Pour contourner l'interdiction de payer sa dette en dollars, Moscou assure mettre à disposition, en roubles, les sommes qu'elle doit à ses créanciers auprès du National Settlement Depository (NSD), une entité financière russe. (Photo: 123RF)
Paris — La Russie a reconnu lundi que deux versements d’intérêts sur sa dette n’étaient pas parvenus à ses créanciers, ravivant le spectre d’un défaut de paiement même si Moscou le récuse pour l’instant. Que va-t-il se passer maintenant?
Pourquoi la menace d’un défaut ressurgit-elle?
La Russie devait payer 100 millions d’intérêts sur sa dette le 27 mai, une échéance assortie d’une période de grâce d’un mois qui expirait dimanche.
Le ministère russe des Finances assurait avoir versé l’argent en devises étrangères dès le 20 mai. Mais il a reconnu lundi que l’argent n’était pas parvenu aux créanciers, car des intermédiaires bancaires ont bloqué les paiements du fait des sanctions prises par les pays occidentaux en conséquence de la guerre en Ukraine.
Les États-Unis interdisent depuis la fin mai à Moscou de payer ses dettes en dollars.
Comment savoir si la Russie est réellement en défaut?
Traditionnellement, ce sont les grandes agences de notation (Fitch, Moody’s, S&P Global Ratings) qui officialisent le défaut de paiement d’un État.
Avec les sanctions, «il leur est maintenant interdit de noter des obligations souveraines russes. On pourrait bien avoir un défaut de fait sans proclamation officielle par une instance autorisée», explique Eric Dor, directeur des études économiques à l’école de commerce IESEG.
Il revient désormais à un comité de créanciers, le Credit Derivatives Determinations Committee (CDDC), d’évaluer si oui ou non la Russie rate des paiements. Ce comité avait ainsi acté début juin le non-paiement par Moscou de 1,9 million de dollars américains d’intérêts de retard sur une échéance précédente.
C’est aussi lui qui décidera d’activer le cas échéant les CDS (Credit Default Swap), des produits financiers qui servent d’assurance contre les défauts de paiement sur une dette.
De son côté, Moscou assure que «la non-obtention de l’argent par les investisseurs n’est pas le résultat d’une absence de paiement, mais est causée par l’action de tierces parties, ce qui n’est pas directement considéré (…) comme un cas de défaut».
Quelles seraient les conséquences d’un défaut?
Le dernier défaut de paiement de la Russie sur sa dette extérieure remonte à 1918 et la décision de Lénine de ne pas s’acquitter des dettes du régime tsariste.
En cas de nouveau défaut, «la Russie ne pourra plus emprunter en devises internationales», avertit Slim Souissi, enseignant-chercheur à l’IAE de l’université de Caen et ancien analyste financier chez Fitch. «À court terme, elle aura du mal à lever des fonds sur les marchés internationaux» et cela pourrait durer «des années».
Un défaut de paiement peut être lourd de conséquences: en Argentine, le moratoire décrété en 2001 sur le paiement de la dette internationale d’environ 100 G$US avait plongé le pays dans une profonde crise économique, politique et sociale. Et le défaut mexicain de 1982 avait été suivi d’une crise de la dette dans d’autres pays en développement.
La situation de la Russie est toutefois un peu différente. «Il y a des paiements pour environ 2 milliards $US d’ici la fin de l’année, mais ce n’est pas ça qui va déstabiliser» le système financier mondial, selon Eric Dor.
La situation pourrait en revanche virer au casse-tête sur le plan juridique: les obligations russes sont particulièrement floues concernant la juridiction à même de trancher les litiges entre prêteur et emprunteur, selon des experts en droit interrogés par l’AFP.
Comment la Russie tente-t-elle d’éviter le défaut?
Pour contourner l’interdiction de payer sa dette en dollars, Moscou assure mettre à disposition, en roubles, les sommes qu’elle doit à ses créanciers auprès du National Settlement Depository (NSD), une entité financière russe.
Si «le remboursement en rouble n’est pas prévu dans le contrat de ces obligations, c’est considéré comme un défaut de paiement», prévient cependant Slim Souissi.
Moscou fait valoir que le système permet aux détenteurs occidentaux de dette russe de récupérer leur argent, en demandant la conversion dans la devise de leur choix des sommes déposées en roubles auprès du NSD.
Mais faire sortir les fonds de Russie reste délicat et «les investisseurs ont de toute manière été peu enclins à ouvrir des comptes au NSD», relève Eric Dor, directeur des études économiques à l’IESEG.