Logo - Les Affaires
Logo - Les Affaires
Tom Creary

L'état de l'Amérique

Tom Creary

Expert(e) invité(e)

Autopsie de la polarisation de l’électorat américain

Tom Creary|Mis à jour le 16 octobre 2024

Autopsie de la polarisation de l’électorat américain

Le monde MAGA est devenu une communauté qui procure un sentiment d’appartenance. Sur notre photo, l'attaque du Capitole en 2021. (Photo: Getty Images)

EXPERT INVITÉ. Comme l’a écrit récemment dans le Globe and Mail David Shribman, lauréat du prix Pulitzer, rédacteur en chef émérite du Pittsburgh Post Gazette et professeur invité de politique américaine à l’Université McGill: «Nous vivons une époque où les choses sont devenues plus toxiques, plus violentes et plus laides. Nous semblons être au milieu d’une période de profonds bouleversements sociaux et politiques – et à une époque où les médias sociaux sont devenus un égoût. Les États-Unis sont actuellement un pays plein de drames, de passions intenses et de conflits.»

D’où vient la colère?

Qu’est-ce qui est derrière ça?

Dans mon analyse de la semaine dernière, j’ai tenté d’expliquer l’appui à Donald Trump – pourquoi ses partisans, les partisans du mouvement MAGA, sont si inébranlables dans leur intention de vote.

Dans la présente analyse, j’irai plus en profondeur, et ce, avec le regard d’un Américain qui a grandi au cœur des États-Unis, mais qui a vécu au Québec pendant une grande partie de sa vie adulte.

Voici donc deux des cinq facteurs de polarisation qui sous-tendent cet appui à l’ex-président – je présenterai les trois autres la semaine prochaine.

Ces cinq facteurs sont :

1. Le monde rural vis-à-vis le monde urbain

2. Les religieux vis-à-vis les non religieux

3. Les personnes instruites vis-à-vis celles moins instruites

4. Les blancs vis-à-vis les gens de couleur

5. Le monde qui s’appuie sur la vérité vis-à-vis le monde qui s’appuie sur une réalité alternative

Ces cinq facteurs sont à l’origine de la polarisation et de la profonde discorde aux États-Unis, et qui ont conduit l’appui inébranlable à un individu aussi imparfait que Donald Trump.

Le monde rural et le monde urbain

Il n’y a pas de meilleur indicateur de la fracture qui existe au sein de la population américaine que celui qui existe entre les électeurs des petites villes rurales et ceux des grandes villes et des banlieues des États-Unis.

Ces deux communautés ne vivent pas dans le même monde.

Prospérité et occasions d’emploi d’un côté; misère, sous-emploi, incidence d’alcoolisme et dépendances de l’autre.

Le déclin économique de l’Amérique rurale est dévastateur.

Les difficultés des Américains ruraux sont réelles, voire terrifiantes, car la réaction politique à ces difficultés constitue un danger clair et pour la démocratie chez nos voisins.

Une grande partie de la main-d’œuvre rurale vit dans des conditions économiques précaires, juste au-dessus du seuil de pauvreté.

Et leur situation est bien pire que les travailleurs dans les centres urbains.

Par exemple, le salaire minimum dans l’État du Massachusetts est de 15$US de l’heure. En revanche, il n’est que de 7,25$US dans les États les plus pauvres et ruraux, généralement du Sud, comme le Kentucky, l’Alabama, le Mississippi, la Caroline du Nord, le Texas et l’Oklahoma.

Vingt des cinquante États américains ont un salaire minimum officiel de 7,25$, et ce sont presque tous des États essentiellement ruraux.

Il est incroyable que l’on puisse vivre avec un salaire aussi bas, mais ce salaire minimum est une réalité dans près de la moitié des États des États-Unis, le pays le plus riche du monde.

Et la quasi-totalité de ces 20 états a voté en faveur de Donald Trump en 2016 et en 2020.

Sur les 19 États où le salaire minimum est de 10$US de l’heure ou plus, 17 sont gouvernés par des démocrates. de plus, ce sont des juridictions où les citoyens ont traditionnellement voté pour un démocrate à la présidence.

