Logo - Les Affaires
Logo - Les Affaires

Pour en finir avec la démarche «confettis» en philanthropie

Sophie Chartier|Édition de la mi‑novembre 2024

Pour en finir avec la démarche «confettis» en philanthropie

Pour avoir une plus grande portée, les entreprises donatrices misent sur une gouvernance plus ciblée. (Photo: Adobe Stock)

PHILANTHROPIE. Les programmes philanthropiques des entreprises ressemblent parfois à un lancer de confettis : elles financent différentes causes au fil des envies et des champs d’intérêt de certains de leurs dirigeants sans trop regarder où les morceaux tombent. Toutefois, pour améliorer leur portée, de plus en plus d’acteurs du milieu misent sur une gouvernance plus ciblée.

Dans l’Étude sur les tendances en philanthropie 2024, publiée par l’agence-conseil en philanthropie Épisode, on peut lire que 44 % des grandes entreprises prévoient une redéfinition de leur politique de dons, alors que 22 % ont indiqué vouloir en implanter une première. Également, 67 % d’entre elles prévoient de réévaluer leur budget philanthropique. Du côté des PME, 22 % des sondées souhaitent revoir leur politique de dons et de commandites, et 25 % songent à réévaluer leur budget
philanthropique.

Amélie L’Heureux, conseillère principale et directrice des études à Épisode, voit dans ces chiffres le signe d’un temps d’arrêt. « À un moment donné, les entreprises veulent mieux se positionner, bonifier leur impact, s’assurer qu’elles valorisent les bons créneaux », dit-elle. Laetitia Shaigetz, présidente d’Épisode, dit remarquer qu’il y a « des choses qui se structurent davantage en philanthropie. Les gens veulent faire des choix cohérents ».

Une meilleure gouvernance philanthropique prend la forme non seulement d’une politique écrite, dit Amélie L’Heureux, mais également d’une organisation structurelle du personnel. « Anciennement, la philanthropie en entreprise était souvent confiée au marketing ou aux communications, dit Laetitia Shaigetz. Mais avec une politique interne, il faut aussi des rôles et des postes consacrés à la gestion du programme de dons et de commandites. »

Des choix plus éclairés

Cette démarche de restructuration, la firme d’ingénieurs Norda Stelo l’a faite il y a un peu plus d’un an, relate Camille Wilhelmy, conseillère en responsabilité sociétale pour l’entreprise (RSE). « Dans cette révision-là, on a ciblé trois choses qui allaient devenir les trois volets de notre politique philanthropique : on a conservé nos campagnes avec Centraide, dans lesquelles Norda Stelo égalise le don des employés ; on a misé sur le don individuel des employés, donc accordé des montants que les employés peuvent verser à la cause de leur choix par la plateforme Nooé [qui met en contact des entreprises donatrices avec une multitude d’organismes] ; puis on a fait une politique de dons, avec des critères qui se concentrent sur deux créneaux, l’éducation et la santé mentale. »

Auparavant, le feu vert dépendait principalement du bureau sur lequel la demande arrivait, dit Camille Wilhelmy. « Nous avons créé un comité transversal de six personnes. Aujourd’hui, les demandes de dons sont évaluées par ce comité en fonction d’une grille d’évaluation claire. Donc ça n’a plus aucun rapport avec les intérêts personnels de tel ou tel VP, c’est beaucoup plus rigoureux. » La création du poste de conseillère RSE qu’occupe Camille Wilhelmy est également le résultat de cette restructuration.

Certification d’abord

Pour Norda Stelo, la démarche a été entamée par l’obtention de la certification B Corp. Ce fut également le cas pour une entreprise on ne peut plus différente de la firme en génie-conseil pancanadienne : le Manoir du café, un café et torréfacteur situé à Baie-Comeau. Très impliqué dans sa communauté, le commerce sentait le besoin d’officialiser ses efforts sociaux et environnementaux. « B Corp fonctionne par un système de points, dit Jérôme Caron, copropriétaire du Manoir du café. Ça nous a permis de réaliser qu’on remplissait déjà de nombreux critères, mais aussi de voir que nos dons s’en allaient un peu à droite et à gauche sans trop de logique. »

Le café s’est donc doté d’orientations stratégiques en philanthropie, laissant de côté, par exemple, tout ce qui concernait les loisirs. « On reçoit beaucoup de demandes pour des soupers bingo ou des tournois sportifs amateurs, et on ne trouvait plus cela très lié à nous, dit le jeune homme. Mais on sait que le comptoir alimentaire de Baie-Comeau a de grands, grands besoins. Comme restaurateurs, on trouvait cela plus pertinent de soutenir cette ressource-là. »

Des efforts à plus long terme

Un autre avantage d’encadrer sa stratégie de dons est que l’on peut soutenir les causes qui correspondent à nos valeurs de façon plus pérenne, avance Vincent Fortin, président de l’agence de marketing et de communications spécialisée en impact social, Republik. « Si je fournis une aide substantielle à une cause pendant deux ans, et qu’après cela je passe à une autre cause, comme on le voit avec l’approche confettis, à la fin de cette période de deux ans, les organismes qu’on a soutenus vont vivre une certaine précarité. Si on choisit une cause et qu’on approfondit les relations sur le long terme avec les acteurs sur le terrain, ça devient plus incarné. »