Il y a bel et bien moyen d'améliorer nos façons de télétravailler, par exemple en améliorant la communication entre les membres de l'équipe à distance. (Photo: Firosnv pour Unsplash)
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À la suite du courriel de Karine choquée par le fait que son patron veuille rétablir le 100% bureau, vous avez été nombreux – employeurs comme employés – à me faire part de vos trucs pour améliorer le télétravail. C’est-à-dire pour le rendre plus agréable et plus efficace pour tout le monde, nombre d’employeurs étant fâchés de constater une baisse de la productivité depuis qu’ils ont accepté d’instaurer le mode hybride. Voici un florilège de vos trucs pour optimiser le télétravail, et donc pour éviter que certains patrons n’y mettent définitivement fin au sein de leur organisation.
À lire: «Le télétravail, un lamentable échec dont ne veulent plus les PDG?»
Selon l’étude du cabinet-conseil KPMG citée dans ma réponse à Karine, le principal écueil sur lequel bute le télétravail est le dysfonctionnement de la communication entre les travailleurs à distance. Des employeurs aimeraient qu’elle soit plus fréquente et plus soutenue afin de s’assurer, entre autres, que certains employés ne profitent pas d’être à distance pour se tourner les pouces au lieu de travailler. Et des employés aimeraient qu’elle soit plutôt allégée, en ce sens qu’il y a trop de réunions Zoom auxquelles ils sont astreints de participer alors que ça ne leur apporte pas grand-chose (et ont parfois l’impression qu’elles ne sont là que pour vérifier qu’ils sont bel et bien à leur poste de travail!).
Alors, comment contenter tout le monde?
Le PDG d’une PME qui tient à conserver l’anonymat permet de saisir ce que vivent nombre de patrons qui n’en peuvent plus du télétravail. «J’ai subi toutes sortes d’abus de la part des employés en télétravail, et ça m’a coûté extrêmement cher», dit-il, en soulignant qu’il connaît d’autres PDG à qui c’est également arrivé.
Quels abus? À distance, des employés en profitent pour faire tout autre chose que travailler; et ça, ça finit par faire perdre de l’argent à l’entreprise. Autre exemple: l’employé peut être au travail, mais dans un espace de coworking, et il ne réalise pas que les personnes autour de lui peuvent ainsi voir ce qu’il y a sur l’écran de son ordinateur: «Ça pose un gros problème de confidentialité, surtout chez nous qui sommes à la fine pointe de l’innovation dans notre domaine», explique-t-il. Il suffit en effet qu’un employé d’une boîte concurrente jette un coup d’œil sur un visuel ou un document confidentiel pour que des mois de travail, voire tout un projet, soit en péril.
Bref, le télétravail lui donne des sueurs froides. Et la sensation est si désagréable qu’il s’est mis à «détester le télétravail». Ni plus ni moins.
Sa solution? Il n’est pas farouchement opposé au télétravail, comprenant que ça puisse être agréable pour nombre d’employés. Mais il conviendrait de trouver une solution permettant à l’employeur d’être sûr que chacun fait ce qu’il doit faire, sans mettre en danger la confidentialité de certains dossiers.
Pour l’heure, il n’a pas trouvé de solution concrète. Néanmoins, il a quelques idées en tête:
– L’employeur pourrait avoir accès en permanence à la caméra de l’ordinateur de l’employé à distance, et ainsi veiller n’importe quand qu’il est bien en train de travailler dans un endroit sans risque de nuire à la confidentialité.
– Si l’accès permanent à la caméra ne convient pas, pourquoi pas un accès permanent à l’écran de l’ordinateur de celui qui télétravaille? Ça permettrait au moins de vérifier en tout temps si l’employé travaille, ou pas.
«Je ne pense pas qu’on puisse dire que ça serait une atteinte à la vie privée, dit-il. Au bureau, d’un coup d’œil, on le voit si quelqu’un travaille, ou pas. Là, ce serait la même chose, au fond.»
Et de conclure: «Si les employés désirent conserver le privilège du télétravail, parce que c’est bien de cela dont il s’agit, un privilège et non un droit fondamental, ils doivent en contrepartie accepter des règles qui rendent la chose équitable et intéressante pour l’employeur aussi», dit-il.
On le voit bien à travers ce témoignage, le dysfonctionnement de la communication à distance nuit à la confiance entre l’employeur et les employés. La bonne nouvelle, c’est que plusieurs lecteurs de «Maudite job!» ont des suggestions fort intéressantes à ce sujet.