La perte de dignité est à l’origine d’une grande partie de la colère des blancs ruraux.

Cette colère est également mal dirigée contre les démocrates.

Dans quelques semaines, une majorité d’Américains blancs ruraux voteront certainement à nouveau contre les démocrates, même si durant la présidence de Joe Biden, ces derniers ont tenté de créer des emplois dans leurs communautés avec un certain succès.

Ces ruraux voteront plutôt pour Donald Trump, qui n’a offert pourtant que peu de solutions à leurs problèmes. En revanche, il a attisé leur ressentiment et leur colère.

Nicholas Kristof, un commentateur bien connu de l’actualité dans le New York Times, a écrit récemment :

«Les Américains de la classe ouvrière ont le droit de se sentir trahis. Après la mort de près de 3000 personnes lors des attentats du 11 septembre 2001, nous avons déclenché deux guerres et y avons consacré des milliers de milliards de dollars. Mais tous les trois ou quatre jours, nous perdons autant d’Américains à cause de la drogue, de l’alcool et du suicide… Le tissu social de nombreuses communautés ouvrières s’est effondré et les gens sont en colère et frustrés.»

La pauvreté et la perte d’emploi ne sont pas les seules raisons qui expliquent le vote rural.

Dans les États des plaines, comme le Kansas (d’où je suis natif), le Nebraska, l’Iowa, le Dakota du Sud, le Dakota du Nord et l’Oklahoma, les habitants des zones rurales sont les descendants de ceux qui sont restés sur place pendant le fameux «Dust Bowl» de la Grande dépression des années 1930.

Ils ne se sont donc pas déracinés pour emmener, de peine et de misère, leur famille en Californie.

Ils sont demeurés dans leur ferme, ils ont travaillé dur et ils ont survécu, avec une aide gouvernementale minimale.

Un ami de longue date au Kansas m’a dit: «Je ne voterai jamais démocrate. Mes impôts ne servent qu’à maintenir à flot les gens qui ne veulent pas travailler. Les idées des grandes villes et du gouvernement omniprésent, nous en avons assez!»

Et cette attitude est là pour perdurer.

C’est dans l’ADN rural d’États comme le Kansas. Cela n’a rien à voir avec les usines fermées et le désespoir.

Donald Trump hérite simplement de ce vote.

Les religieux et les moins religieux

Comment des gens qui se disent de fervents chrétiens, qui fréquentent l’église le dimanche, peuvent-ils voter massivement pour un homme comme Donald Trump?

Certains commentateurs estiment que les religieux – les protestants évangéliques – appuient l’ex-président non pas parce qu’ils l’admirent, mais parce qu’il leur a donné ce qu’ils voulaient – ​​l’abolition du droit à l’avortement.

Les évangéliques voulaient abolir ce droit depuis des générations, et ils ont finalement trouvé leur champion pour le faire.

Mais pour d’autres, l’enthousiasme à l’égard de l’ex-président va bien plus loin. Jésus est leur sauveur, tandis que Donald Trump est leur candidat et une figure sacrée.

«Trump soutient Jésus, et sans Jésus, l’Amérique tombera», a déclaré une femme du Kentucky, lors d’un rassemblement de campagnes du candidat républicain en mai.

Selon le Wall Street Journal, un important pasteur évangélique a même dit que les démocrates représentent «les pouvoirs des ténèbres».

Le nombre d’Américains qui s’identifient comme évangélique est important. On parle d’environ 25% des adultes américains.

Le slogan «Make America Great Again» veut dire aussi pour eux «Make America Christian Again». Et, évidemment, les moins religieux ne voient pas les choses de la même manière.

Le monde MAGA est devenu une communauté qui procure un sentiment d’appartenance.

Aux yeux de ses partisans, rien de ce que les gens disent sur les faits ou les politiques gouvernementales n’a d’importance.

Ils font partie d’une famille.

C’est pourquoi Donald Trump récoltera leurs voix le 5 novembre.

L’ex-président peut aussi compter sur un autre bassin important d’électeurs : les gens économiquement vulnérables – dans les zones rurales ou urbaines – pour qui le coût plus élevé de l’essence leur fera oublier tout le reste à propos de Donald Trump.