Les mesures sans précédent prises par la Banque populaire de Chine (PBoC) reflètent l’urgence croissante pour Pékin de relancer la croissance économique. (Photo: Getty Images)
La majeure partie des investisseurs et des économistes s’attendaient à ce que la Chine lance, à un moment ou à un autre en 2024 ce qui était considéré comme la «grosse Bertha économique» (entendre la mise en place de mesures économiques très importantes) afin de relancer une économie en décélération et éviter que la croissance ne passe sous la barre symbolique des 5%. C’est chose faite. Synthèse et analyse.
Les faits
Les mesures sans précédent prises par la Banque populaire de Chine (PBoC) reflètent l’urgence croissante pour Pékin de relancer la croissance économique, soulignée par le dévoilement d’une série de mesures agressives d’assouplissement monétaire, dans une rare action conjointe.
Ces mesures radicales interviennent à un moment où la communauté internationale des investisseurs se méfie de plus en plus du ralentissement de la croissance chinoise et de la faiblesse persistante du marché boursier.
Si l’intention de ces politiques est claire — relancer l’investissement intérieur et la confiance des consommateurs — la question essentielle est de savoir si ces mesures suffiront à stabiliser un paysage économique fragile.
Après tout, ces mesures reflètent les politiques monétaires agressives adoptées par les banques centrales en période de crise. Pan a également annoncé des mesures visant à soutenir le secteur immobilier en difficulté et à renforcer directement la liquidité du marché boursier. Bien que ces mesures soient prometteuses, il est essentiel de reconnaître que des mesures similaires dans le passé ont eu un succès
mitigé, en particulier lorsque le sentiment des consommateurs et des entreprises reste
très prudent.
À l’avenir, les acteurs du marché surveilleront de près l’impact de ces mesures de relance sur des indicateurs clés tels que l’inflation, la valeur du yuan et les performances des marchés boursiers. En substance, si les dirigeants chinois semblent déterminés à empêcher une nouvelle détérioration de l’économie, il reste à voir si ces interventions audacieuses peuvent réellement inverser la trajectoire
descendante actuelle.
Pour les investisseurs, ces développements offrent à la fois des opportunités et des risques. D’une part, l’afflux de liquidités pourrait générer des gains à court terme sur les actions et d’autre part, l’incertitude persiste quant à la durabilité de ces gains, d’autant plus que des facteurs externes tels que l’inflation mondiale et les politiques de la Réserve fédérale américaine exercent une pression sur l’économie chinoise.
Quelles ont été les annonces concrètes ?
La Banque populaire de Chine (PBoC) a introduit hier plusieurs mesures pour stimuler l’économie, alors que l’on craint que l’objectif officiel de croissance d’environ 5% ne soit pas atteint en raison de la faiblesse des données récentes.
Le gouverneur Pan Gongsheng a déclaré, lors d’une conférence de presse, que la banque centrale réduirait le ratio des réserves obligatoires (RRR) de 50 points de base, ce qui permettrait d’injecter 1 000 milliards de yuans dans le système financier, avec la possibilité d’une nouvelle réduction de 0,25 à 0,5 point de base plus tard dans l’année.
En outre, la PBoC abaissera le taux de prise en pension à sept jours de 1,7 % à 1,5 %, afin de réduire les coûts d’emprunt à court terme pour les banques. Cette mesure s’accompagne d’une réduction de 30 points de base des coûts d’emprunt de la facilité de prêt à moyen terme.
Les taux hypothécaires seront également réduits, avec une baisse moyenne
attendue de 50 points de base, et l’acompte minimum pour les résidences secondaires sera ramené de 25 % à 15 %.
Pan Gongsheng n’a pas précisé quand ces mesures prendraient effet. L’action de mardi est intervenue après que la Fed américaine a entamé son cycle d’assouplissement monétaire par une importante réduction des taux.
Quelles sont les incertitudes actuelles qui entourent la Chine ?
En début d’année, l’organisme de recherche indépendant, à but non lucratif et non partisan, le Peterson Institute for International Economics (PIIE) affirmait que les cinq principales incertitudes qui pesaient (pèsent?) sur l’économie chinoise étaient (sont?):
- Éviter une spirale déflationniste : les pressions déflationnistes en Chine se sont aggravées avec la chute des prix à la consommation et la faiblesse de la demande intérieure. Le risque est que la poursuite de la baisse des prix entraîne un report des dépenses, une baisse de la production et une hausse du chômage, augmentant ainsi le coût réel de l’emprunt.