À SUIVRE: rejoindre le «café virtuel»
Rejoindre le «café virtuel»
François Sanche est l’animateur de l’émission «La Facture» de Radio-Canada. Il indique que chaque membre de l’équipe est invité à rejoindre le «café virtuel», qui ouvre ses portes tous les jours à 9h. Libre à chacun d’y aller, ou pas. À l’occasion , un petit texto est envoyé aux uns et aux autres, sous forme d’invitation: «Hey, viens donc nous rejoindre au café.»
Le principe est simple: le «café virtuel» n’est pas une réunion, on n’est pas obligé d’y parler travail, c’est juste un rendez-vous pour ceux que ça intéresse de jaser avec les autres avant de démarrer la journée. Chacun se sert un café, ou autre chose, et le boit avec les autres, par écrans interposés. Comme on le ferait dans un vrai café.
Ce qu’a noté François Sanche, c’est que certains ne coupent pas la communication, une fois le café pris. Ils laissent la caméra les filmer, si bien que les uns et les autres se voient en train de travailler. Comme ça, si l’un ou l’autre a une question spontanée, il peut, comme au bureau, interpeller un collègue et lui poser sa question à brûle-pourpoint.
Mieux, cela crée une présence auprès de soi, tout comme sont présents les collègues autour de nous lorsqu’on travaille au bureau. Et ce, sans que ce soit pour autant vécu comme une horrible surveillance de la part d’autrui, un peu à la Big Brother. «Cela permet de vivre une forme de collégialité de bureau, tout en profitant des avantages de la maison», résume François Sanche.
À SUIVRE: Le truc des TI de Radio-Canada
Le truc des TI de Radio-Canada
Simon Mallet est gestionnaire en développement des technologies de l’information (TI) à Radio-Canada. Il est presque en 100% télétravail depuis un an et demi, sa présence au bureau n’étant requise qu’à certaines occasions. Et il est «agréablement surpris» par la belle productivité de tous ceux qui, comme lui, travaillent à distance. «Je n’ai pas l’impression que qui que ce soit se pogne le beigne», dit-il.
Le truc des TI de Radio-Canada? L’utilisation constante d’applications permettant une bonne communication entre les uns et les autres. Par exemple, Slack pour échanger entre les uns et les autres, Google Agenda pour que chacun puisse savoir ce sur quoi travaillent les un et les autres, ou encore Zoom et autres Meet pour faire des visioconférences.
Ce n’est pas tout. Une réunion matinale scrum de 15 minutes a lieu tous les jours, ce qui permet à chacun de dire aux autres ce qu’il compte faire de sa journée de travail et d’indiquer, le cas échéant, ce qui le bloque dans le bon avancement de son travail. «Ce petit rituel rend chaque employé imputable, explique Simon Mallet. Ça empêche de dire cinq jours d’affilée que tu travailles sur la même chose, alors que tout le monde sait que ça ne devrait te prendre que deux jours à faire.»
À SUIVRE: miser sur l’IA
Miser sur l’IA
Alex Sills est vice-président, développement des affaires, de Gphy. Lui aussi est convaincu que la technologie peut contribuer à améliorer notre façon de télétravailler, plus précisément de fonctionner en mode hybride.
Sa solution? Elia, l’intelligence artificielle (IA) concoctée par son entreprise, Gphy. C’est qu’elle entend «favoriser la collaboration et l’optimisation des ressources» lorsqu’on travaille en mode hybride. Explication.
Après avoir interrogé nombre de dirigeants d’entreprise, les experts de Gphy ont relevé plusieurs travers du travail à distance:
– Les tâches nécessitant une forte collaboration sont, en général, moins bien exécutées à distance.
– Les employeurs qui aimeraient diminuer le temps de télétravail pour une raison de productivité redoutent d’en parler à leurs employés, de peur de passer pour des dirigeants qui ne se soucient pas vraiment du bien-être de leurs employés.
– Les employés qui ont goûté au travail à domicile rechignent, par la suite, à revenir plus souvent au bureau.
D’où l’intérêt d’Elia, dont la mission première est de rendre le travail au bureau plus agréable que jamais. L’IA permet ainsi à chacun de réserver l’espace de bureau dont il a besoin, à sa guise. Chacun se sent donc libre de travailler au bureau quand bon lui semble, l’IA veillant à ce que le bureau, ou la salle de réunion, soit libre quand l’employé se présente.
L’IA peut aussi se charger de coordonner les agendas des uns et des autres afin qu’ils se retrouvent en même temps au bureau. Le même jour, aux mêmes heures. Bureau et travail à distance sont dès lors harmonisés.
