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Annie Boilard

Travailler agilement en équipe

Annie Boilard

Expert(e) invité(e)

Reconnaissez-vous les efforts de vos équipes pour accueillir un employé demandeur d’asile?

Annie Boilard|Mis à jour le 13 août 2024

Reconnaissez-vous les efforts de vos équipes pour accueillir un employé demandeur d’asile?

La réalité des demandeurs d’asile est si particulière qu’il peut sembler très difficile de s’adapter. Chaque entreprise, chaque équipe et chaque responsable qui travaille auprès de ces travailleurs doit trouver des solutions pour chaque défi rencontré. (Photo: 123RF)

EXPERTE INVITÉE. Ce n’est pas sans heurt que les demandeurs d’asile arrivent et s’intègrent au Québec. Les épreuves qu’ils surmontent inspirent respect et admiration. Bien sûr, nos entreprises sont reconnaissantes de pouvoir compter sur un plus vaste bassin de main-d’œuvre potentiel, de les recruter et de les intégrer dans nos équipes.

Lorsqu’il est question d’intégrer des demandeurs d’asile, toutes les parties fournissent des efforts considérables d’adaptation et de flexibilité. Reconnaissons-nous suffisamment les efforts déployés par les équipiers lors de l’accueil d’un collègue demandeur d’asile?

Demandeurs d’asile: une réalité bien différente des autres immigrants

Ils sont très nombreux. En 2024, ils sont près de 65 000 à être arrivés sur le territoire québécois.

Nous accueillons des immigrants sur notre territoire depuis toujours. Cependant, l’histoire des demandeurs d’asile diffère de celle des familles qui ont décidé, préparé leur départ et attendu leurs documents officiels dans leur pays d’origine. Dans un projet d’immigration, les gens ont le temps de prendre une décision éclairée, de célébrer leur départ et de préparer leur arrivée. Et puis, soyons honnêtes, la majorité garde en tête que si jamais ça ne fonctionnait pas ici, ils pourront toujours retourner dans leur pays d’origine.

La réalité des demandeurs d’asile n’est aucunement du copier-coller des autres types d’immigrants! Tout d’abord, leur décision est souvent précipitée, il n’y a pas nécessairement de rassemblement pour informer leur proche de leur départ et ils n’ont aucun plan de secours si leur expatriation ne se déroule pas bien. Pour eux, pas de «plan B»: il faut que ça fonctionne dans leur terre d’accueil!

C’est pourquoi les demandeurs d’asile débutent leur recherche d’emploi une fois sur place. C’est une fois arrivés ici qu’ils sont accompagnés et guidés pour mettre à jour leur CV, en plus de découvrir la culture, la mentalité et les saisons de leur terre d’accueil. C’est assurément beaucoup d’information à absorber!

Aide-mémoire sur la réalité des immigrants et demandes d’asile

ÉmigrantDemandes d’asiles
Date du départConnue, départ célébréDépart souvent improvisé
Permis de travailObtenu avant le départDélai d’environ 9 mois après leur arrivée
Réalité financièrePrévisibleTendue et précaire
Possibilité de revenir en arrièrePossibilité de retourner vivre dans leur pays d’origine s’ils le désirentPas de plan B Retour dans leur pays impossible

Adapter les processus de recrutement et d’intégration

La première étape pour recruter des demandeurs d’asile est de les localiser et de communiquer avec eux. Contrairement aux recruteurs internationaux, c’est souvent par l’intermédiaire des communautés existantes que les entreprises font leurs premiers contacts avec ces employés potentiels.

Quant aux vérifications des antécédents et de l’expérience de travail indiquée sur le CV, cette étape devient vite obsolète. Bien souvent, le document n’est pas disponible ou les informations sont difficilement vérifiables. On y va alors avec une approche plus humaine: «raconte-moi ton parcours, partage qui tu es, évoque ce qui compte pour toi.»  

Suivrons les processus d’accueil et intégration qui seront également être adaptés.

S’adapter sur le plan linguistique et culturel

Lorsqu’ils s’intègrent dans une entreprise, le niveau de stress des demandeurs d’asile n’est pas comparable à celui vécu par les autres immigrants. Plus de stress implique souvent moins de rétention d’information. Les collègues feront preuve de patience.

