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John Plassard

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Expert(e) invité(e)

La Chine se dirige-t-elle vers un scénario à la 2015?

John Plassard|Publié le 05 août 2024

La Chine se dirige-t-elle vers un scénario à la 2015?

Le ralentissement de l’économie chinoise a affecté les produits agricoles de base comme le soja, dont la demande a baissé en raison du ralentissement des secteurs de l’élevage et de l’alimentation dans le pays. (Photo: 123RF)

EXPERT INVITÉ. Vous ne l’avez peut-être pas remarqué, mais l’indice des matières premières de Bloomberg est revenu à 0% de performance depuis le début de l’année. En cause, plusieurs raisons, mais surtout la décélération de la croissance chinoise. La même configuration s’était produite en 2015 et avait plongé tout le marché dans une vaste tempête. Comparaison est-elle raison et quelles pourraient être les conséquences pour les actifs financiers? Synthèse et analyse.

Les faits

Vous vous souvenez du fameux «super cycle» des matières premières qui devait se matérialiser lorsque la «Chine se réveillera»? Et bien il faudra attendre quelque peu.

En effet, l’indice Bloomberg Commodity Spot Index (BCOMSP) a effacé tous les gains réalisés depuis le début de l’année.

Après avoir atteint un sommet à la fin du mois de mai (+12%), l’indice est rapidement passé en territoire négatif à la fin du mois de juillet.

Cette pression à la baisse sur le BCOMSP est notamment due au ralentissement de la croissance économique en Chine, qui a suscité des inquiétudes quant à la baisse de la demande de produits agricoles, de pétrole brut, de produits bruts, de cuivre, de minerai de fer et d’autres produits de base essentiels.

Certains économistes sont en état d’alerte, craignant une répétition potentielle du ralentissement chinois de 2015.

Mais que s’est-il passé il y a 9 ans de cela qui fait trembler les investisseurs?

Que s’est-il passé en 2015?

En 2015, l’économie chinoise a commencé à connaître un ralentissement, qui était en partie intentionnel, le gouvernement cherchant à obtenir un «atterrissage en douceur» plutôt qu’un krach perturbateur.

La croissance économique rapide du pays avait été alimentée par des niveaux d’investissement extraordinairement élevés, près de la moitié de son PIB provenant de ces investissements, un pourcentage beaucoup plus élevé que dans la plupart des autres économies.

Si l’investissement est crucial pour la capacité économique future, une dépendance excessive à son égard peut entraîner des problèmes tels que des projets non rentables et une instabilité potentielle du marché immobilier.

Pour atténuer ces risques, le gouvernement chinois a cherché à réorienter l’économie vers l’augmentation des dépenses de consommation.

Cette stratégie a été soutenue par des institutions internationales comme le FMI, qui ont reconnu la nécessité d’un modèle de croissance plus durable.

Le ralentissement a également reflété des forces économiques plus larges et inévitables, notamment des changements démographiques tels que le vieillissement de la population résultant de la politique de l’enfant unique, qui pourraient entraîner des pénuries de main-d’œuvre à l’avenir.

Dans l’ensemble, l’ajustement économique de la Chine en 2015 était une réponse aux aspects non durables de son modèle de croissance précédent, visant une trajectoire à long terme plus équilibrée et plus stable.

Le ralentissement économique de la Chine en 2015 a eu des répercussions mondiales importantes en raison de son rôle essentiel dans le commerce international.

En tant que deuxième importateur mondial de biens et de services, la baisse de la demande chinoise a affecté les pays qui dépendaient fortement des exportations vers la Chine, telles que la Thaïlande, l’Indonésie, l’Afrique du Sud, le Brésil et le Japon.

Ce ralentissement a également contribué à la baisse mondiale des prix des matières premières, ce qui a eu un effet sur les économies dépendantes des exportations de matières premières.

En outre, les inquiétudes concernant l’instabilité financière en Chine, notamment en raison de la croissance rapide de sa dette et de la vulnérabilité de son marché immobilier, ont fait craindre des retombées potentielles sur d’autres économies.

Le constat était simple: la santé économique de la Chine est cruciale non seulement pour les partenaires régionaux, mais aussi pour la stabilité économique mondiale.

Il en est de même aujourd’hui…

Quels ont été les actifs les plus touchés en 2015?

Un tiers de la valeur des actions A de la Bourse de Shanghai a été perdue dans le mois qui a suivi l’événement.

Des répliques majeures se sont produites autour du 27 juillet et du 24 août, lors du «lundi noir».

