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Dominic Gagnon

Innovation entrepreneuriale

Dominic Gagnon

Expert(e) invité(e)

20 juin 2024 | 12:14 pm

Après le Ferreira Café, maintenant Québec Numérique 

Dominic Gagnon|20 juin 2024

Après le Ferreira Café, maintenant Québec Numérique 

Le Café Ferreira a été obligé de fermer sa terrasse en plein grand prix de Montréal. (La Presse Canadienne/Graham Hughes)

EXPERT INVITÉ. Si vous étiez au Québec ces deux dernières semaines, il est presque certain que vous avez entendu parler de cette histoire scandaleuse : la fermeture de nombreuses terrasses pleines à craquer en plein week-end du Grand Prix de Formule 1 par le Service de sécurité incendie de Montréal. Cette affaire a fait la UNE de tous les médias, non seulement au Québec, mais aussi à l’international. Elle est le résultat du courage et du désespoir de la directrice des opérations du Ferreira Café, un restaurant situé sur la rue Peel à Montréal. En effet, exaspérée de voir l’administration municipale mettre constamment des bâtons dans les roues des restaurateurs, cette fermeture pendant le Grand Prix a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase et l’a poussé à partager son histoire sur les réseaux sociaux. 

Tout comme pour l’histoire de Québec Numérique que je vais aborder, l’administration a d’abord utilisé la peur pour justifier ses actions, mettant la pression sur les restaurateurs en les accusant d’avoir «mis leurs clients en danger». 

Pourtant, dès le lendemain, les terrasses pouvaient réouvrir. Aujourd’hui, une enquête est en cours, deux cadres du Service de sécurité incendie de Montréal sont suspendus, et des discussions sont en cours pour améliorer la situation. Était-ce vraiment si urgent et dangereux?  

Sans la pression médiatique et l’intervention courageuse de Mme Ferreira, ce climat de terreur aurait certainement perduré et malheureusement, ce genre de situation ressemble plus à une pandémie qu’à un événement unique.  

La fermeture de Québec Numérique 

Quelques jours plus tard, le mardi 11 juin, nous avons appris la fermeture de Québec Numérique (QN) en juillet, entraînant également celle de 42 Québec, un programme de formation numérique innovant, ainsi que l’annulation de la «Semaine numériQC» et du «Web à Québec», deux projets majeurs dans la Capitale nationale. 

Selon plusieurs médias, cette fermeture serait due à une «enquête administrative» menée par le ministère de l’Emploi et de la Sécurité sociale (MESS), qui a bloqué le financement crucial pour ces initiatives. Après des mois de tentatives pour résoudre la situation, le conseil d’administration de Québec Numérique n’a eu d’autre choix que d’annoncer la fermeture de ses opérations. Des centaines de messages d’appuis ont rapidement été partagés par des acteurs politiques et économiques, rappelant la perte énorme que cela amènera dans l’écosystème.  

Quel est le lien entre QN et Ferreira? 

Dans les deux cas, des initiatives prometteuses sont freinées par une administration rigide. Les mêmes tactiques sont utilisées : des demandes administratives excessives, des accusations de non-conformité et une tentative de faire porter le blâme aux entrepreneurs. Les conséquences sont graves : pertes financières massives pour l’un, fermeture définitive pour l’autre. 

Un peu de transparence, est-ce trop demander? 

Avant d’écrire ce blogue, j’ai parlé à de nombreuses personnes impliquées de près ou de loin avec Québec Numérique, des gens intègres pour lesquels j’ai une grande estime. Pourtant, c’est précisément cette intégrité que le ministère semble remettre en cause publiquement. 

Québec Numérique a décrit ainsi la situation : «Malgré de multiples appels à l’aide et des propositions de solutions en toute transparence, aucune issue n’a été trouvée. Plutôt que de s’asseoir et de trouver une solution commune, le Ministère a claqué la porte en se réfugiant derrière une enquête.» 