S’ajoute à cela l’intégration linguistique qui constitue un défi majeur. Le contrat d’emploi sera rédigé en français, qui n’est pas nécessairement une langue maîtrisée par l’employé. Il faudra avoir recours à des traducteurs informels tels que des collègues parlant la même langue, des voisins ou des membres de la famille des nouveaux arrivants, et parfois transiger en anglais. Bien sûr, ces interprètes ne sont pas nécessairement expérimentés à discuter de la réalité professionnelle de l’entreprise, ce qui représente un défi en soi.

Pour les collègues, ces traducteurs improvisés deviennent une étape de communication additionnelle. Il y a aussi les échanges entre nouveaux arrivants qui se déroulent parfois dans une langue qui leur est inconnue qui peut interpeller leur ouverture d’esprit et leur flexibilité.

Les entreprises comptent sur des parrains et des marraines au sein de leur équipe pour faciliter l’intégration. Ces individus, souvent issus de l’immigration eux aussi, apportent un soutien essentiel pour aider les nouveaux arrivants à s’adapter. Ils accompagnent ces derniers dans le développement de relations interpersonnelles, un élément clé pour une intégration réussie. La simulation d’activités en équipe contribue à renforcer les liens et à promouvoir une culture collaborative.

Bien qu’ils le fassent avec un grand cœur, les tâches de ces collègues continuent de s’accumuler jusqu’à ce que les nouveaux arrivants atteignent assez d’autonomie.

Adapter la formation

Former des employés demandeurs d’asile apporte aussi des particularités à prendre en considération.

Les collègues en place agissent généralement comme coach technique ou formateur. Il leur faut alors adapter leur approche et illustrer, schématiser et photographier les consignes notamment en matière de santé et à la sécurité du travail (SST). Cette adaptation est essentielle afin d’assurer la compréhension et la rétention.

S’il le faut, décorez les murs de vos locaux avec des affiches informatives, quitte à les transformer en d’immenses aide-mémoire!

C’est un boulot pour lequel les équipes méritent d’être reconnues.

Favoriser la communication et l’inclusion

Il n’y a pas d’intégration sans conversation et, face à l’inconnu ou l’incompris, il y a toujours un risque de maladresse. Certains coéquipiers et gestionnaires pourraient hésiter à initier des échanges et poser des questions de peur de commettre des erreurs, d’insulter ou de causer de la peine à leur nouveau collègue. Encouragez vos équipes à surmonter ces craintes!

Prenons l’exemple véritable d’un demandeur d’asile que nous renommerons Anton. Nouvellement embauché, il se présente à l’heure les deux premiers jours de son emploi puis en retard de plus de 1 h 30 la troisième journée.

Il aurait été facile de conclure à de la négligence, mais le patron a pris le temps de demander ce qui s’était passé. Il s’avère qu’un chantier de réfection d’une rue sur son passage a engendré un chemin de contournement dédié aux voitures. L’employé, qui se déplaçait à pied pour aller travailler — trajet de 1 heure — a suivi les indications de son mieux, causant son retard.

Contrairement aux autres immigrants, les demandeurs d’asile n’arrivent pas au Québec avec un compte de banque plein. Ils doivent attendre au Canada l’émission de leur permis de travail sans pouvoir générer des revenus. Les cycles des paies en place au Québec peuvent faire qu’un employé reçoive sa rémunération que trois semaines après son premier jour de travail.

Tout cela fait que lorsqu’ils commencent un boulot, ils n’ont pas nécessairement les ressources financières pour acquérir une passe d’autobus (ou de métro). Ils doivent parfois attendre et économiser pour acquérir leur premier vélo et gagner en autonomie. Connaître leur situation vous permettra de les accompagner au niveau professionnel, et personnel.

Construire un avion en plein vol

La réalité des demandeurs d’asile est si particulière qu’il peut sembler très difficile de s’adapter. Chaque entreprise, chaque équipe et chaque responsable qui travaille auprès de ces travailleurs doit trouver des solutions pour chaque défi rencontré.

N’oublions pas que la diversité est une richesse qui requiert un engagement profond ainsi qu’une volonté constante d’apprentissage.

Notre admiration va rapidement aux demandeurs d’asile qui ont surmonté des obstacles inimaginables pour nous rejoindre. Cependant, n’oublions pas de reconnaître aussi les équipiers qui ouvrent leur cœur et font preuve de bienveillance en créant un accueil mémorable à leurs collègues demandeurs d’asile.