Carboneutralité : le chemin de croix du Québec et des pays industrialisés
François Normand|Édition de la mi‑juin 2024Londres accélérera la production d’énergie éolienne, en plus de miser sur une nouvelle génération de réacteurs nucléaires. (Photo: Getty Images)
ANALYSE. Le 6 juin, juste avant la fin de la session parlementaire, Pierre Fitzgibbon a déposé l’ambitieux projet de loi 69 pour moderniser les lois entourant l’énergie. L’une des pièces maîtresses est la création d’un plan de gestion intégrée des ressources énergétiques (PGIRE), c’est-à-dire une feuille de route pour accélérer la transition énergétique et atteindre la carboneutralité en 2050. Or, ce sera tout un chemin de croix pour le Québec, et pour d’autres pays industrialisés qui ont le même objectif.
Lors d’une table éditoriale à « Les Affaires », en mai, le ministre de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie a dit souhaiter que les Québécois profitent de l’été pour discuter de son projet de loi qui transformera nos façons de faire de fond en comble.
Et on comprend pourquoi. Tout est couvert ou presque dans ce vaste projet de loi, qui sera sans doute adopté en 2025. Tellement que les consultations publiques à compter de l’automne s’annoncent d’ores et déjà longues et ardues.
Production d’énergie, efficacité énergétique, processus pour fixer des tarifs d’électricité et du gaz naturel, accélération des projets, gouvernance, gestion de l’offre et de la demande en énergie… Il y a peu d’angles morts.
Le PGIRE n’est pas encore prêt, car concocter une telle feuille de route — qu’on retrouve dans plusieurs pays ainsi que dans d’autres provinces canadiennes — prendra du temps.
Du reste, ce ne sera pas un document final, coulé dans le béton. Le PGIRE sera flexible et bonifié au fur et à mesure que les connaissances, les bonnes pratiques et les technologies évolueront au fil des ans.
Le Québec doit accélérer sa transition énergétique
Même si le PGIRE n’est pas disponible, nous avons déjà une certaine idée du chemin à parcourir pour réduire nos émissions de gaz à effet de serre (GES) afin de les avoir pratiquement éliminées en 2050 — notamment à l’aide de crédits carbone compensatoires.
Par exemple, le Québec s’est déjà engagé à réduire ses émissions de GES de 37,5 % d’ici 2030 par rapport à leur niveau de 1990. Or, à ce jour, nous les avons baissées uniquement de 8,9 %, selon l’inventaire des émissions de GES pour l’année 2021, publié en décembre.
Pour espérer atteindre sa cible de réduction de GES et la carboneutralité en 2050, le gouvernement du Québec a déjà prévu plusieurs moyens dans son « Plan pour une économie verte 2030 », une politique-cadre publiée en juin 2023.
Par exemple, en 2030, le réseau gazier québécois devra contenir 10 % de gaz naturel renouvelable (GNR). Deux millions de véhicules électriques devront circuler sur les routes dans six ans. Le gouvernement devra baisser de 60 % les émissions de son parc immobilier d’ici la fin de la décennie.
Des pays se sont aussi dotés de stratégies ambitieuses pour réduire leurs GES et atteindre la carboneutralité en 2050. Comme le Québec, ils devront transformer de fond en comble leurs façons de faire.
France : la stratégie nationale bas-carbone
En 2022, la France a publié la « Stratégie nationale bas-carbone », soit sa feuille de route pour lutter contre les changements climatiques.
Pour atteindre la carboneutralité sans utiliser de crédits carbone internationaux, le gouvernement propose quatre grandes mesures structurantes.
Il veut décarboner complètement l’énergie utilisée d’ici 2050 (à l’exception du transport aérien), réduire de 50 % la consommation d’énergie dans tous les secteurs, diminuer au maximum les émissions non énergétiques (par exemple, le méthane dans le secteur agricole) ainsi qu’augmenter et sécuriser les puits de carbone naturels (sols, forêts, etc.).
Royaume-Uni : la stratégie nette zéro
Pour sa part, le Royaume-Uni a publié en 2021 sa « Net Zero Strategy » pour l’horizon 2050. Le gouvernement y propose des mesures ambitieuses pour éliminer les émissions de GES.
D’ici 26 ans il ne faudra plus brûler de combustibles fossiles pour produire de l’électricité ou chauffer des bâtiments. Il devient impératif de fabriquer du béton, du ciment de l’acier avec de nouveaux procédés faibles en carbone. C’est sans parler de la fin des moteurs essence et diesel.
En même temps, Londres accélérera la production d’énergie éolienne, en plus de miser sur une nouvelle génération de réacteurs nucléaires.
Japon : la stratégie de croissance verte
Le Japon n’est pas en reste. En 2020, la troisième économie mondiale a publié sa « Stratégie de croissance verte pour atteindre la carboneutralité en 2050 », qui s’appuiera notamment sur l’achat de crédits carbone en Asie.
La stratégie vise trois grands pans de l’économie nippone — l’énergie, le transport et le manufacturier, ainsi que l’immobilier résidentiel et commercial —, qui regroupe 14 secteurs de l’économie.
Pour atteindre la carboneutralité, le gouvernement établira entre autres des normes beaucoup plus strictes pour les émissions liées à l’utilisation de l’ammoniac, de la biomasse et de l’hydrogène, sans parler de la capture, de l’utilisation et du stockage du carbone.
États-Unis : la stratégie à long terme
Nos voisins américains ont aussi une vision ambitieuse. En 2021, Washington a publié « The Long-Term Strategy of the United States ». Pour arriver à la carboneutralité en 2050, le pays doit réussir cinq « transformations clé ».
Il faut d’abord décarboner la production d’électricité, et ce, dès 2035, à l’aide des énergies solaire et éolienne. Le pays doit ensuite électrifier les autres carburants utilisés dans le transport, le bâtiment et les processus industriels ; on mise sur l’hydrogène et les biocarburants durables.
Enfin, les États-Unis veulent faire beaucoup plus d’efficacité énergétique, réduire les émissions de méthane, en plus de capter et de séquestrer le dioxyde de carbone dans l’atmosphère grâce à de nouvelles technologies.
Le Québec aura toute une feuille à produire pour atteindre la carboneutralité en 2050. Les écueils seront sans doute nombreux dans ce qui représente sans doute le plus grand défi de notre siècle.
Ce sera assurément un chemin de croix. Cela dit, nous ne sommes pas seuls dans cette aventure. Français, Britanniques, Japonais et Américains, pour ne nommer qu’eux, doivent affronter la même crise écologique.
Tous les États ont donc intérêt à collaborer afin de partager leurs meilleures idées.