«Bockale se retrouve aujourd’hui K.O. dans les câbles grandement à cause du manque de temps que nous avons eu pour la faire renaître de quelques années difficiles.» (Photo: 123RF)
EXPERT INVITÉ. En 2015, Michael Jean a décidé de se lancer dans la production artisanale de bière. À l’époque, on ne dénombrait que 166 brasseurs aux quatre coins de la province ; à titre comparatif, on en compte 332 aujourd’hui! Rapidement, un constat s’est imposé: pour avoir une chance de se tailler une place dans cet univers extrêmement compétitif, il lui fallait trouver une manière de se différencier. C’est à ce moment que Michael décida de s’aventurer dans la production de bières non alcoolisées.
Pionnier sans le savoir, la décision ne fut pas la plus facile à accepter de la part de certains membres de son entourage. Malgré tout, sa décision était prise et il se lança dans une catégorie qui, disons-le, n’était alors pas la plus sexy.
Pendant longtemps, la bière non alcoolisée était victime de préjugés. Réservée aux femmes enceintes pour les uns, à ceux sous médication ou ayant un problème de consommation pour les autres. Cliché après cliché, son image et sa réputation avaient grandement besoin d’un renouveau.
Quelques années plus tard, en 2021, c’est sur le plateau de Dans l’œil du dragon que j’ai rencontré Michael pour la première fois. J’ai été rapidement conquis par sa présentation, et il n’a fallu que quelques mois avant que l’on annonce un important investissement de mon entreprise dans la sienne.
Beau hasard: nous étions depuis quelques mois en plein développement de notre gamme de cocktails prêts-à-boire non alcoolisés romeo’s gin, qui vu le jour en janvier 2022. Catégorie alors encore naissante, mon équipe et moi-même étions convaincus de son fort potentiel de croissance pour les années à venir.
L’opportunité d’ajouter à notre offre de produits non alcoolisés les bières de Bockale se présentait donc sur un plateau d’argent. Depuis plusieurs années déjà, Michael et son équipe s’étaient bâti une solide réputation, non seulement pour la grande qualité de leurs différentes bières, mais aussi pour leur audace d’avoir osé créer la toute première bière artisanale non alcoolisée en canette sur la planète. Rien de moins!
Pour tout vous dire, nous avions de grandes ambitions, incluant un investissement d’une dizaine de millions de dollars dans la construction d’un tout nouveau centre de production à la fine pointe de la technologie à Drummondville.
Puis, les premières embûches sont apparues. La hausse rapide et significative des coûts de construction et d’intérêt nous a obligés à mettre sur pause nos plans. Et la difficulté d’intégration de nos produits sur les lignes d’assemblage existantes nous a empêchés de maximiser les synergies entre les deux entreprises… Pour ne nommer que celles-ci.
Malgré une première année assez difficile, autant corporativement qu’humainement, nous sommes restés concentrés sur nos objectifs communs, soit simplifier nos processus, améliorer notre productivité et développer les synergies et complémentarités tant espérées, afin de bien se positionner dans ce nouveau marché en ébullition.
Malheureusement, si tout entrepreneur rêve d’être first to market afin d’être le premier à surfer sur la vague, cette position d’innovateur comporte d’énormes risques et défis. Que ce soit en lançant le premier spiritueux premium québécois à la SAQ en 2010 avec Pur Vodka, en étant parmi les tous premiers gins de la province avec romeo’s gin en 2015, ou en bouleversant et en montant en gamme la catégorie des prêts-à-boire avec romeo’s gin tonic en 2018, j’ai vécu, en première ligne, à maintes reprises, les défis de l’innovation avec mon équipe.
Certes, être premier donne parfois quelques avantages compétitifs, mais ça implique aussi de se taper toute la sale besogne afin d’ouvrir un marché et voir pas trop longtemps après une avalanche de nouveaux compétiteurs emprunter le chemin fraîchement défriché… Cette innovation prend du temps et coûte cher, mais c’est la game comme on dit!
En toute transparence, nous nous sommes retrouvés dans une lutte contre le temps. Au cours des deux dernières années, nous avions pris beaucoup de retard sur nos objectifs de croissance, affectant directement la santé financière de l’entreprise et nous compliquant grandement la tâche.
Combiné à un marché certes en pleine effervescence, mais sans une vision du futur clairement définie, ainsi qu’à certaines lourdes décisions financières prises dans le passé, nous avons débuté l’année 2024 avec un mélange d’espoir, d’inconnu et de stress envers Bockale.
Sans d’importants changements, comment l’entreprise allait-elle pouvoir remonter la pente?
Tristement, malgré d’incalculables heures de travail, d’innombrables scénarios envisagés, des centaines de rencontres de toutes sortes et, on va se le dire, des nuits blanches et maux de tête à profusion, Michael et moi avons dû prendre, d’un commun accord, la difficile décision qu’espère ne jamais prendre tout entrepreneur: celle de mettre sur pause les activités de Bockale afin d’analyser les options pour son futur, incluant une fermeture définitive.
Pour l’instant, même si les produits continuent d’être disponibles sur les tablettes des épiceries, Bockale fait face à un avenir incertain.
Depuis bientôt dix ans, autant via cette chronique que sur mes différentes plateformes sociales, je vous invite dans les coulisses, je vous partage mon quotidien d’entrepreneur, autant lors des bons moments que lors des moins bons, comme celui-ci.
Après 15 ans en affaires, je ne me fais plus d’illusion: traverser des moments plus houleux, subir des échecs ou ne pas réussir un projet que l’on entreprend ou dans lequel on investit est quasi inévitable. Cela étant dit, devoir prendre une décision aussi drastique envers une entreprise, des produits et une catégorie dans laquelle nous croyons fortement fait mal. Très mal.
Nul besoin de vous dire que les pertes financières, elles aussi, font très mal. Pour mon entreprise, cet important investissement devait nous aider à ouvrir de nouveaux marchés, accueillir de nouveaux clients ainsi que nous offrir de nouvelles opportunités, ce que nous n’avons que partiellement réussi à faire.
Bien que la blessure soit loin d’être guérie, je tire déjà plusieurs leçons de cette aventure, surtout celle me démontrant à quel point l’expression timing is everything est véridique. Car Bockale se retrouve aujourd’hui K.O. dans les câbles grandement à cause du manque de temps que nous avons eu pour la faire renaître de quelques années difficiles.
Comme dit le populaire adage, le temps, c’est de l’argent. La charge financière était lourde à supporter. Chaque mois qui passait ne faisait qu’ajouter à cette charge que nous n’avons aujourd’hui plus le luxe de supporter.
Pour ma part, ainsi que celle de mon équipe, malgré ce difficile moment à traverser, il est important de garder le cap sur les objectifs concernant nos autres gammes de produits et divers projets présentement en cours.
Quant à Bockale, j’espère sincèrement que les prochaines semaines éclairciront l’avenir et que les démarches légales entamées porteront fruit. Même si cela me fera un pincement au cœur de voir la marque briller dans les prochaines années, je le souhaite de tout mon cœur.