent avec les marques, et nous estimons que l’opération menée avec Wendy’s va établir une nouvelle norme pour l’industrie de la restauration rapide», a noté Thomas Kurian, le PDG de Google Cloud, dans un rapport.
Aux États-Unis, d’autres chaînes s’y mettent également. Par exemple, Hardee’s et Carl’s Jr., qui appartiennent toutes deux au groupe CKE Restaurants, ont récemment annoncé leur intention de se doter d’une IA générative. Ou encore, Checkers and Rally’s, tout comme Krystal, effectuent des tests à ce sujet depuis quelques mois.
McDonald’s est un précurseur, lui qui teste l’IA pour son service au volant depuis maintenant plusieurs années. Mais les résultats mitigés qu’il a obtenus jusqu’à présent résultent du fait que l’IA n’est générative que depuis une poignée de mois: en gros, l’IA n’était jusqu’alors pas assez «intelligente» pour avoir une vraie discussion avec un client, à tout le moins pour recevoir et gérer correctement une commande.
Bref, McDonald’s n’était pas franchement convaincue. Mais l’avènement de l’IA générative change la donne. Pour elle comme pour ses concurrents.
Alors, Sara, faut-il vous inquiéter pour votre job d’été? La réponse est non. Aucune IA générative ne va prendre votre place à très court terme. Cela étant, dans un an, il se pourrait bien que ce soit un peu plus compliqué pour vous de trouver une nouvelle job «pas compliquée». Car les «robots», comme vous dites, vont intéresser de plus en plus d’employeurs, surtout ceux qui se plaignent de souffrir d’une pénurie de main-d’œuvre au point de craindre pour la pérennité de leurs affaires: les tâches, pour ne pas dire les jobs, «pas compliquées» sont appelées à tomber dans les talles des «robots». Ni plus ni moins.
Tyna Elloundou, une chercheuse d’OpenAI, a piloté en mars une étude sur l’impact potentiel de ChatGPT sur le marché du travail américain. Résultats? Accrochez votre tuque:
– 80% de la main-d’œuvre américaine pourrait perdre «au moins 10%» de ses tâches au profit d’une IA générative, du jour au lendemain.
– 19% de la main-d’œuvre américaine pourrait perdre «au moins 50%» de ses tâches au profit d’une IA générative, du jour au lendemain.
– «Bientôt», 15% de toutes les tâches effectuées actuellement par les travailleurs américains pourraient être effectuées par une IA générative, «plus vite et avec la même qualité».
– Au vu des avancées actuelles en matière d’IA générative, ce pourcentage pourrait monter à «47 ou 56%» de toutes les tâches.
En conclusion, l’étude dresse la liste des métiers dont les emplois ne sont pas menacés par l’IA générative ; celle-ci ne comporte que 34 professions.