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Nathalie Francisci

Profession: chasseur de têtes

Nathalie Francisci

Expert(e) invité(e)

À la chasse au second violon ! 

Nathalie Francisci|Édition de la mi‑juin 2024

À la chasse au second violon ! 

La diversité dans nos organisations passe aussi par un mélange d’individus qui n’aspirent pas aux mêmes objectifs de carrière, mais qui souhaitent créer de la valeur à leur échelle. (Photo: Tim Van der Kuip pour Unsplash)

Les seconds violons jouent un rôle primordial dans un orchestre. Ils sont loin d’être ordinaires et encore moins médiocres. De la musique au sport, voire dans toutes les disciplines ou activités qui impliquent des équipes, l’apport des joueurs de catégorie B est crucial. 

Récemment, un dirigeant d’entreprise me confiait son dilemme : «J’aimerais engager ce candidat, mais ce n’est pas un haut potentiel de catégorie A!». «De quoi as-tu vraiment besoin pour ce rôle ?» lui ai-je demandé. Sa réponse fut immédiate : «Un expert dans son domaine, loyal, qui ne me demandera pas une attention constante et une prochaine promotion.» «Un bon soldat?» lui ai-je rétorqué. «Oui », m’a-t-il répondu. Il avait la bonne piste à suivre. 

Pourquoi devrions-nous toujours privilégier les profils de type «A», certes indispensables, mais plus difficiles à gérer et… à retenir. La diversité dans nos organisations passe aussi par un mélange d’individus qui n’aspirent pas aux mêmes objectifs de carrière, ni être constamment sur la scène, mais qui souhaitent contribuer et créer de la valeur à leur échelle. La fascination pour les « étoiles » peut nous attirer dans le piège qui nous amène à sous-estimer l’importance cruciale des acteurs de soutien. Les recherches montrent pourtant que la performance à long terme des entreprises dépend bien plus de l’engagement et des contributions des «joueurs B». Les dirigeants, typiquement des «A», se reconnaissent dans leur double, préfèrent les embaucher pour «faire un bon coup» et se vanter d’attirer les meilleurs. Ils succombent ainsi à leur ego à leurs dépens.  

Pourquoi? 

Les employeurs aiment recruter des «A» parce qu’ils prennent des risques. Ce sont des employés qui mettent leur vie professionnelle avant leur famille et leur vie personnelle parce qu’ils cherchent à faire davantage afin de progresser au sein de l’entreprise. En revanche, ils demandent plus d’attention, car ils sont plus susceptibles de quitter, si l’organisation n’avance pas à leur rythme ou ne leur offre pas assez d’occasions favorables. Les employés «B» sont performants, compétents et stables. Ils équilibrent leur travail et leur vie personnelle tout en accomplissant la majorité du travail de l’entreprise. Ils sont plus fidèles et surtout, ils sont la mémoire de l’entreprise et ils incarnent la culture d’entreprise. 

Cela m’a rappelé ce que me disait Thomas Delong lors d’un cours en direction d’entreprise à l’Université Harvard. Cet ancien chef des ressources humaines de Morgan Stanley, aujourd’hui professeur, insistait sur l’importance des « joueurs B », car ils stabilisaient les charismatiques « joueurs A », susceptibles de déstabiliser l’organisation. Il avançait même qu’en conséquence, les entreprises qui ne les valorisaient pas voyaient leurs profits diminuer sans vraiment comprendre pourquoi dans son article «Let’s Hear It for B Players».  

Quel est alors le meilleur ratio entre les «A» et les «B» pour garantir la performance de l’entreprise? 

Bien que le pourcentage puisse varier en fonction de l’industrie, de la taille de l’entreprise et de ses besoins spécifiques, l’équilibre doit se situer entre 20 % d’employés de catégorie « A » et 80 % d’employés de catégorie « B ». Ce ratio permet à l’organisation de bénéficier des répercussions positives élevées et de l’innovation apportée par les employés de catégorie «A», tout en maintenant la stabilité et la constance fournies par les employés de catégorie «B». 

Les premiers sont généralement de hauts performants et des innovateurs qui génèrent une croissance importante et un avantage concurrentiel. Les seconds fournissent la stabilité et la performance constante, essentielles pour le succès à long terme. Avec environ 80% d’employés « B», l’organisation maintient une main-d’œuvre fiable qui soutient les opérations quotidiennes et assure la continuité. 

En misant sur cet équilibre, on crée une dynamique d’équipe qui contribue à des taux de rotation plus bas et à une culture d’entreprise plus stable. 

Le célèbre maestro Leonard Bernstein disait souvent : «Je peux trouver plein de premiers violons, mais trouver quelqu’un qui peut jouer le second violon avec enthousiasme, c’est très difficile. Si nous n’avons pas de second violon, nous n’avons pas d’harmonie.» 

Ce texte a été publié dans l’édition papier du journal Les Affaires du 19 juin 2024.