Pierre Fitzgibbon à «Les Affaires» en avril dernier (Photo: Simon Prelle)
EXPERT INVITÉ. Chaque démission cache une part de vérité, alors que le démissionnaire se cache souvent derrière des mensonges bien ficelés et formulés le mettant en valeur ou du moins, ne salissant pas trop sa réputation.
Dans la foulée de l’annonce grandement anticipée du départ du ministre Pierre Fitzgibbon, il est important de mettre quelques éléments au clair, même si ce dernier semble nous prendre pour des dupes.
Malgré ses frasques et ses six enquêtes de la commissaire à l’éthique qui mettait son parti dans l’embarras, je crois qu’il n’y a que François Legault qui se désole de la perte de son «superministre» qui lui donnait davantage de crédibilité et qui lui donnait des chances de se faire réélire dans un gouvernement probablement minoritaire. «Je pense que le Québec a été chanceux d’avoir Pierre comme ministre pendant six ans. Les résultats sont là. […] On doit tous lui dire merci», soulignait la semaine dernière M. Legault en point de presse.
Pour ma part, je n’ai aucun remerciement à lui faire.
Avant de rejoindre la Coalition avenir Québec en 2018, il était associé directeur de Partenaires Walter Capital et administrateur de la société Héroux-Devtek. Il a démissionné. Ayant rejoint la CAQ, et ayant remporté deux élections, il démissionne.
Évoluant dans le merveilleux monde du travail depuis au moins trente ans, j’ai déjà vu neiger, et évoluant dans le merveilleux monde des RH depuis dix-huit ans, je peux affirmer sans gêne que je commence à bien connaître les démissions. Il serait faux de dire qu’elles n’ont plus de secrets pour moi, mais presque.
Depuis que la COVID-19 a frappé en mars 2020, jusqu’à ce jour, j’ai géré plus de 453 démissions. D’emblée, je peux vous confirmer qu’on ne démissionne pas parce qu’on est heureux. On quitte habituellement son employeur parce que le cœur n’y est plus, parce que la motivation n’y est plus, parce que les occasions de s’épanouir n’y sont plus. Plus précisément, les employés démissionnent pour un meilleur salaire. Ils quittent pour un travail plus près de leur domicile. Ils démissionnent quand ils ne reçoivent ni formation ni support de l’équipe pour bien s’y intégrer. Les employés démissionnent quand ils ne s’entendent pas avec leur boss.
Nous démissionnons aussi quand on sait que l’on va se faire congédier. Par orgueil, on tente de contrôler son destin avant de se faire montrer la porte, ou du moins, on tente de faire croire et l’on donne l’illusion que la décision vient de nous plutôt que d’avouer que c’était déjà la fin pour nous.
Laisser planer le doute
Celui qui était reconnu pour ne pas avoir une langue de bois, a ressorti des phrases plutôt creuses qui cachent la vérité. «Quand on sent qu’on n’a plus le même enthousiasme malgré les projets super intéressants, c’est peut-être le temps de partir et de laisser la place aux autres.» Il a laissé planer le doute en nous prenant pour des valises. Il semblait incapable d’affirmer — ou plutôt timide à l’idée de confirmer — qu’il terminerait son deuxième mandat. Il nous faisait languir depuis des mois. Encore au mois de mai 2024, il dit à certains journalistes : «Je vais démissionner le matin où vous allez le savoir.»
C’est indéniable qu’il n’était pas venu en politique pour un meilleur salaire, donc quitte-t-il pour renflouer son compte en banque? Possible, mais la cause est plus profonde que ça. L’idée qu’il quitte pour se rapprocher de chez lui ne tient pas la route, tout comme le manque de formation et le support de son équipe doivent être écartés des raisons valables. Les désaccords avec François Legault sont présents depuis 2018, donc oublions cette excuse. De son propre aveu, il sentait un certain déclin pour aucune raison spécifique depuis des mois. L’introspection aurait pu l’aider à comprendre les raisons, mais M. Fitzgibbon ne semble pas doué pour ce type d’analyse.
Certains journalistes parlent de démission forcée par François Legault pour que M. Fitzgibbon ne soit pas une distraction d’ici la fin de l’année. Peut-être, mais ça n’explique pas tout! En RH, et selon la Loi sur les normes du travail, nous parlons davantage d’un congédiement déguisé. Forme de fin d’emploi illégale, mais qui va le dire au premier ministre?
Mais revenons à ce qui n’est pas dit.
La CAQ est en chute libre dans les intentions de vote puis plus de 12 mois. La défaite dans la partielle de Jean-Talon, la hausse salariale de 30% de la députation accordée en 2023, le dossier des Kings de Los Angeles, la remontée en force du Parti québécois, l’incertitude planant autour de son projet de loi sur l’énergie, les entraves au BAPE pour l’usine de Northvolt et toutes les questions concernant la filière batterie, sans oublier son fameux troisième lien n’augure absolument rien de bon pour la CAQ.
Comme je le mentionnais précédemment, beaucoup d’employés démissionnent avant de se faire montrer la porte. Rusé, intelligent, et voyant venir une probable défaite de la CAQ à la prochaine élection et anticipant la défaite dans sa propre circonscription depuis plusieurs mois déjà, pourquoi serait-ce si différent pour Pierre Fitzgibbon?
L’orgueil et le bon sens auraient-ils eu gain de cause sur les convictions politiques de cet inébranlable politicien?
Démissionner et sortir la tête haute plutôt que de recevoir une claque au visage lors du prochain scrutin me semble tout à fait plausible. Mais bien évidemment, il n’osera jamais le dire.