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John Plassard

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John Plassard

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Aplatissement de la courbe des rendements: conséquences et opportunités

John Plassard|Publié il y a 9 minutes

Aplatissement de la courbe des rendements: conséquences et opportunités

(Photo: 123RF)

EXPERT INVITÉ. Alors que la baisse des taux aux États-Unis est maintenant actée pour septembre, on assiste en même temps à un aplatissement de la courbe des rendements. Certains économistes pensent que cela serait le signe d’une récession imminente ou d’une erreur de politique monétaire. Que faut-il en penser? Synthèse et analyse.

Les faits 

Lorsqu’on analyse l’économie, il y a plusieurs indicateurs que l’on regarde : les PMI, l’inflation ou encore l’emploi. Cependant l’écart (ou la pente de la courbe) entre les taux obligataires à court et à long terme est aussi un indicateur crucial. Quand elle «s’inverse», ça fait les gros titres. C’est à ce moment-là que le rendement d’une obligation à cinq ans, par exemple, est plus rémunérateur que celui d’une obligation à 30 ans. Historiquement, une telle inversion est suivie d’une récession, même si ce n’est pas une vérité absolue comme on l’a constaté récemment. 

La perspective de baisse des taux à long terme se produit lorsque l’économie ralentit et que les investisseurs commencent à chercher d’autres endroits où placer leur argent, peut-être parce qu’ils ne s’attendent pas à une bonne performance sur le marché boursier. Ils se tournent alors vers les rendements plus élevés offerts par les obligations à long terme. L’augmentation de la demande entraîne une hausse des prix des obligations à long terme, ce qui fait baisser leurs rendements (les rendements évoluent inversement au prix de l’obligation sous-jacente). 

Le dernier mouvement sur la courbe des rendements a été alimenté par les commentaires du président de la Fed, Jerome Powell, au cours du symposium de Jackson Hole, qui a renforcé les paris sur une baisse des taux de la Fed lors de sa prochaine réunion. 

La courbe s’est aplatie et devrait nous donner un signal fort, mais lequel?

Définition d’un aplatissement de la courbe des rendements

Dans le graphique ci-dessus, vous remarquerez que la courbe commence à s’aplatir nettement vers la fin. Le concept sous-jacent d’une courbe de rendement qui s’aplatit est simple : la courbe de rendement s’aplatit — c’est-à-dire qu’elle devient moins incurvée — lorsque la différence entre les rendements des obligations à court terme et les rendements des obligations à long terme diminue.

Il y a de nombreuses manières d’interpréter cette figure. 

Tout d’abord, une courbe de rendement qui s’aplatit peut indiquer que les attentes concernant l’inflation future sont en baisse. Normalement, les investisseurs exigent des taux à long terme plus élevés pour compenser la perte de pouvoir d’achat, car l’inflation réduit la valeur future d’un investissement. À l’inverse, cette prime diminue lorsque l’inflation est moins préoccupante. 

Un aplatissement de la courbe des taux peut également se produire en prévision d’un ralentissement de la croissance économique. Parfois, la courbe s’aplatit lorsque les taux à court terme augmentent dans l’attente d’une hausse des taux d’intérêt par la Réserve fédérale. Ce qui n’est évidemment pas le cas aujourd’hui. 

L’aplatissement de la courbe des rendements peut parfois être d’une telle ampleur que cela débouche sur une inversion de la courbe, les taux courts devenant supérieurs aux taux longs. C’est notamment le cas lorsque la Banque centrale décide de freiner l’inflation en remontant ses taux directeurs à tel point que cela pourrait compromettre la croissance. 

Cette politique monétaire restrictive débouche sur un renchérissement du coût du crédit auprès des banques, une chute de la masse monétaire en circulation et in fine un ralentissement de l’activité à moyen terme. Dès lors, une courbe inversée apparaît comme un indicateur avancé de la conjoncture.

SUIVANT: Pourquoi la courbe s’aplatit-elle?

Pourquoi la courbe s’aplatit-elle?

L’aplatissement de la courbe des taux se produit lorsque l’écart entre les taux d’intérêt à court et à long terme se réduit. Ce phénomène peut être attribué à plusieurs facteurs, qui reflètent souvent les attentes du marché concernant l’environnement économique futur.

