BILLET. Pro-duc-ti-vi-té. Ce mot semble sur toutes les lèvres. Les milieux politique et économique semblent avoir trouvé le coupable idéal et surtout l’indicateur clé sur lequel tous les efforts doivent reposer. Il est vrai que lorsqu’on se compare, les chiffres sont accablants : la croissance du PIB par habitant au Canada sera la pire parmi les 38 États membres de l’OCDE au cours des décennies à venir, selon l’organisation.
Pourquoi tant d’insistance sur le sujet ? Plus de productivité voudrait dire de meilleurs revenus pour l’entreprise et donc de meilleurs salaires pour le personnel. Le revenu brut par habitant étant également très bas, cela permettrait de s’attaquer à cet autre élément économique préoccupant. La productivité nous amènerait également plus de revenus fiscaux, et donc de meilleurs services publics. Sur papier, difficile d’être contre.
La réalité est-elle aussi simple ? La productivité est une question complexe. Son amélioration repose principalement sur l’investissement en efficacité et en R-D. Or, depuis des décennies, on compense le désintérêt du privé en la matière à grands coups de subventions, ce qui ne fait qu’ajouter une couche de complexité au dédale d’aides déjà disponibles. Résultat ? De nombreux fonds restent inutilisés, et les plus motivés à innover le font à leurs propres frais.
Investissement Québec en fait pourtant sa priorité. L’injonction de croissance de la société d’État semble dépassée à l’ère de la pénurie de main-d’œuvre et de l’IA. Faut-il plus d’employés ou mieux mettre en valeur le talent que l’on a déjà ?
Avec la productivité comme seule étoile polaire, je ne peux m’empêcher de m’interroger sur l’indicateur lui-même. Quelles sont les données qui le composent ? Sont-elles les bonnes ? Quels sont les autres indicateurs qu’on ignore et qui sont affectés lorsque tout est misé sur un seul autre ?
Les travaux du G15+, un collectif réunissant des représentants patronaux et syndicaux ainsi que des groupes environnementaux, sur les indicateurs du bien-être, révèlent que la productivité a baissé, mais que le bien-être économique et social du Québec, lui, a considérablement progressé depuis plusieurs décennies. En réalité, la province se classe même en tête de peloton international en la matière. Cela ne doit pas cacher que nous pouvons faire nettement mieux dans différents aspects, notamment en matière d’endettement des ménages et de la préoccupante détérioration de la santé mentale, mais cette relative bonne performance rappelle l’importance d’une perspective élargie au-delà des critères purement économiques.
Surtout, ces travaux nous rappellent que le choix des indicateurs n’est pas anodin. Ils orientent les grandes décisions stratégiques et déterminent où les efforts seront concentrés. À cet égard, l’intérêt croissant pour la certification B Corp est particulièrement révélateur. Obtenir le précieux sceau signifie se poser la question de la mesure de la performance, au-delà du simple aspect financier. Cette vague d’intérêt grandissante pour les facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance révèle une quête de sens dans le monde du travail. Il ne suffit plus de se lever le matin pour faire de l’argent. L’envie de contribuer positivement à l’ensemble des parties prenantes devient un moteur toujours plus important pour notre communauté d’affaires.
Notre quête permanente de productivité dans toutes les sphères de nos vies est à l’origine de beaucoup de nos maux modernes. Une vision plus équilibrée de celle-ci permettra de redéfinir le succès en affaires afin que réussite économique rime plus que jamais avec responsabilité sociale.