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Saisir la pluralité de l’expérience autochtone

Sophie Chartier|Édition de la mi‑novembre 2024

Saisir la pluralité de l’expérience autochtone

Les fondatrices d'IPA croient en l’importance de partager les histoires et de renforcer les relations entre les milieux. (Photo: Adobe Stock)

PHILANTHROPIE. Avec Indigenous Philanthropy Advisors (IPA), deux femmes autochtones vétéranes du milieu philanthropique canadien souhaitent guider les organisations donatrices à travers des questions parfois complexes.

Wanda Brascoupé et Nicole McDonald ont démarré la firme de consultation IPA en janvier 2024 « de façon naturelle », après avoir collaboré dans le cadre de différents projets dans leurs fonctions respectives. « Je pense que les fondations, les entreprises et les individus ont peur de faire des erreurs en ce qui touche aux questions autochtones, dit Nicole McDonald. Nous jouons un rôle de pont, ou encore de traductrices, entre les donateurs et les communautés. Wanda aime parler de jouer le rôle d’un échafaudage entre ces différentes parties. »

Wanda Brascoupé est membre des Premières Nations tuscarora et mohawk du côté maternel, et de la Première Nation Kitigan Zibi Anishinabeg du côté paternel. Elle s’est retrouvée dans le milieu philanthropique en « tombant dedans », dit-elle. Auparavant, elle a dirigé une entreprise en technologie, et de fil en aiguille, elle s’est retrouvée à siéger au sein de différents conseils d’administration. « Ils voulaient tous un point de vue autochtone, dit-elle. C’est ainsi que j’ai trouvé ce que j’étais censée faire dans la vie. » Ancienne directrice exécutive du Circle on Philanthropy, à Toronto, elle a ensuite conseillé différents organismes et plusieurs fondations, autant menés par des Autochtones que par des allochtones. Elle est mère de « trois merveilleuses jeunes femmes ».

Nicole McDonald est membre de la nation métisse de Saskatchewan. Après une carrière dans la fonction publique, elle commence un parcours en philanthropie à la Fondation McConnell, à Montréal. « J’y ai découvert que 96,5 % des fonds étaient investis dans les marchés boursiers et que seuls les 3,5 % restants étaient distribués, dit-elle. C’est comme ça que j’ai commencé à m’intéresser à la finance sociale et à réfléchir à la manière dont la philanthropie pouvait utiliser tous ses outils pour promouvoir des changements positifs. » Après McConnell, elle a travaillé pour la Fondation MakeWay, un organisme axé sur la nature et les communautés. Mère de cinq enfants, elle s’est récemment installée à Mont-
Tremblant avec son mari.

Se rappeler d’où l’on vient

Les questions liées aux droits des personnes autochtones demeurent trop souvent dans l’angle mort du milieu philanthropique, même avec toutes ses bonnes intentions, croient les fondatrices d’IPA. « Il y a une préconception disant que c’est la responsabilité du gouvernement, que c’est l’État qui finance la réconciliation. Les organisations se disent “ce n’est pas vraiment à nous de nous impliquer”, ajoute Nicole McDonald. Il existe aussi un aveuglement quant aux provenances des ressources des fondations. Une grande partie de ces richesses ont été créées grâce à l’exploitation de territoires autochtones, par l’extraction de ressources, par exemple. Dans ce contexte, il est intéressant de susciter des réflexions sur la responsabilité de ces organisations et sur leur rôle de redistribution. »

Rôle de passeuses

Pour Wanda Brascoupé, le milieu philanthropique traditionnel est désemparé devant les causes autochtones en partie parce que la société actuelle n’arrive pas à bien saisir la pluralité de l’expérience autochtone. « En grandissant, je ne comprenais pas que les histoires qui circulaient sur les réalités de ma culture ne correspondaient jamais à mon expérience, dit la mère de famille et entrepreneuse. En 2014, à la veille du dévoilement du rapport de la Commission de vérité et réconciliation, je devais faire un discours devant l’assemblée de Fondations philanthropiques Canada et j’avais 300 personnes devant moi qui m’écoutaient. J’ai commencé en disant : “Je viens d’un lieu d’abondance.” Je voulais insister sur l’ingéniosité, l’humilité et les merveilleuses qualités que l’on trouve dans nos communautés et qui sont constamment effacées au profit d’un déficit. »

D’où l’importance de partager les histoires et de renforcer les relations entre les milieux, croient les fondatrices d’IPA. « Plus les cultures communiquent, plus les donateurs et organismes se donneront le droit de faire des erreurs, plus nous pourrons avancer, dit Nicole McDonald. Il faut accepter qu’on commence au bas de l’échelle lorsqu’on lance quelque chose de nouveau. Tant qu’on arrive dans une intention de respect et d’apprentissage, il y a moyen de bâtir des relations, et c’est en bâtissant ces relations que l’on connaît mieux un domaine. On a tous été débutants. »

La démarche préconisée par la firme IPA vient ainsi semer une graine de subversion dans la pensée philanthropique traditionnelle. « Lorsque nous travaillons avec des bailleurs de fonds, nous leur disons que dans nos communautés, les concepts de richesse n’ont rien à voir avec le salaire, la marque d’une voiture, etc., dit Nicole McDonald. C’est plutôt en lien avec l’appartenance à la communauté, la langue, la culture. C’est un peu à ce type de traduction entre les langages que nous nous employons dans ce projet. »