  • Anticipation d’un ralentissement de la croissance économique : Lorsque les investisseurs s’attendent à un ralentissement de l’économie, ils prévoient que la Réserve fédérale réduira les taux d’intérêt pour stimuler la croissance. Cette anticipation entraîne une baisse des rendements des obligations à long terme, car les investisseurs les achètent en prévision d’une baisse des taux, tandis que les rendements à court terme peuvent rester plus élevés si la Fed n’a pas encore commencé à réduire ses taux. 
  • Attentes en matière d’inflation : Si l’on s’attend à une baisse de l’inflation, les obligations à long terme deviennent plus attrayantes, car le pouvoir d’achat des futurs paiements d’intérêts est moins susceptible d’être érodé par l’inflation. Cette demande accrue fait baisser les rendements à long terme, contribuant ainsi à l’aplatissement de la courbe des rendements. 
  • Mesures de politique monétaire : Lorsque la Réserve fédérale relève ses taux pour lutter contre l’inflation ou refroidir une économie en surchauffe, les rendements à court terme augmentent. Si les taux à long terme n’augmentent pas proportionnellement, cela résulte d’anticipations de ralentissement économique et la courbe des rendements s’aplatit. 
  • Fuite vers la sécurité : En période d’incertitude économique ou de risques géopolitiques, les investisseurs recherchent souvent la sécurité des obligations d’État à long terme, considérées comme peu risquées. Cette demande accrue d’obligations à long terme fait baisser leur rendement, ce qui a pour effet d’aplatir la courbe. 
  • Conditions économiques mondiales : Les conditions économiques dans d’autres pays peuvent également influencer la courbe des rendements. Par exemple, si la croissance mondiale ralentit ou si les banques centrales d’autres grandes économies réduisent leurs taux, la demande d’obligations américaines à long terme pourrait augmenter, réduisant ainsi leurs rendements par rapport aux obligations à court terme.
  • Liquidité du marché et appétit pour le risque : Un changement de l’appétit des investisseurs pour le risque peut également provoquer un aplatissement. Si les investisseurs délaissent les actifs plus risqués au profit des obligations d’État à long terme, plus sûres, leur rendement diminue, ce qui a pour effet d’aplatir la courbe. 
  • Assouplissement quantitatif (QE) : Les achats à grande échelle d’obligations à long terme par les banques centrales (comme dans les programmes d’assouplissement quantitatif) peuvent faire baisser les rendements à long terme directement en augmentant la demande, ce qui a pour effet d’aplatir la courbe des rendements.

En résumé, la courbe des rendements s’aplatit lorsque les taux d’intérêt à long terme baissent ou lorsque les taux à court terme augmentent, ce qui reflète généralement les anticipations concernant le ralentissement de la croissance future et/ou la baisse des attentes en matière d’inflation.

Un aplatissement de la courbe des taux annonce-t-il une récession? 

Si la courbe de rendement commence à s’aplatir, ressemblant davantage à une crêpe qu’à une pente de ski ascendante, les acteurs du marché obligataire commencent à s’inquiéter. Ils craignent que la forme de la courbe ne s’inverse, les rendements à long terme devenant inférieurs aux rendements à court terme. 

Pourquoi cela est-il important? Parce que cela peut être le signe d’une récession. Une courbe inversée indique que l’on craint que des personnes perdent leur emploi ou que des entreprises ferment. Dans ce contexte, les investisseurs exigent une rémunération plus élevée de la part des entreprises en contrepartie de l’augmentation du risque qui pèse sur leur capacité de remboursement à court terme. 

Les rendements à court terme peuvent également augmenter par rapport aux rendements à long terme si la Fed est dans un cycle de hausse des taux, essayant de ralentir l’économie en rendant l’argent plus difficile à emprunter. Les hausses de taux ont plus d’impact sur la partie courte de la courbe, entraînant généralement une hausse plus importante des rendements courts que des taux à long terme. 

Cependant, aujourd’hui, nous ne sommes pas dans cette configuration. En effet, nous ne sommes pas dans une situation où le rendement à court terme augmente plus que le rendement à long terme, mais dans une situation ou le rendement à court terme va bientôt baisser plus rapidement que le rendement de long terme. Nuance. 

Cependant, certains économistes affirment tout de même que l’aplatissement de la courbe des taux pourrait être un marqueur psychologique, signifiant que les investisseurs perdent confiance dans le potentiel de croissance d’un marché…

Que s’est-il passé lors des dernières crises? 

