Une astuce inspirée du jeu d'échecs. (Photo: Mesh pour Unsplash)
MAUDITE JOB! est une rubrique où Olivier Schmouker répond à vos interrogations les plus croustillantes [et les plus pertinentes] sur le monde de l’entreprise moderne… et, bien sûr, de ses travers. Un rendez-vous à lire les mardis et les jeudis. Vous avez envie de participer? Envoyez-nous votre question à mauditejob@groupecontex.ca
Q. – «Je suis content, ma start-up connaît un succès croissant. C’est le signe que j’avais visé juste en la lançant. Mais voilà, plus elle grandit, plus les décisions à prendre me semblent complexes, et plus j’ai l’impression que la moindre erreur serait lourde de conséquences. Ça me stresse beaucoup. Y a-t-il un truc pour s’assurer de ne prendre que de bonnes décisions quand celles-ci sont vraiment importantes?» – Alexi
R. — Cher Alexi, dès qu’il s’agit de prise de décision, je pense à l’une de mes passions, le jeu d’échecs. La moindre erreur peut être fatale. Le trait d’esprit du champion français Xavier Tartacover est connu: «Celui qui gagne aux échecs, c’est celui qui fait l’avant-dernière erreur».
D’où ma suggestion de vous inspirer des grands joueurs d’échecs dès lors qu’il vous faut prendre une décision importante. Et ce, en suivant un truc simple que j’ai déniché dans une récente étude menée par deux professeurs d’économie managériale et de sciences de la décision de l’École de management Kellogg, Yuval Salant et Jörg Spenkuch.
Les deux chercheurs ont eu accès à la base de données du site Lichess.org, en particulier à toutes les parties qui s’y sont jouées en ligne entre janvier 2013 et août 2020. Parmi celles-ci figuraient des parties de joueurs débutants ou moyens, mais aussi des parties d’experts (des joueurs ayant le titre officiel de «maître» ou de «grand maître»). Ce qui les a amenés à analyser une sélection de 227 millions de coups importants faits par des joueurs de tous niveaux. Des coups complexes puisqu’ils représentaient un total de 4,6 milliards de coups jouables que les deux chercheurs ont classé en deux catégories: 1) le meilleur coup et 2) les coups moins bons, dont les pires pouvaient mener droit à la défaite.
Leur objectif était de voir ce qui faisait que les experts prenaient la bonne décision là où les autres se plantaient, plus ou moins gravement. Et ce qu’ils ont ainsi découvert est on ne peut plus intéressant.
— Sans surprise, plus la situation est complexe, plus il est rare que le bon coup soit identifié. Cela étant, les experts y parviennent «beaucoup plus aisément» que les autres.
— Les experts qui trouvent le bon coup recourent à deux leviers: la compétence et la gestion du temps.
— Compétence. La compétence revient ici à écarter d’emblée nombre de coups «faibles»: ils sentent aussitôt que ce n’est pas le meilleur coup, qu’il y a sûrement mieux que ceux-là, et ne perdent donc pas leur temps et leur énergie à «calculer» comment la situation évoluerait si jamais ils jouaient l’un d’eux. C’est l’expérience et la connaissance qui leur permet d’écarter rapidement ces coups-là.
— Gestion du temps. Les experts ne «calculent» pas nécessairement des séries de coups plus vite ou mieux que les autres. La vraie différence, c’est qu’ils gèrent mieux leur temps de réflexion.
D’une part, comme on l’a vu, ils ne s’attardent qu’à deux ou trois coups différents, là où les autres se lancent dans une analyse qui peut concerner le double de coups différents (ce qui augmente, en fait, le risque de se tromper).
D’autre part, les experts prennent tout le temps nécessaire pour faire leur analyse de la situation. Si cela nécessite 10 minutes, ils prendront ces 10 minutes. S’ils ont besoin d’une demi-heure, ils la prendront. En tournoi, les champions n’hésitent pas à consacrer une heure ou plus au coup qui, ils le sentent, sera le tournant de la partie. De leur côté, les joueurs débutants ou moyens ne tiennent pas aussi longtemps, ils finissent par perdre patience et jouent un coup «faible», en ayant parfois même conscience qu’il y avait sûrement mieux à jouer.
Autrement dit, les experts vont droit au but, ils ne tergiversent pas entre une multitude de choix. Ils font vite le tri pour n’en retenir que les deux ou trois les plus intéressants, selon ce que leur dit leur expérience et leurs connaissances.
De plus, les experts prennent tout le temps disponible pour mener à bien leur réflexion. Ils glanent le maximum d’informations pertinentes, font les calculs appropriés de la manière la plus objective possible (par exemple, sans se mentir à eux-mêmes lorsque la situation est épineuse), restent calmes dans la tempête et font leur choix à l’instant même où ils atteignent une certitude.
La conclusion saute aux yeux: pour toujours faire le bon choix, il convient de miser sur sa compétence et de se donner le temps nécessaire pour décider. C’est aussi simple que ça.
Pierre Marc Tremblay, le propriétaire de la chaîne de restaurants Pacini, est le vivant exemple de l’efficacité de cette approche. Lors d’un récent événement, il a dit, sans sourire: «Aujourd’hui, je travaille le moins possible. Je ne fais plus que 40 heures par semaine, ce qui est très peu dans le milieu de la restauration.»
La raison? «J’ai réalisé que chacune de mes décisions était critique pour l’entreprise, et donc que je n’avais pas le droit à la moindre erreur», a-t-il expliqué.
En conséquence, Pierre Marc Tremblay a dit que sa priorité était d’avoir une vie «équilibrée», sans excès aucun: «Bien dormir. Bien manger. Pas d’alcool», a-t-il énoncé.
C’est comme cela que le propriétaire des restaurants Pacini est en mesure d’user au mieux de sa compétence et de son temps, chaque fois qu’un choix crucial doit être fait. Un peu à l’image d’un champion d’échecs qui entend donner son 110% à chaque partie. Et peut-être bien comme vous, Alexi, sous peu…