- Déflation par la dette et mesures de relance : malgré les pressions économiques, le gouvernement s’est montré prudent en matière de relance monétaire. La politique budgétaire pourrait jouer un rôle plus important en 2024, en augmentant potentiellement le déficit budgétaire et en le finançant
par des obligations du gouvernement central. - Restaurer la confiance du secteur privé : la confiance des consommateurs et des entreprises privées reste faible, car de nombreux ménages préfèrent épargner plutôt que de dépenser, et les entreprises hésitent à investir. Il n’est pas certain que les efforts actuels du gouvernement soient suffisants pour
restaurer la confiance sans changements politiques plus audacieux. - Ralentissement du secteur immobilier : le secteur de l’immobilier est toujours en difficulté, avec des ventes atones et des promoteurs confrontés à des crises de liquidité. Malgré les mesures gouvernementales visant à augmenter les prêts aux promoteurs, notamment privés, les banques ont été réticentes à s’engager en raison des inquiétudes liées à l’augmentation des créances
douteuses. - Investissements directs étrangers : l’investissement direct étranger en Chine a atteint un niveau record, les entreprises internationales réduisant leur présence, en partie à cause des tensions géopolitiques et du scepticisme à l’égard des politiques chinoises. Le gouvernement tente d’attirer les investisseurs étrangers avec de nouvelles politiques, mais le succès de ces efforts reste incertain.
Effets au niveau des pays
Selon les statistiques de Berlin, des marchandises d’une valeur de 254,5 milliards d’euros ont été échangées entre l’Allemagne et la République populaire de Chine en 2023 (exportations et importations). L’Office fédéral des statistiques (Destatis) indique que la République populaire de Chine a été le principal partenaire commercial de l’Allemagne en 2023 pour la huitième année consécutive.
On imagine donc qu’un redémarrage de l’activité chinoise pourrait doper l’économie allemande et être la bonne surprise de cette fin d’année.
Cependant l’Allemagne n’est pas le seul pays qui pourrait être touché positivement par une croissance chinoise plus vigoureuse.
Selon les derniers chiffres à disposition, en juillet 2024, la Chine a enregistré une balance commerciale excédentaire de 84,6 milliards de dollars américains (G$US), avec des exportations s’élevant à 301G$US et des importations à 216G$US.
Comparées à juillet 2023, les exportations chinoises ont augmenté de 6,67 % (18,8G$US supplémentaires), tandis que les importations ont progressé de 7,33 % (14,8G$US supplémentaires).
Les principales exportations chinoises incluent les téléphones (16,3G$US), les ordinateurs (14,7G$US), et les circuits intégrés (13,9G$US). Côté importations, la Chine a principalement acheté des circuits intégrés
(33,1G$US), du pétrole brut (25,8G$US) et du minerai de fer (10,9G$US).
En termes de partenaires commerciaux, les États-Unis demeurent la première destination des exportations chinoises, avec un volume de 45,7G$US, suivis de Hong Kong, du Vietnam, du Japon et de la Corée du Sud.
Concernant les importations, la Chine s’approvisionne principalement auprès de Taipei chinois, de la Corée du Sud, des États-Unis, du Japon et de l’Australie. Pour les États membres de l’Union Européenne (UE), le commerce intra-UE est collectivement plus important que le commerce avec tout autre partenaire.
L’UE et les États-Unis ont tous deux la Chine comme principale source d’importation.
Inversement, l’UE est la première source d’importation de la Chine. Si l’UE et les États-Unis dominent en tant que principaux partenaires commerciaux dans de nombreuses régions du monde, d’autres pays tels que le Brésil, la Russie et l’Afrique du Sud gagnent en importance dans leurs régions respectives.
Quels sont les secteurs les plus sensibles à la croissance chinoise ?
Quels sont les secteurs les plus sensibles à la croissance chinoise ?
L’accélération de la croissance chinoise pourrait bien être une aubaine pour certains secteurs stratégiques. D’abord, le secteur du commerce de détail et des biens de consommation est en première ligne. Avec la montée de la classe moyenne chinoise, la demande pour des produits de luxe, des vêtements haut de
gamme et des technologies domestiques explose. C’est là un pilier évident de la consommation intérieure.
Un autre secteur clé est celui de l’automobile, avec une attention particulière sur les véhicules électriques (VE). En effet, les ambitions de la Chine dans le domaine des énergies propres ne sont plus un secret, et les constructeurs de VE, locaux comme étrangers, devraient tirer parti de cette transformation vers un avenir plus vert. Les politiques de soutien à l’électromobilité ouvrent une fenêtre d’opportunité majeure
pour Tesla et les marques chinoises.