Que s’est-il passé lors des dernières crises? 

La Fed s’est lancée dans l’assouplissement quantitatif (QE) au cours des deux derniers cycles de taux d’intérêt. Le premier s’est déroulé en réponse à la crise financière mondiale et le second en réponse à la pandémie de grippe A (COVID-19). 

Lorsque les taux d’intérêt à court terme des bons du Trésor se sont rapprochés de zéro, la Fed a continué son travail de stimulation économique en abaissant les rendements sur la partie longue de la courbe, créant ainsi une courbe plus plate. 

L’accélération de l’assouplissement quantitatif et la forte demande de bons du Trésor de la part des marchés étrangers et des fonds de pension ont contribué à faire baisser les rendements à long terme. 

Au début 2022, suite à une inflation mal anticipée, l’incertitude quant à l’ampleur du resserrement de la politique monétaire de la Réserve fédérale a eu pour effet d’aplatir la courbe, cette fois-ci suite à l’augmentation des rendements courts plus forte que celle des rendements longs. 

Le résultat a été un rétrécissement rapide des écarts entre les obligations du Trésor à 2 ans et à 10 ans.

La situation est toujours «normale»! 

L’actuel aplatissement de la courbe des rendements aux États-Unis est plus à mettre sur des éléments techniques que sur des éléments fondamentaux. 

Il s’agit donc de ne pas surréagir. Avec la nature dépendante des données des décisions politiques, le potentiel d’interprétations contradictoires des nouvelles données économiques est élevé (on a par exemple vu une contraction entre la dégradation de la situation de l’emploi aux États-Unis, mais une augmentation des ventes au détail).

Si l’on ajoute à cela la complaisance du marché à l’égard du cycle de baisse des taux, on obtient une recette parfaite pour la volatilité. 

La situation en Europe est différente… pour l’instant 

En toute logique, la situation de cet aplatissement de la courbe des taux est différente en Europe (et notamment en Allemagne) et reflète le différentiel de cycle monétaire entre les 2 côtés de l’Atlantique. On a même constaté une intensification de la pente de la courbe (en anglais : steepening). 

Si la courbe des taux se raidit, cela signifie que l’écart entre les taux d’intérêt à long et à court terme s’élargit. En d’autres termes, les rendements des obligations à long terme augmentent plus rapidement que ceux des obligations à court terme, où les rendements des obligations à court terme baissent alors que les rendements des obligations à long terme augmentent. Par conséquent, le prix des obligations à long terme diminuera par rapport à celui des obligations à court terme. 

Lorsque la courbe de rendement est pentue, les banques sont en mesure d’emprunter de l’argent à des taux d’intérêt plus bas (car elles empruntent à court terme) et de prêter à des taux d’intérêt plus élevés. 

Intéressant de noter ici qu’une courbe qui s’accentue indique généralement une activité économique plus forte et des attentes d’inflation plus élevées, et donc des taux longs plus élevés. Ce n’est pas encore le cas, mais on imagine que la pression sur les épaules de la BCE devient de plus en plus importante. 

Attention, il faut noter que la situation peut cependant s’inverser très rapidement…

 SUIVANT: Comment peut-on suivre la thématique en bourse? 

 Comment peut-on suivre la thématique en bourse? 

La plupart des investisseurs obligataires ont intérêt à maintenir une approche stable et à long terme fondée sur des objectifs de diversification que sur des questions techniques telles que l’évolution de la courbe de rendement. 

Mais les investisseurs à court terme peuvent potentiellement profiter des mouvements de la courbe de rendement en surveillant certains produits négociés en bourse, comme : 

  • LYXOR US CIRVE STEEP 2-10 (STPU LN) 
  • ISHARES 20+ YEAR (TLT US)

Ces deux types de produits constituent une bonne méthode d’observation de la courbe des taux. On peut aussi acheter un «flattener» via un dérivé où on achète la partie longue et on vend la partie courte.

Synthèse 

L’aplatissement de la courbe des taux peut envoyer plusieurs signaux et notamment celui d’une récession. Si nous pensons que ce mouvement est plutôt à mettre sur le compte de facteurs techniques, il s’agit de ne surtout pas minimiser cet aplatissement.