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Kevyn Gagné

Parlons franchement

Kevyn Gagné

Expert(e) invité(e)

Air Canada: nous voler pour que l’on vole

Kevyn Gagné|Publié à 9h00 | Mis à jour à 9h02

Air Canada: nous voler pour que l’on vole

(Photo: Nathan Denette / La Presse Canadienne)

EXPERT INVITÉ. Inconnu du grand public jusqu’à tout récemment, le conflit de travail qui perdure depuis plus de 14 mois chez Air Canada vient tout juste de trouver un dénouement positif, surtout si les 5400 pilotes ratifient l’entente de principe survenu entre l’employeur et ses pilotes il y a quelques heures à peine.

Ayant rejeté en bloc l’offre de 30% consentie par l’employeur la semaine dernière, l’Association internationale des pilotes de ligne (ALPA) a été en mesure de ratifier une augmentation de 42% sur 4 ans. Ce nouveau contrat de travail génèrera un coût supplémentaire d’environ 1,9 milliard de dollars (G$) pour l’employeur. Mais ne vous en faites pas, puisque cette nouvelle convention collective ne devrait pas représenter plus de 10$ sur le prix de vos billets, selon les représentants du syndicat. Dans les faits, nous parlons probablement plus de 30$ par billet, sans oublier l’augmentation de 5$ des frais pour une première valise enregistrée en soute. Ceci est contraire à ce qu’indiquait le directeur de l’Observatoire international de l’aéronautique et de l’aviation civile à l’UQAM, Mehran Ebrahimi, qui n’anticipait pas d’augmentation des prix des billets.

Moi qui croyais à tort que le syndicat voulait repartager la richesse de l’employeur créée ces dernières années et non transférer leurs gains sur la future augmentation des prix des billets que vous et moi allons encore devoir absorber ces prochains mois. Ces nouveaux prix feront bien évidemment augmenter la profitabilité de l’employeur et dans quatre ans, le syndicat jouera encore la carte de l’inflation, de la profitabilité, et jouera encore le jeu de la comparaison avec les autres transporteurs aériens.

Dans les faits, l’incertitude des derniers jours a entraîné des annulations de vol ou des reports de départs. Donc, Air Canada a perdu de l’argent.

Le rendement de l’action du transporteur à la Bourse de Toronto a diminué le 17% depuis le début de l’année.  Donc, Air Canada a perdu de l’argent.

Comme je le mentionnais précédemment, ce nouveau contrat de travail génèrera un coût supplémentaire d’environ 1,9G$ pour l’employeur. Donc, Air Canada perdra de l’argent.

Aucun employeur et aucun actionnaire ne veut perdre de l’argent, donc croyez-vous vraiment qu’ils ne nous refileront pas la facture de cette nouvelle entente?

De plus, n’oublions pas qu’Air Canada a encaissé près de 2G$ en recettes accessoires en 2022. Les recettes accessoires proviennent principalement de quatre sources: le choix et la réservation du siège, les services à la carte tels que les repas, le Wi-Fi à bord et les bagages supplémentaires.

Vous aurez deviné que ce sont les passagers qui ont payé ces nouveaux frais. Pourtant, Air Canada a reçu un investissement en capital de 500M$ du gouvernement fédéral sans condition restrictive en juin 2024. Les profits se sont bien évidemment faits sur le dos des consommateurs et non sur le dos des travailleurs qui ont un rabais lorsqu’ils veulent prendre un vol. Les profits ne se sont pas faits à partir de technologies plus efficaces. L’argent ne s’est pas engrangé grâce à l’amélioration des techniques de travail ni même grâce aux procédés proposés et introduits par le syndicat. Les profits de ce transporteur ont été au rendez-vous grâce à vous et moi.

Avec cette nouvelle entente, nous sommes très loin des conditions négociées lors de la dernière convention collective d’une durée de près de 10 ans, échue depuis septembre 2023, qui n’accordait en moyenne que des augmentations salariales de 2%. Cette nouvelle entente, qui suspend temporairement les différends de l’employeur et du syndicat pour une durée de quatre ans, permet aux 5400 pilotes d’Air Canada de se comparer aux pilotes de ligne de compagnies comme Delta Air Lines, United Airlines et American Airlines qui ont réussi à négocier de nouvelles ententes accordant des augmentations salariales se situant entre 34% et 40%. En mai 2023, les pilotes de WestJet avaient également dit oui à des hausses salariales de 24% échelonnées sur quatre ans.

Cette augmentation de 42% a été négociée et consentie et devrait permettre aux pilotes de s’acheter du Kraft Diner sans se soucier du prix qu’ils paient. Ce 42% se décline par un réajustement rétroactif au mois de septembre 2023 de l’ordre de 26% afin de compenser les faibles ajustements de 2% des années précédentes la fin de la dernière entente, et d’accorder des ajustements de 4% par années jusqu’en 2027. Ces pourcentages se traduisent par de nouvelles échelles salariales variant entre 87,50$ et près de 500$ par heure travaillée. Considérant qu’un pilote effectue en moyen 75 heures de vol par mois, le salaire annualisé avoisine près de 500 000$ par an pour un pilote cumulant plus de 10 ans d’ancienneté. Sans oublier la fameuse prime à la signature oscillant entre 20 000$ et 85 000$, accordée à tous les pilotes uniquement pour accepter ce qui a été négocié.

