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«Ce que j’ai encore à vous dire»

Olivier Schmouker|Publié à 7h59 | Mis à jour à 9h42

«Ce que j’ai encore à vous dire»

Jean-Jacques Stréliski (Photo courtoisie HEC Montréal)

«À présent que ma carrière tire à sa fin, je ne ressens pas d’aigreur, mais du bonheur et de l’espoir.» C’est par ces mots à la fois doux et lucides que Jean-Jacques Stréliski, jusqu’alors professeur associé au département de marketing de HEC Montréal, a tiré sa révérence, lors d’un ultime cours intitulé «La Dernière leçon». 

Mardi, aux locaux du centre-ville de HEC Montréal, une soixantaine de personnalités du milieu de la communication-marketing, d’étudiants et de proches ont eu le privilège de savourer la profonde sagesse de celui qui figure aujourd’hui dans le Temple de la renommée de l’Association des agences de communication créative (A2C). La sagesse d’un homme à la carrière impressionnante et aux idées toujours pétillantes d’intelligence. 

Jean-Jacques Stréliski est et a toujours été un trublion, un type qui adore bousculer les idées reçues. Lors de son premier pitch publicitaire auprès d’un client potentiel, il a fini par balancer à celui-ci: «Nous ne sommes pas là pour vous lécher le cul!» Sans surprise, il n’a pas remporté le compte. Mais cela ne l’a nullement empêché de briller dans le milieu de la communication-marketing. Bien au contraire. 

Il a cofondé l’agence Cossette à Montréal et collaboré avec les agences BBDO Montréal, Taxi et Publicis. En tant que directeur de création, il a été associé à de nombreuses campagnes publicitaires qui lui ont valu une reconnaissance internationale. «Sa passion, ça a toujours été de donner vie aux idées neuves», a témoigné le compositeur et ami de longue date François Dompierre. 

Ainsi, Jean-Jacques Stréliski déplore aujourd’hui le fait que la communication-marketing soit devenue un «véritable foutoir». Chacun de nous est submergé d’informations et d’idées plus ou moins fiables provenant de toutes parts, à tel point que nous sommes tous, ou presque, victimes d’«infobésité». «Pis, la publicité est maintenant généralement perçue comme envahissante, pour ne pas dire harcelante, alors que, dans les années 1960 et 1970, elle était plutôt considérée comme émancipatrice pour la société québécoise», a-t-il dit, en soulignant que la situation a empiré depuis l’avènement du numérique. «La bonne information, la bonne idée en est réduite de nos jours à voguer sur l’océan de communications virtuelles telle une bouteille à la mer», a-t-il illustré. 

Que faire? Comment corriger le tir, si cela est encore possible? «En voilà une question qu’elle est bonne, comme disait l’humoriste français Coluche», a lancé, sourire en coin, celui qui considère que son signe particulier est d’être une «grande gueule». Et de poursuivre: «Il convient tout bonnement de remettre du bon contenu dans le contenant, à savoir du contenu qui fait sens». 

Son astuce pour trouver le «bon contenu», c’est de s’inspirer de l’écrivain tchèque naturalisé français Milan Kundera, connu pour «L’Insoutenable légèreté de l’être», qui considérait que l’important, ce n’est pas ce qu’on dit, mais ce que les autres comprennent. Cela peut permettre d’adapter son message afin de parvenir à «s’emparer de l’oreille d’autrui». 

En d’autres termes, le communicateur digne de ce nom se doit de «faire commerce», c’est-à-dire de nouer une relation «cordiale et équilibrée» qui «se renforce dans le temps» avec ses interlocuteurs. Il lui faut veiller à «écouter avant de parler», et donc à «faire passer l’humain avant le gain». 

«Je ne suis pas marxiste-léniniste, ni même anti-capitaliste, mais bon, il faut avouer que nous sommes de nos jours sur la mauvaise voie en termes de communication-marketing, a-t-il lancé tout de go. Certains disent qu’il faut apprendre au consommateur à mieux consommer, à se montrer plus responsable dans sa consommation. Mais c’est d’un cynisme sans nom. Avec, entre autres, l’inflation et les vagues de licenciement à répétition, encore faudrait-il que le consommateur soit en mesure de consommer…» 

Ce cynisme omniprésent dans la communication-marketing, Jean-Jacques Stréliski l’exècre. «Le cynique, c’est celui qui connaît le prix de tout et la valeur de rien, a-t-il expliqué. C’est celui qui, au fond, émet de l’information et des idées, mais ne communique pas vraiment. C’est celui qu’il nous faut terrasser, à commencer par celui qui sommeille en chacun de nous.» 

Pour ce faire, on peut suivre la recommandation du sociologue français Dominique Wolton, son penseur favori: «La communication, c’est la découverte de l’altérité». Oui, c’est réaliser que pour communiquer, il faut avant tout être deux, et donc renouer et cultiver des liens véritables avec ceux à qui on s’adresse. C’est, en résumé, reconnecter avec notre nature humaine. 

«Le philosophe français Michel Serres préconisait à ce sujet d’adopter la bonne posture, a-t-il indiqué. À savoir de faire preuve à la fois d’agilité, de lucidité, d’écoute, d’adaptabilité et d’humanisme, tout en conservant un regard critique.» Dès lors, la communication peut redevenir saine et fructueuse. 

D’où son appel vibrant à la relève, en particulier à ses élèves de HEC Montréal: «De grâce, relevez la tête! Mettez vos tripes sur la table et votre cœur à l’ouvrage. Ayez le courage et l’audace de dire et de faire différemment.» C’est que, a-t-il ajouté, «vous avez notre avenir dans vos mains». «Il ne s’agit pas d’un poids, encore moins d’un fardeau, mais bel et bien d’une responsabilité. Et si jamais vous la considérez, un jour, un peu trop lourde, n’oubliez jamais que des retraités comme moi seront toujours là pour vous donner un coup de main…» 

Comme l’a souligné François Dompierre, «Jean-Jacques Stréliski ne quitte rien du tout, en vérité». «Pour lui, la boucle est tout simplement bouclée.» Il revient maintenant parmi les siens, sa famille et ses proches, et continuera volontiers d’éclairer humblement des voies à suivre pour ceux qui le lui demanderont. En toute humilité. Une humilité qui, d’ailleurs, transparaît dans ce que le moteur de recherche de Google dit d’emblée sur lui: non, il n’est pas l’un des pères fondateurs de la publicité francophone au Québec, non, il n’est pas un éminent professeur de communication-marketing, et non, il n’est pas un chroniqueur à la plume acérée de la revue Gestion HEC Montréal, il est juste… «le père d’Alexandra Stréliski».

Jean-Jacques Stréliski (Photo courtoisie Caroline Bergeron et HEC Montréal)