Du côté de la technologie, le secteur des semi-conducteurs s’annonce prometteur.
La demande croissante de produits électroniques de dernière génération pousse à des investissements massifs dans les infrastructures locales, et cela se ressent dans les chiffres. Une Chine plus forte sur ce plan pourrait bouleverser l’équilibre mondial du marché.
N’oublions pas le secteur financier. Avec des réformes pour élargir l’accès aux services bancaires et la montée en puissance des fintechs, les investisseurs scrutent de près les opportunités que pourrait offrir une Chine financièrement plus mature. La digitalisation des services et l’expansion des services bancaires numériques devraient en être les moteurs principaux.
Enfin, le tourisme et l’hôtellerie ne sont pas en reste. Un pouvoir d’achat croissant couplé à une confiance qui revient progressivement devraient stimuler les voyages domestiques et internationaux. Ce secteur, touché de plein fouet par la pandémie, pourrait bien renaître avec cette nouvelle vague de croissance.
Bref, alors que la Chine pivote vers un modèle économique axé sur la consommation et les services, les opportunités dans les secteurs précités sont à surveiller de près.
Quelles sont les matières premières qui pourraient bénéficier des annonces ?
La Chine reste le plus grand acheteur de matières premières au monde. La Chine oriente son économie vers une croissance plus lente, moins dépendante des projets de construction à grande échelle, mais toujours fortement tributaire des importations pour les ressources essentielles.
La Chine représente aujourd’hui 40 % de la demande mondiale de produits de base, soit près du double de ce qu’elle était en 2006 selon les analystes de JP Morgan repris pas le Barrons.
Bien qu’elle soit pauvre en ressources dans des domaines tels que le pétrole brut et le gaz naturel, la Chine s’efforce de devenir plus autonome en améliorant l’efficacité de ses mines et de ses exploitations agricoles, en s’assurant des ressources à l’étranger et en constituant des réserves stratégiques.
La nécessité pour la Chine de garantir des lignes d’approvisionnement stables la pousse également à diversifier ses sources, notamment pour réduire sa vulnérabilité face aux points d’étranglement maritimes influencés par les conflits géopolitiques.
Les efforts portent notamment sur l’augmentation de la production agricole nationale grâce à des technologies de pointe et sur l’élargissement des partenariats énergétiques avec la Russie et l’Asie centrale.
Ces mesures s’inscrivent dans une stratégie plus large de la Chine visant à se prémunir contre les risques géopolitiques et à garantir un accès stable aux produits de base essentiels.
On peut donc anticiper que si la vigueur économique devait repartir à la hausse, les prix des matières premières les plus entourées pourraient être :
- Le minerai de fer (et l’acier donc)
- Le soja
- Le charbon
- Le cuivre
- Le Nickel
- L’aluminium
- Le pétrole (attention cependant à l’or noir, car il est très difficile [impossible?] de savoir combien de barils sont achetés par Pékin à l’Iran ou encore à la Russie.
Alors tout va bien dans le meilleur des mondes ?!
La réponse à cette question est : non, mais c’est un bon « début » (des mesures de relance plus light ont en effet déjà été mis en place depuis le début d’année). Il y a en effet un élément à surveiller qui ne dépend pas directement des mesures de relance de Pékin : la confiance. Et cette dernière est en berne en Chine, proche de ses plus bas niveaux historiques.
Il faudra donc un certain temps pour que le chinois se remette à « consommer » comme il le faisait avant la période de la COVID-19.
Ce d’autant plus que pour stabiliser (ce qui est un premier pas avant l’augmentation) les prix de l’immobilier, il faudra attendre 2025 au plus tôt. Et sans stabilisation des prix de l’immobilier, pas de retour de la confiance. C’est le syndrome du chien qui se mord la queue…
Cependant, à court terme en tout cas, les dernières mesures de relance du gouvernement chinois pourraient doper les indices de la région et faire revenir quelques investisseurs en mal de performance. La baisse des taux de la Fed pourrait aussi raviver cette flamme qui avait été allumée en début d’année, mais qui s’était lentement éteinte à partir de mai dernier faute « d’oxygène » (entendre mesures de relance).
Synthèse
Les mesures annoncées par le gouvernement et la banque centrale chinoise sont sans commune mesure. Elles devraient permettre à la croissance du pays de clôturer l’année à 5% ou plus. Cela pourrait aussi être une « occasion » pour certains investisseurs de revisiter les indices de la région. Cependant, pour que la pleine mesure de ces annonces soit totalement effective, il faudra restaurer la confiance
du peuple, ce qui n’est pas une mince affaire et prendra du temps…