Cessons de prendre les immigrants pour des boucs émissaires
Jean-Paul Gagné|Édition de la mi‑octobre 2024Le président français Emmanuel Macron et le Premier Ministre du Québec François Legault. (Photo: La Presse Canadienne / Ryan Remiorz)
CHRONIQUE. François Legault aime tellement parler des immigrants et accuser Justin Trudeau d’être responsable de leur trop grand nombre au pays qu’il en a fait un thème de son récent voyage en France. Québec les dépeint comme une menace pour la langue française et les dépenses publiques, en plus de les cibler comme cause de la crise du logement (commençons par faire le ménage dans les Airbnb sans permis !). Ne serait-il pas plus judicieux de donner la résidence permanente à ceux qui comblent des besoins de main-d’œuvre permanents ?
En plus d’en discuter abondamment avec les journalistes, François Legault a jugé bon d’en instruire le premier ministre français actuel, Michel Barnier, et de demander à son prédécesseur, Gabriel Attal, si la France avait le pouvoir d’expulser un demandeur d’asile qui ne parle pas français. Les règles du bon goût recommandent pourtant que l’on règle ses chicanes de ménage à domicile.
François Legault voulait aussi en apprendre plus sur les «zones d’attente» françaises où séjournent, jusqu’à un maximum de 26 jours, des demandeurs d’asile en attente d’être relocalisés pendant l’étude de leur dossier d’admission comme réfugié, une procédure qui ne doit pas durer plus de quatre mois.
Cette façon de faire serait inapplicable chez nous puisque cela peut prendre jusqu’à trois ans avant qu’un demandeur d’asile puisse être reconnu comme réfugié, période où lui et sa famille auront eu le temps de tisser des liens dans leur milieu de vie. Ne serait-il pas inhumain de les expulser une fois qu’ils sont enracinés ?
Alors que le gouvernement de la CAQ a lui-même encouragé le recrutement de travailleurs étrangers pour répondre aux besoins de main-d’œuvre en entreprise, en agriculture et dans les services de santé de l’État, François Legault demande maintenant à Ottawa de réduire de moitié (de 160 000 à 80 000) le nombre des demandeurs d’asile au Québec et de rediriger les autres vers les autres provinces. Serait-ce compatible avec les chartes canadienne et québécoise des droits et libertés? François Legault répond qu’il l’ignore et que c’est au fédéral de «trouver les façons» d’y arriver. Étonnant!
Alors que son parti tire de l’arrière dans les sondages et que plusieurs dossiers le font mal paraître (coupes généralisées dans les dépenses publiques, engorgement du système de santé, volte-face en ce qui concerne le «nouveau lien interrives», incertitudes sur l’avenir de l’usine Northvolt, etc.), son acharnement sur les immigrants poursuit probablement deux objectifs : faire diversion dans l’opinion publique et consolider les intérêts politiques de la CAQ au sein de l’électorat identitaire. Notons toutefois que ses doléances ne semblent pas trouver un écho notoire parmi la population.
Après avoir demandé au Bloc québécois de s’allier avec le Parti conservateur pour renverser le gouvernement Trudeau, un affront aussi inusité que contreproductif, la CAQ n’a même pas daigné participer au récent souper en l’honneur du président Macron : aucun membre du gouvernement de Québec n’a répondu à l’invitation du premier ministre fédéral. Aberrant ! Pourtant, le vrai désir de la population est plutôt que les deux ordres de gouvernement collaborent avec ouverture dans la gestion de l’immigration au lieu d’entretenir la controverse.
Des démarches
Malgré ces escarmouches, des décisions sont prises pour réduire l’afflux d’immigrants temporaires. Ainsi, les gouvernements se sont entendus pour limiter à 10 % la proportion de travailleurs étrangers à bas salaire (moins de 27,47 $/heure) dans une entreprise et pour geler leur embauche dans certaines villes. Rappelons que c’est à la demande du gouvernement Legault qu’Ottawa a étendu à 250 professions et métiers le processus de traitement simplifié (63 % des dossiers) pour accélérer l’embauche de travailleurs lors des pénuries de main-d’œuvre postpandémiques.