À plusieurs reprises, l’organisme a demandé à discuter avec le ministère pour mieux comprendre ce qu’il considérait comme des «irrégularités», mais ces demandes ont été ignorées, et on leur a simplement demandé de fournir «toujours plus de documents». On ne peut s’empêcher de penser que, encore une fois, des fonctionnaires tentent d’étouffer une initiative innovante par leur incompétence et leur inefficacité. 

En tant qu’entrepreneurs, nous sommes tenus de répondre à toutes les exigences administratives. À quand l’imputabilité et la transparence de ceux qui nous dirigent? Si vous souhaitez simplement la fermeture de projets comme Québec Numérique et 42 Québec, dites-le! 

Une déconnexion totale de l’administration et du monde politique 

Tout comme pour l’histoire des terrasses du Ferreira, nous voyons ici une déconnexion totale de la réalité de la part des fonctionnaires et de l’administration. Par exemple, le porte-parole du ministère de l’Emploi, Jonathan Gaudreault, a déclaré qu’à la suite de la fermeture de 42 Québec, «le ministère accompagnera les participants inscrits vers d’autres possibilités de formation ou d’intégration en emploi». 

Est-ce que M. Gaudreault s’attendait à des remerciements? Le projet 42 Québec est reconnu pour attirer des profils atypiques, des personnes qui ne trouvent pas leur place dans le système scolaire traditionnel. Une école sans professeurs, sans cours formels, sans horaires fixes — parce que le futur, c’est maintenant. Une école inclusive, gratuite, qui ne demande aucun diplôme à l’entrée. Peut-être que c’est là que réside le problème pour le ministère : une école qui rejette les codes classiques de l’enseignement supérieur est perçue comme dangereuse. Permettre à des jeunes marginalisés de réussir et de devenir des experts en codage, quel danger! 

Le porte-parole du MESS semble dire aux jeunes : ne vous inquiétez pas, l’administration va vous remettre là où vous ne vouliez pas être. Évidemment, c’est le financement promis pour 42 Québec qui entraîne la fin de Québec Numérique.  

Des paradoxes flagrants 

Il y a un paradoxe flagrant lorsque le gouvernement met en place un «ministère de la Cybersécurité et du numérique», alors que ce ministère est la risée du milieu. Sa mission est de coordonner les actions de l’État en matière de cybersécurité et de numérique, mais le ministre Caire ne semble pas du tout affecté par cette nouvelle qui ébranle toute la communauté du numérique de la Capitale-Nationale et au-delà : silence radio sur son compte X, il préfère repartager que le gouvernement aimerait avoir moins de demandeurs d’asile et que le gouvernement souhaite abolir les télécopieurs.  

C’est aussi paradoxal de voir le gouvernement nous répéter sans cesse la nécessité d’augmenter notre productivité et d’innover quand il n’est même pas capable de résoudre une enquête administrative bidon en moins de six mois.  

Des questionnements légitimes 

Cette saga soulève des questions cruciales sur la capacité de nos institutions à soutenir véritablement l’innovation et les projets d’impact. Nous sommes face à une situation absurde : d’un côté, les discours officiels encensent les vertus de l’innovation, mais de l’autre, les actions trahissent un manque flagrant de courage, une peur de la nouveauté et une absence totale de vision à long terme. Le zèle administratif, couplé à une rigidité et une opacité paralysantes, étouffe non seulement l’innovation, mais menace de l’anéantir. Ce sont ces mêmes blocages qui mettent en péril des projets cruciaux, essentiels pour le dynamisme et la survie de nos écosystèmes entrepreneuriaux. 

Le gouvernement nous rappelle sans cesse l’importance d’être plus productifs pour combler notre retard, mais cela ne se fera pas uniquement par le système éducatif traditionnel. Nous sommes en train de fermer l’un des premiers projets éducatifs innovants dédiés à l’économie de demain. 

Espérons que, comme pour les restaurateurs de Montréal, la situation de Québec Numérique puisse être rectifiée et qu’on cesse d’utiliser la peur pour étouffer les projets ambitieux et les efforts des entrepreneurs, cherchant plutôt à comprendre comment nous en sommes arrivés là et changer réellement les choses!