Les 8 et 9 juillet 2015, le marché boursier de Shanghai avait chuté de 30% en trois semaines, 1400 sociétés, soit plus de la moitié des sociétés cotées, ayant demandé l’arrêt des transactions pour tenter d’éviter de nouvelles pertes.

Les valeurs des marchés boursiers chinois ont continué à chuter malgré les efforts du gouvernement (voir plus bas) pour réduire la chute. Après trois semaines de stabilité, l’indice de Shanghai a de nouveau chuté de 8,48% le 24 août, marquant ainsi la plus forte baisse depuis 2007.

Au niveau des matières premières cette fois-ci, il y a neuf ans on a constaté une nette sous-performance de:

  • Les métaux: Les métaux industriels tels que le cuivre, l’aluminium et le nickel ont connu des baisses de prix significatives. Le cuivre notamment a fortement chuté en raison de la baisse de la demande des secteurs chinois de la construction et de l’industrie manufacturière.
  • Le pétrole: Les prix du pétrole brut se sont effondrés, car la Chine, l’un des plus gros consommateurs de pétrole, a réduit ses importations dans un contexte de ralentissement économique. Cela a contribué à une surabondance de l’offre mondiale et a exacerbé la chute des prix du pétrole.
  • Le minerai de fer: Le minerai de fer, utilisé dans la fabrication de l’acier, a subi des baisses de prix substantielles. Le ralentissement des secteurs de l’immobilier et des infrastructures en Chine a entraîné une baisse de la demande d’acier, ce qui a affecté les prix du minerai de fer.
  • Le charbon: Le charbon thermique utilisé pour la production d’électricité et le charbon métallurgique utilisé pour la production d’acier ont tous deux souffert du ralentissement de l’activité économique de la Chine, qui s’est tournée vers des sources d’énergie plus propres.
  • Les matières premières agricoles: Le ralentissement de l’économie chinoise a affecté les produits agricoles de base comme le soja, dont la demande a baissé en raison du ralentissement des secteurs de l’élevage et de l’alimentation dans le pays.

Ces produits de base étaient particulièrement vulnérables, car la Chine avait été l’un des principaux moteurs de la demande mondiale dans les années précédant la crise de 2015. La réduction des importations chinoises a entraîné une offre excédentaire sur les marchés mondiaux, ce qui a fait chuter les prix dans toutes ces matières premières.

Comment a réagi le gouvernement chinois en 2015?

En réponse aux turbulences boursières de 2015, le gouvernement chinois a mis en œuvre plusieurs mesures pour stabiliser le marché.

Les autorités ont limité les ventes à découvert, interrompu les introductions en bourse et fourni des liquidités aux courtiers pour qu’ils achètent des actions, avec l’appui des fonds de la banque centrale.

Les grands fonds communs de placement et fonds de pension ont été encouragés à acheter davantage d’actions, et une interdiction de six mois a été imposée aux principaux actionnaires de vendre leurs actions, ce qui a entraîné une hausse temporaire du marché.

En outre, près de la moitié du marché boursier, représentant environ 1300 entreprises, a suspendu ses transactions à partir du 8 juillet 2015.

Malgré ces interventions, Jesse Colombo, de Forbes, a fait valoir que de telles mesures, y compris la réduction des taux d’intérêt et l’encouragement des prêts sur marge, pourraient potentiellement conduire à une bulle plus importante en créant un aléa moral.

Le gouvernement chinois a également adopté une position ferme à l’égard de ceux qu’il jugeait responsables de l’instabilité du marché, en arrêtant 197 personnes, dont des journalistes et des responsables du marché boursier, pour avoir «répandu des rumeurs».

Les autorités ont accusé des «forces étrangères» de perturber délibérément le marché, et des arrestations très médiatisées, comme celle du milliardaire Xu Xiang, gestionnaire de fonds spéculatifs, ont été effectuées pour manipulation du marché.

Enfin, des appels ont été lancés pour que la Chine adopte un mécanisme de coupe-circuit à la suite de la chute spectaculaire du marché, qui a vu l’indice composite de Shanghai passer de plus de 5000 points en juin à moins de 3000 points à la fin du mois d’août.

Quelles sont les matières premières à risque?

La Chine reste le plus grand acheteur de matières premières au monde. La Chine oriente son économie vers une croissance plus lente, moins dépendante des projets de construction à grande échelle, mais toujours fortement tributaire des importations pour les ressources essentielles.

La Chine représente aujourd’hui 40% de la demande mondiale de produits de base, soit près du double de ce qu’elle était en 2006 selon les analystes de JP Morgan repris pas le barrons.

