Face au programme du milliardaire républicain, Kamala Harris est une candidate capable de «ramener la joie» dans le pays, a opposé Tim Walz. (Photo: Getty Images)
ANALYSE GÉOPOLITIQUE. La candidate démocrate Kamala Harris est sur une pente ascendante depuis le retrait de Joe Biden de la course à la Maison-Blanche. Reste à voir si la vice-présidente pourra convaincre assez d’indécis et de républicains modérés de voter pour elle dans les États pivots pour l’emporter. Car ce sont eux sa véritable cible, pas les démocrates qui voteront de toute manière pour elle.
Pratiquement tous les sondages indiquent une remontée des démocrates dirigés par Kamal Harris au niveau national, selon le site FiveThirtyEight, qui agrège les sondages dans les différentes élections aux États-Unis (Maison-Blanche, Sénat, Chambre des représentants, gouverneurs).
Au niveau national, ce vendredi 16 août, Kamala Harris récoltait 46,3% des intentions de vote des électeurs comparativement à 43,7% pour l’ex-président Donald Trump. Et l’écart se creuse au profit de la candidate démocrate depuis la fin du mois de juillet, alors qu’ils étaient tous les deux nez à nez dans les sondages.
Or, dans le système électoral américain des 538 grands électeurs, ce sont les États (ils abritent de grands électeurs en fonction du poids de leur population) qui déterminent qui sera le président ou la présidente des États-Unis, pas le vote populaire.
Aussi, pour espérer remporter la course à la Maison-Blanche, il faut donc remporter au moins 270 des grands électeurs.
Sept États pivots essentiels
Dans ce contexte, ce sont les États pivots – les juridictions susceptibles de changer de camp lors d’une élection – qui sont névralgiques pour déterminer le vainqueur lors d’une élection présidentielle.
En 2024, il y a sept États pivots :
- Le Michigan
- Le Wisconsin
- La Pennsylvanie
- L’Arizona
- Le Nevada
- La Géorgie
- La Caroline du Nord
Avant le désistement du président Joe Biden, Donald Trump menait dans ces sept États pivots, ce qui rendait probable sa victoire en novembre.
Or, depuis l’arrivée Kamala Harris, celle-ci est en avance dans le Wisconsin et le Michigan, tandis que Donald Trump mène encore (parfois légèrement) en Pennsylvanie, en Arizona, au Nevada, en Géorgie et en Caroline du Nord, selon FiveThirtyEight.
Kamala Harris a donc encore du pain sur planche si elle veut espérer gagner la course à la Maison-Blanche.
Mais a-t-elle la bonne stratégie?
Lors d’un webinaire organisé jeudi par la division québécoise de la Chambre de commerce américaine au Canada (AMCHAM Québec), trois spécialistes ont expliqué que la vice-présidente doit centrer davantage sa campagne sur les priorités des indécis et des républicains modérés qui sont susceptibles de voter pour elle.
Il s’agit de Gerald Seib, ancien éditeur senior du Wall Street Journal à Washington, de Jackie Calmes, analyste politique du Los Angeles Times à Washington, et de David M. Shribman, ex-éditeur du Pittsburgh Post-Gazette et aujourd’hui professeur à l’école Max Bell de politiques publiques à l’Université McGill.
Cibler des thèmes plus porteurs
Gerald Seib affirme que Kamala Harris doit par exemple centrer son message sur les thèmes populaires auprès des électeurs républicains modérés, comme l’immigration, l’économie, la politique étrangère et la criminalité.
Ce vendredi, la candidate démocrate a d’ailleurs dévoilé son projet économique qui met l’accent sur le pouvoir d’achat de la classe moyenne, qui est plombé par l’inflation et les taux d’intérêt élevés. Cela pourrait potentiellement plaire à des ouvriers républicains.
Pour sa part, Jackie Calmes affirme que Kamala Harris doit à tout prix éviter d’apparaître comme une candidate laxiste à l’égard de la criminalité aux États-Unis – les républicains tentent d’ailleurs de la dépeindre ainsi depuis son entrée dans la course.
La fermeté à l’égard des criminels est par exemple un thème important pour des républicains modérés, qui pourraient potentiellement changer de camp dans les États pivots en novembre.
David M. Shribman estime quant à lui que Kamala Harris doit faire davantage campagne dans les régions rurales et les petites municipalités. Elle doit donc réduire les rassemblements partisans dans les grandes villes qui lui sont de toute manière pratiquement acquises.
Ne pas répéter l’erreur de Hillary Clinton
Il donne l’exemple d’un récent discours qu’elle a prononcé à Pittsburgh, en Pennsylvanie, sans doute l’État pivot le plus important. Selon lui, elle aurait dû faire campagne dans les régions rurales de cet État, où l’électorat ne lui est pas acquis.
David M. Shribman affirme que Kamala Harris commet la même erreur que la candidate démocrate Hillary Clinton, lors de la présidentielle de 2016, qui faisait avant tout campagne dans les grandes villes dans les États pivots.
On connaît la suite: Donald Trump a remporté l’élection avec la minorité du vote populaire, mais la majorité des grands électeurs.
Enfin, les trois spécialistes soulèvent une problématique fondamentale à laquelle la vice-présidente doit s’attaquer aussi en priorité pour espérer gagner la course à la Maison-Blanche.
Il s’agit de l’importance du ressentiment chez plusieurs électeurs républicains ruraux à l’égard des démocrates, à commencer par les urbains de la côte est et de la côte ouest du pays, des artistes d’Hollywood et des élites éduquées.
Des électeurs qui se sentent souvent méprisés et ridiculisés par les démocrates.
Aussi, même si Kamala Harris promet par exemple d’aider les ouvriers avec de meilleurs programmes sociaux, cette aide pourrait s’avérer insuffisante pour faire des gains électoraux, selon les spécialistes.
Rebâtir des ponts culturels
Elle doit donc aussi essayer de rétablir des ponts culturels et un respect mutuel – et c’est toute une commande – entre les électeurs urbains et les électeurs ruraux.
Signe d’une cassure entre ces deux Amérique, plusieurs citoyens ne s’informent même plus dans les mêmes médias pour se forger une opinion politique.
Depuis près d’un mois, les démocrates ont le vent dans les voiles depuis que Kamala Harris est la candidate démocrate dans la course à la Maison-Blanche.
La vice-présidente fait gains dans les intentions de vote, aussi bien au niveau national que dans les États pivots.
Cela dit, si elle ne recentre pas davantage sa campagne sur les bonnes cibles, sa montée dans les sondages pourrait se limiter à des gains importants dans les villes, et ce, au détriment des régions et des coins reculés du pays.
Des États pivots pourraient donc lui échapper.
Et, en fin de compte, le bureau ovale de la Maison-Blanche.