Les entreprises devraient implanter un réseau interne de «sentinelles», suggère le professeur au département d’organisation et ressources humaines de l’Université du Québec à Montréal, Anglelo Dos Santos-Soares. (Photo: 123RF)
RHÉVEIL-MATIN. Malgré une plus grande sensibilité à l’égard du bien-être des membres de leur personnel, peu d’entreprises en font suffisamment pour éviter que le milieu de travail serve d’outil de prévention au suicide.
Malgré une plus grande sensibilité à l’égard du bien-être des membres de leur personnel, peu d’entreprises en font suffisamment pour éviter que le milieu de travail serve d’outil de prévention au suicide.
C’est ce que conclut Angelo Dos Santos-Soares, sociologue et professeur au département d’organisation et ressources humaines de l’Université du Québec à Montréal, lui qui a passé plus de 20 ans à s’intéresser à la santé mentale des travailleurs.
«On individualise trop les problèmes. C’est toujours une question de fragilité individuelle», constate celui qui a mené neuf projets de recherche pour tenter d’identifier les sources de la détresse au travail.
Une trop grande charge de travail, le peu d’autonomie, de reconnaissance, de coopération ou de justice organisationnelle, ou même des valeurs qui ne concordent pas avec celles de l’employé sont tous des facteurs qui alimentent les idées suicidaires. Le harcèlement psychologique également.
«D’après les résultats de mes recherches auprès des ingénieurs, la charge de travail, le manque d’autonomie et de coopération dans le groupe expliquait 92%» de ces pensées par exemple, rapporte le chercheur.
Angelo Dos Santos-Soares s’inquiète tout particulièrement des changements qu’il observe dans le monde du travail ces quarante dernières années, telle l’augmentation de la pression de performance sur la main-d’œuvre et l’adoption de pratique de gestion qui la pousse à toujours en faire plus avec moins.
«Il faut changer l’organisation du travail, les pratiques de gestion, appelle-t-il. Elle est la source de ces dysfonctionnements qui nourrissent ces idées suicidaires.»
Passer à l’action
Pour éviter qu’un travailleur ne commette un geste irréparable, tous les employeurs devraient s’informer. «Beaucoup vont penser qu’il n’y a pas d’idées suicidaires dans leur équipe, et se demandent donc pourquoi intervenir. Si les gens ne connaissent même pas les symptômes, on ne pourra pas faire de prévention. […] Personne n’est à l’abri.»
Angelo Dos Santos-Soares encourage les entreprises à parler de suicide et de détresse psychologique avec leurs employés. Contrairement à la croyance populaire, ouvrir le dialogue sur cette question délicate n’augmente pas les chances d’y avoir recours, rappelle-t-il.
«Lorsque quelqu’un pense à s’enlever la vie, il ne veut pas mourir, il veut arrêter de souffrir. On peut intervenir pour aider la personne et démontrer qu’il y a d’autres moyens qui seront beaucoup plus intéressants, importants pour régler cette souffrance.»
Ça doit également aller de pair avec l’implantation d’un «réseau de sentinelles», comme le suggère le gouvernement du Québec dans sa Stratégie nationale de la prévention au suicide 2022-2026.
Ces employés formés pour reconnaitre les signes avant-coureurs sont de puissants atouts à la prévention, puisqu’ils sont aux premières lignes pour observer des changements de comportements chez leurs collègues.
Ils peuvent créer un environnement sécuritaire propice aux confidences, mais aussi leur rappeler les ressources mises à leur disposition afin d’apaiser le malheur qui les ronge. Toutefois, ces sentinelles ne sont pas des thérapeutes, nuance Angelo Dos Santos-Soares.
Tous les employeurs qui aspirent à être bienveillants à l’égard de ses travailleurs devraient également s’intéresser spécifiquement à cette question au moment d’effectuer un diagnostic organisationnel de la santé mentale. Rares sont ceux qui le font, d’après ses observations.
Peu ont aussi développé une politique pour réagir en cas de suicide sur le milieu de travail. Celle-ci devrait par exemple indiquer qui est responsable de contacter les services d’urgence, de sécuriser l’endroit où la personne s’est enlevé la vie, ou encore la manière que la nouvelle sera annoncée au reste de l’équipe. Elle devrait également contenir les numéros de téléphone de ressources d’accompagnement pour les rejoindre rapidement.
Toutes les régions administratives comptent des centres de prévention du suicide qui peuvent épauler les entreprises dans leur démarche.
«Ce n’est pas dans cette situation de détresse intense qu’on va être capable de réagir d’une bonne manière. Au contraire, on risque de faire beaucoup, beaucoup de gaffes», dit-il.
Vous pensez au suicide? Composez le 9-8-8.