Bien qu’elle soit pauvre en ressources dans des domaines tels que le pétrole brut et le gaz naturel, la Chine s’efforce de devenir plus autonome en améliorant l’efficacité de ses mines et de ses exploitations agricoles, en s’assurant des ressources à l’étranger et en constituant des réserves stratégiques.

La nécessité pour la Chine de garantir des lignes d’approvisionnement stables la pousse également à diversifier ses sources, notamment pour réduire sa vulnérabilité face aux points d’étranglement maritimes touchés par les conflits géopolitiques.

Les efforts portent notamment sur l’augmentation de la production agricole nationale grâce à des technologies de pointe et sur l’élargissement des partenariats énergétiques avec la Russie et l’Asie centrale.

Ces mesures s’inscrivent dans une stratégie plus large de la Chine qui vise à se prémunir contre les risques géopolitiques et à garantir un accès stable aux produits de base essentiels.

On peut donc anticiper que si la vigueur économique devait continuer de «faiblir» (par rapport aux standards historiques de la Chine), les prix des matières premières les plus à risque pourraient être:

  • Le minerai de fer (et l’acier donc);
  • Le soja;
  • Le charbon;
  • Le cuivre;
  • Le Nickel;
  • L’aluminium;
  • Le pétrole. (attention cependant à l’or noir, car il est très difficile de savoir combien de barils sont achetés par Pékin à l’Iran ou encore à la Russie)

Que faut-il surveiller?

Nous venons d’avoir les chiffres du deuxième trimestre 2024, qui ont montré une décélération de la croissance annuelle à 4,7% contre 5,3% au premier trimestre et mensuelle à 0,7% contre 1,5% le trimestre précédent.

Comme nous le rappelons depuis un certain temps, il y a surtout deux éléments qu’il faudra continuer d’observer et d’analyser:

  • La confiance du consommateur: La confiance du consommateur est cruciale pour les dépenses domestiques. Celle-ci, après un espoir de début d’année, a cependant baissé à 86,40 points en mai (derniers chiffres disponibles), contre 88,20 points en avril 2024. Pour mémoire, la confiance des consommateurs chinois s’est établie en moyenne à 109,69 points entre 1991 et 2024, atteignant un sommet historique de 127,00 points en février 2021 et un creux record de 85,50 points en novembre 2022.
  • Le secteur de l’immobilier: Si nous n’avons aucun doute sur le fait que le gouvernement chinois fera absolument tout ce qui est possible pour ne pas laisser tomber le secteur de l’immobilier chinois, il ne peut cependant pas «artificiellement» faire remonter ses prix. Et les dernières statistiques sont peu prometteuses. En effet, les prix des logements neufs en Chine dans 70 villes ont diminué de 4,5% en glissement annuel en juin 2024, après une baisse de 3,9% le mois précédent.

Il s’agit du 12e mois consécutif de baisse et du rythme le plus rapide depuis juin 2015.

Les prix ont encore baissé dans la plupart des villes, y compris Pékin (-2,4% contre -1,8% en mai), Guangzhou (-9,3% contre -8,3%), Shenzhen (-7,3% contre -7,4%), Tianjin (-1,2% contre -0,7%), et Chongqing (-3,4% contre -2,7%).

Dans le même temps, les coûts ont continué à augmenter à Shanghai (4,4% contre 4,5%).

Sur une base mensuelle, les prix des logements neufs se sont contractés de 0,7% pour le deuxième mois consécutif en juin, restant à leur plus forte baisse depuis octobre 2014.

Le ralentissement de la Chine sera un défi majeur pour les grands événements de politique économique internationale de l’année: le sommet du G20 au Brésil en novembre et les réunions annuelles du FMI en octobre, qui se tiendront cette année aux États-Unis.

Il est toutefois peu probable que ces réunions permettent de faire grand-chose à ce sujet.

Il est certain que le ralentissement de la Chine sera un élément clé du paysage économique mondial et qu’il affectera le reste d’entre nous.

Mais il est généralement considéré comme inévitable, comme une réalité à laquelle le reste du monde peut s’adapter — à condition que la Chine parvienne à faire redémarrer sa croissance «en douceur».

Synthèse

Il y a aujourd’hui un risque évident sur certaines matières premières dont la Chine est le premier consommateur mondial. Pour connaître la tendance, il va falloir surveiller comme le lait sur le feu l’évolution de la confiance en Chine ainsi que les prix de l’immobilier. Ne pas oublier non plus que les matières premières sont aussi sensibles à la vigueur économique américaine…