D’autres mesures ont été prises par Ottawa. En plus de fermer le chemin Roxham, Ottawa a institué un visa pour freiner l’immigration mexicaine. Résultat : les demandes d’asile en provenance du Mexique ont baissé de près de 80 % entre juillet 2023 et juillet 2024. Le nombre de demandeurs d’asile dans des hôtels financés par Ottawa est passé de 7600 en janvier 2024 à environ 5000 récemment. Et il est également faux d’affirmer que Québec paie pour tout. Il serait d’ailleurs intéressant de savoir le coût net véritable (après le financement fédéral) des demandeurs d’asile pour Québec. (Un beau sujet d’enquête pour le vérificateur général.)
De plus, le nombre d’étudiants étrangers a diminué de plus de 200 000, soit 38 %, pour la période allant de janvier à août 2024, par rapport aux mêmes mois en 2023. En outre, Ottawa réduira de 10 %, à 437 000, le nombre de permis d’étude délivrés en 2025 et en 2026, et ce plafond inclura désormais les étudiants des cycles supérieurs. Québec pourra quantifier ses propres objectifs et choisir les établissements qui subiront ces limitations.
De plus, seuls les diplômés (baccalauréat, maîtrise, doctorat) peuvent désormais obtenir un permis de travail d’un maximum de trois ans, après quoi ils pourront demander la résidence permanente. Cette mesure doit permettre de réduire de 175 000 le nombre de permis de travail des postdiplômés. On sera aussi plus restrictifs sur les demandes de permis de travail des conjoints des diplômés et des étudiants, soit une baisse d’environ 50 000 permis. Les permis pour les conjoints de travailleurs hautement qualifiés dans les secteurs qui ne sont pas en pénurie de travailleurs seront aussi restreints, ce qui devrait réduire de 100 000 le nombre de permis pour cette catégorie de personnes.
On connaîtra le 1er novembre les niveaux d’immigration visés par Ottawa pour 2025, 2026 et 2027 dans les différentes catégories (travailleurs économiques, réunification familiale et réfugiés). Ces objectifs auront sans doute été discutés avec les provinces, dont le Québec, qui a un droit de regard sur l’immigration économique. Espérons que, malgré les critiques publiques de François Legault, les ministres et les fonctionnaires des deux gouvernements auront discuté avec ouverture et sérénité.
Désireux de marquer des points politiques, François Legault invoque parfois la possibilité d’un référendum sur le rapatriement des pleins pouvoirs en immigration. C’est utopique. La protection des réfugiés est une responsabilité qui se discute aux Nations unies, assemblée où le Québec ne siège pas. Il est aussi probable que la population ne l’appuierait pas.
J’aime
Hydro-Québec a raison de faire appel de la décision de la Régie de l’énergie, qui contraint la société d’État de fournir 20 mégawatts d’électricité à Énergie Flumen, qui projette un centre de minage de cryptomonnaie à Matane. D’abord, ce genre d’activité, éminemment énergivore, ne crée pas d’emploi. Ensuite, Hydro-Québec refuse déjà de l’énergie à des entreprises beaucoup plus écologiques. Troisièmement, la Régie de l’énergie a pour mission de fixer les tarifs et les conditions auxquels l’électricité est transportée et distribuée. Ce n’est pas dans sa mission d’allouer des blocs d’électricité.
Je n’aime pas
Après des années de cafouillage, le gouvernement Legault lancera un « appel à intérêt international » et demandera un « concept de référence » pour son « nouveau lien interrives ». Tout est ouvert : l’endroit est à déterminer ; ce pourrait être un pont ou un tunnel ; l’ouvrage servira au transport routier et pourrait également accueillir le transport collectif. Difficile de ne pas y voir qu’une manœuvre électoraliste. Combien de sociétés dépenseront des millions pour se lancer dans un projet aussi flou promu par un gouvernement qui n’arrête pas de changer d’idée et qui risque fort d’être battu aux prochaines élections ?