Faut-il s'inquiéter des «nouvelles priorités» acquises par les gestionnaires nouvellement titulaires d'un MBA? (Photo: 123RF)
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Q. – «Notre nouveau boss est un gars de la boîte qu’on savait tous très ambitieux. Il voulait avoir davantage de responsabilités. Il a passé un MBA et le voilà à la tête de notre équipe. Maintenant, il ne jure que par les résultats chiffrés. Il a déjà averti que des changements s’en venaient pour “nous aider à mieux performer”. Devons-nous nous inquiéter ou juste attendre que son MBA arrête de gonfler sa balloune et qu’il remette les pieds sur terre?» – Emrick
R. — Cher Emrick, votre collègue a grimpé dans la hiérarchie et cela vous chicote. Vous le trouvez transformé, vous avez l’impression qu’il joue maintenant un rôle qui ne lui sied pas, celui du «boss dopé aux tableaux Excel». Et cela vous inquiète grandement. Avec raison, ou pas?
En vérité, la question est plutôt de savoir s’il est vrai, ou pas, qu’un MBA «transforme son homme». À tout le moins, au point d’en faire un type obnubilé par la performance individuelle et collective, et donc par toutes sortes d’indicateurs chiffrés, au lieu que de faire preuve d’empathie, de bienveillance, pour ne pas dire d’humanité.
Une récente étude menée par les professeurs d’économie Daron Acemoğlu (MIT), Daniel le Maire (Université de Copenhague) et Alex He (Université du Maryland) apporte justement un éclairage intéressant sur le sujet. C’est que les trois chercheurs ont analysé les données de quelque 10 000 entreprises cotées en Bourse entre 1980 et 2020, en regardant si l’arrivée d’un haut dirigeant titulaire d’un MBA avait le moindre impact sur la performance de l’entreprise à court et à moyen terme.
Ce qu’ils ont ainsi découvert a de quoi donner froid dans le dos.
– Rationalisation. Dans les cinq années qui suivent, les salaires des employés diminuent d’en général 6%.
– Dégraissage. Dans les cinq années qui suivent, la main-d’œuvre fond en général de 5%.
— Enrichissement de l’actionnariat. Le bilan financier de l’entreprise n’en est pas pour autant amélioré. La raison en est simple: l’argent «économisé» sur le dos des employés est en grande partie reversé aux actionnaires.
Un dernier point qui mérite d’être souligné: les chercheurs ont trouvé les mêmes résultats en analysant des données issues des États-Unis et du Danemark. Il ne s’agit donc pas d’un phénomène purement américain.
Alors, Emrick, faut-il vous inquiéter pour votre salaire, voire pour votre job? Il m’est, bien entendu, impossible de le dire. Il se peut fort bien que votre nouveau boss soit un «bon gars» qui voit ses tableaux Excel comme un outil comme un autre et, qui a retiré de son MBA, que la clé du succès passait non seulement par des données chiffrées, mais aussi par des employés heureux dans leur quotidien au travail. Qui sait? Peut-être bien que les changements annoncés pourraient représenter de belles surprises pour vous et votre équipe.
Cela étant, l’étude montre que, fort souvent, les titulaires d’un MBA ont tendance à donner la priorité aux actionnaires, pas aux employés. Et que les effets de cette «priorité des priorités» se font sentir sans tarder sur les salaires et sur la main-d’œuvre. Ce qui n’a a priori rien de rassurant, il faut en convenir.
Par conséquent, Emrick, mieux vaut faire vôtre le conseil du philosophe grec Démocrite: «Ne te montre pas soupçonneux envers tout le monde, mais prudent et ferme».