J’en conviens, puisque nous sommes dans les secteurs privés, nous sommes dans une dynamique d’utilisateurs payeurs comparativement dans le secteur public. L’augmentation de 17,4% à 24,5% accordée, selon l’échelon pour les enseignants du réseau public, lors des dernières négociations est supportée par l’ensemble de la population, que vous ayez des enfants ou non. L’État est là pour rendre un service et non pour vendre un bien comparativement à Air Canada qui n’est pas capable de donner un bon service, mais qui vend un bien qui fait tout sauf du bien! J’en conviens, il n’y a que les voyageurs qui payeront, et puisque nous sommes dans la dynamique du libre marché, où l’offre et la demande sont rois, ça a du sens d’augmenter les pilotes. Rappelons qu’Air Canada, ancienne société de la couronne, est le plus important transporteur aérien au Canada et détient des parts de marché de 43% sur tous les vols partant du Canada.

Justin Trudeau

À maintes reprises, ces derniers jours, Justin Trudeau a refusé de s’immiscer dans ce conflit. Interpellé par les chambres de commerce, par les dirigeants d’Air Canada et par les partis politiques de l’opposition, le premier ministre du Canada n’a cessé de répéter qu’il préférait voir l’employeur et le syndicat arriver à une solution sans l’intervention du gouvernement.

Pouvons-nous nous surprendre, après avoir essuyé de vives critiques dû à son implication dans le conflit de travail opposant le CN et le CPKC à leurs syndicats, que Justin Trudeau décide de se tenir à l’écart de ce conflit? Considérant qu’il voyage tout le temps sur le bras des contribuables qui peinent à s’offrir un voyage d’avion par année, il serait très mal vu d’argumenter ou d’intervenir, surtout en abordant la question salariale et la question des coûts.

Notre Justin Trudeau national ne voyage pas sur des vols commerciaux offerts par le transporteur Air Canada. Il se déplace sur des vols nolisés offerts par les forces armées canadiennes. Depuis 2020, notre fameux Justin Trudeau se déplace à bord du CC-144 Challenger. Avant, il se déplaçait à bord d’un CC-150 Polaris. Croyez-vous vraiment que l’augmentation de 42% le touche? Bien évidemment que non. Croyez-vous que les futurs ajustements à la hausse des billets d’avion le dérangent? Bien évidemment que non. Lorsque vous déboursez plus de 160 000$ pour votre voyage du Nouvel An en Jamaïque, que vous célébrez la Pâque au Montana pour 230 000$, ou bien que vous payiez 215 398$ pour des vacances familiales sur l’île privée de l’Aga Khan dans les Bahamas, pensez-vous vraiment que les prix des billets le dérangent?

Bien sûr que non!

Considérant qu’environ 128 000 passagers volent quotidiennement sur les ailes de la plus grande compagnie aérienne au pays, eh bien, le pouvoir de négociation était du côté syndical. Un arrêt des activités aurait pu faire perdre quotidiennement entre 50 et 60M$ à la compagnie et environ 100M$ à l’économie canadienne, donc le pouvoir de négociation était du côté syndical. L’association internationale des pilotes de ligne devait seulement bien jouer ses cartes.

Ni vous ni moi n’avons la capacité, et le pouvoir de négocier de telles augmentations salariales dans le merveilleux monde du travail, et ni vous ni moi ne travaillons pour un employeur capable d’accorder de telles augmentations de salaire.

Employeur et syndicat n’ont cessé de dire qu’ils ne négociaient pas sur la place publique, mais bien aux tables de négociations. C’est ce qui peut expliquer que ni vous ni moi n’en avions réellement entendu parler. Toutefois, plus de cent rencontres en quatorze mois n’ont rien donné. Dans ce contexte d’inertie et à la suite à l’intervention du gouvernement Trudeau dans le dossier des chemins de fer, le spectre de la menace de grève véhiculé depuis quelques jours dans les journaux et relayé par tout le monde, ont magiquement fait avancer les choses.

Tout est bien qui finit bien pour eux pour les quatre prochaines années. Ils savent que les passagers veulent voyager et que la frustration passera avec le temps. Ils savent aussi que vos poches n’ont pas de fond, et même si vous n’avez plus de fonds dans votre compte, vous payerez la note. Au pire, vous payerez avec du crédit comme vous le faites tout le temps de toute façon puisqu’à défaut de vivre avec l’argent qu’on a, nous vivons avec le crédit que nous n’avons pas, afin de permettre aux plus aisés et aux plus nantis de vivre nos rêves.