Point intéressant pour l’employeur: l’IA mesure l’occupation réelle de l’espace de travail au bureau et analyse ces données, si bien qu’elle est en mesure d’indiquer où et comment travaillent les uns et les autres. À la clé, la possibilité d’améliorer l’efficacité de tout un chacun, ou encore de découvrir si le bureau est, au fond, trop petit ou trop grand par rapport à l’utilisation qui en est faite par les employés.
Bref, une IA telle qu’Elia peut être un bon moyen d’améliorer la façon dont une équipe fonctionne en mode hybride. Et donc, de lui faire gagner en flexibilité.
À SUIVRE: valoriser la connexion sociale
Valoriser la connexion sociale
Marek Jankowski, vice-président, technologie de l’information (TI), de Groupe BMR, est sur la même longueur d’onde qu’Alex Sills. À ses yeux, l’important est la «connexion sociale» entre les uns et les autres, car c’est là le secret d’une équipe performante. L’employeur doit veiller à ce que cette connexion sociale soit nourrie au bureau comme à distance.
Au bureau, ça passe, estime-t-il, par un environnement de travail plaisant, qui donne envie d’aller au bureau, en particulier lorsqu’il faut accomplir une tâche nécessitant une forte collaboration. À distance, ça passe par une communication simple et régulière entre les uns et les autres ainsi que par la fixation en commun d’objectifs réalistes (le boss s’entend avec chaque employé sur les objectifs qu’il lui faut atteindre lorsqu’il est en télétravail, et il veille à ce que celui-ci dispose des ressources nécessaires pour cela).
«Le truc, c’est la flexibilité», souligne-t-il. Il est crucial que chacun se sente libre de travailler là où il pourra se montrer le plus efficace dans son travail. De cette flexibilité, pour ne pas dire de cette liberté, découleront inévitablement l’engagement et la performance.
À SUIVRE: 6 mesures managériales pour optimiser le télétravail
6 mesures managériales pour optimiser le télétravail
Inévitablement? Le consultant en gestion du capital humain Florian Pradon estime que tous ces changements ne peuvent se faire qu’à condition qu’ils soient bien accompagnés. Il préconise ainsi différentes mesures managériales visant à optimiser notre façon de télétravailler.
– Rendre la communication efficace. «Avec les nombreux outils technologiques à notre disposition, nous devons repenser notre façon de communiquer au sein des organisations», dit-il. Surtout lorsqu’on est à distance les un des autres. L’un des dossiers qu’il conviendrait de régler sans tarder concerne la «surabondance» de nos réunions: trop souvent, on se croit forcés de tenir une réunion pour maintenir un lien avec ceux qui travaillent à distance, mais la plupart du temps ces réunions-là n’apportent pas grand-chose aux employés.
– Redéfinir la productivité. «La productivité doit être mesurée en termes de résultats obtenus plutôt que de temps passé au travail», estime-t-il. Car l’important n’est pas le temps passé à atteindre un objectif, mais l’atteinte de celui-ci.
– Revoir les objectifs. «Les objectifs qualitatifs et quantitatifs, ainsi que les indicateurs clés de performance, doivent tous être clairement définis et discutés, indique Florian Pradon. Le succès de toute initiative de télétravail dépend d’une communication transparente et honnête à ce sujet.»
– Mesurer autrement le succès. La notion de succès doit être révisée à l’aune du travail à distance. «Des facteurs tels que la satisfaction des clients, les revenus et l’engagement des employés sont essentiels pour évaluer le succès du télétravail» illustre-t-il.
– Responsabiliser franchement. «La responsabilisation des gestionnaires et des équipes est essentielle, ajoute-t-il. Il faut favoriser une culture de confiance et de communication ouverte, en établissant un cadre de fonctionnement à la fois clair et ajustable.»
– Devenir un coach, ne plus agir en petit boss. «Les gestionnaires doivent arrêter de considérer que leur rôle principal est de superviser le travail des autres, dit-il. Avec le télétravail et le mode hybride, il est devenu clair qu’il leur faut plutôt agir en coach.» Autrement dit, il est grand temps d’arrêter de commander et contrôler pour enfin comprendre, conseiller et soutenir. Et ce, «même si les résistances au télétravail témoignent de la difficulté qu’ont nombre de gestionnaires à faire évoluer leur style de gestion dans cette direction», note-t-il.
En résumé, Florian Pradon considère que «le télétravail n’est pas une difficulté à surmonter»: «Il est possible de tirer le meilleur parti de ce mode de travail en adoptant une approche réfléchie, centrée sur la communication, et une gestion évolutive», dit-il.