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CN et CPKC: une grève qui pourrait tout changer

Courrier des lecteurs|Mis à jour il y a 21 minutes

CN et CPKC: une grève qui pourrait tout changer

(Photo: 123RF)

Un texte de Stéphane Lacroix, expert-conseil en gestion de crise et en relations publiques, ainsi qu’ancien directeur des communications d’un syndicat canadien

COURRIER DES LECTEURS. Au moment où j’écris ces lignes, le syndicat qui représente les cheminots au CN et au CPKC pourrait déclencher une grève de grande ampleur. Pour la première fois depuis 1995, le système ferroviaire canadien pourrait être paralysé d’un bout à l’autre du pays parce que les cheminots des deux transporteurs ferroviaires déclencheraient une grève simultanément.

On assisterait donc à la troisième grève «générale» dans le secteur ferroviaire, après celles de 1950 et de 1995. On rappelle que ces deux conflits s’étaient terminés par un retour forcé au travail imposé par les gouvernements de l’époque.

Pour comprendre ce conflit de travail, il m’apparait qu’une analyse multidimensionnelle est nécessaire, ce que je retrouve peu dans les médias en ce moment.

Revendications et demandes

Avec plus de 20 ans d’expérience en tant que directeur des communications pour l’organisation syndicale représentant les cheminots du CN et du CPKC, j’ai assisté à de nombreux pourparlers et conflits de travail dans cette industrie. Un schéma commun s’est dégagé au fil du temps. La séquence suivante est souvent observée: les parties discutent de manière prolongée avec peu de succès, un vote de grève pour accentuer la pression est pris auprès des cheminots et finalement un conflit est déclenché.

D’un côté, les revendications syndicales restent les mêmes depuis deux décennies. Elles sont centrées sur la santé, la sécurité, et les conditions de travail des cheminots. Les transporteurs, en revanche, recherchent plus de flexibilité et de prévisibilité, traduisant leur désir d’un contrôle accru sur les opérations du réseau ferroviaire.

La récurrence au fil du temps des points de désaccord entre les parties s’explique en partie par l’interventionnisme d’Ottawa, qui souhaite ou impose souvent une résolution rapide aux conflits par l’entremise des arbitres ou conciliateurs. Cette dynamique complique la capacité du syndicat à mener des grèves prolongées, notamment à cause de lois spéciales. Sachant qu’un syndicat qui n’est pas en mesure de tenir son bout — c’est-à-dire de ne pas prolonger une grève lorsque c’est nécessaire — il lui est difficile d’imposer ses vues à un employeur.

Des conséquences économiques et politiques

Les chemins de fer au Canada transportent des marchandises d’une valeur de plus de 350 milliards de dollars annuellement, représentant plus de 50% des exportations nationales. Une grève chez ces deux transporteurs ferroviaires aurait donc un effet significatif sur l’économie et testerait la volonté du gouvernement fédéral de résister aux pressions provenant du milieu économique.

Le gouvernement Trudeau devra éventuellement décider s’il cède aux pressions du milieu des affaires en imposant un retour au travail, ou s’il soutient les travailleurs et les travailleuses et possiblement une grève prolongée.

On se souviendra que le gouvernement de Stephen Harper, lui, avait choisi de se ranger du côté du patronat en forçant les cheminots à retourner au travail. Pour les conservateurs de l’époque, la santé de l’économie canadienne était prioritaire.

Avec un éventuel retour de la droite au pouvoir en 2025, les négociations actuelles pourraient être la dernière chance des cheminots de faire des gains significatifs si tant est que ce soit possible.

Sortir l’humain de l’équation

Il ne serait pas étonnant que les compagnies ferroviaires soient déjà en train d’envisager le déploiement de solutions technologiques pour automatiser le contrôle des trains, ce qui affaiblirait le pouvoir de négociation syndical en écartant des êtres humains des cabines de locomotives.

Ne nous trompons pas: il s’agit d’une menace importante pour le syndicat et ses membres. Ils savent que l’automatisation et l’intelligence artificielle diminuent leurs capacités à négocier des contrats avantageux.

C’est simple: sans membres, il n’existe pas de rapport de force. Et sans rapport de force, les syndicats sont moins pertinents.

Pour ajouter un niveau de difficulté supplémentaire, le recrutement de nouveaux membres est difficile depuis quelques décennies. Un simple coup d’œil au taux de syndicalisation peut nous en convaincre.

En conclusion, les négociations et un éventuel conflit au CN et au CPKC pourraient non seulement tout changer, mais aussi marquer la fin d’une ère pour les transporteurs ferroviaires, les cheminots et l’ensemble des syndicats au Canada.

Et je parie que bien des yeux sont tournés vers le secteur ferroviaire en ce moment parce que ce qui s’y passe trouve écho dans bien d’autres secteurs d’activité.