Comment réagirait le marché s’il n’y avait pas de vainqueur avant quelques semaines?
John Plassard|Publié le 31 octobre 2024(Photo: Getty Images)
EXPERT INVITÉ. Après avoir analysé les conséquences des victoires de Kamala Harris et de Donald Trump, nous nous focalisons aujourd’hui sur le 3e et dernier scénario possible : pas de vainqueur déclaré le 6 novembre. Si cela paraît assez improbable en Europe, aux États-Unis, c’est une éventualité à ne surtout pas sous-estimer. Synthèse et analyse.
Les faits
Après quatre jours intenses de dépouillement, les médias américains avaient finalement annoncé la victoire du candidat démocrate Joe Biden en 2020, suite aux résultats décisifs de la Pennsylvanie, le samedi suivant à 17 h 25. Cet État clé avait permis au candidat de franchir le seuil des grands électeurs nécessaires pour accéder à la présidence, marquant ainsi la fin d’une campagne électorale particulièrement disputée et controversée. Confirmé comme le 46e président des États-Unis, Joe Biden à succéder à son prédécesseur dans un contexte national polarisé et chargé de défis majeurs, tant sur le plan économique que social. Cette annonce avait suscité des réactions passionnées à travers le pays, symbolisant pour beaucoup un tournant important dans l’histoire politique américaine. Ceci n’est qu’un maigre exemple d’un retard de l’annonce d’un nouveau président aux États-Unis.
En cas d’égalité!
Pour gagner l’élection, l’un des candidats doit obtenir une majorité absolue de grands électeurs, soit 270 sur 538.
Dans le cas rare d’une égalité 269-269 au sein du collège électoral, ce qui est théoriquement possible, mais hautement improbable (on peut citer l’égalité survenue en 1800 entre Thomas Jefferson et Aaron Burr), la Constitution américaine prévoit des dispositions pour déterminer la présidence.
Dans ce cas, la décision reviendrait à la Chambre des représentants des États-Unis nouvellement élue, où chaque délégation d’État, quelle que soit la taille de sa population, exprimerait un vote collectif. Un candidat aurait besoin de la majorité des délégations d’État, soit 26 voix, pour obtenir la présidence.
Actuellement, les républicains ont l’avantage de contrôler 26 délégations d’État, tandis que les démocrates en contrôlent 22 et que deux États ont des délégations divisées.
Parallèlement, le Sénat américain serait chargé d’élire le vice-président, chaque sénateur disposant d’une voix ; cela signifie que le président et le vice-président pourraient théoriquement appartenir à des partis opposés si des candidats différents obtenaient la majorité au Sénat et à la Chambre des représentants.
Si la Chambre reste dans l’impasse et ne parvient pas à élire un président avant le jour de l’investiture, le vice-président élu par le Sénat assurera l’intérim jusqu’à ce que la Chambre parvienne à une conclusion.
Ce processus souligne à quel point les résultats des élections à la Chambre et au Sénat peuvent être déterminants en cas d’égalité au sein du collège électoral, ce qui pourrait influencer le résultat final de l’élection présidentielle.
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L’exemple du 19e siècle!
L’élection présidentielle américaine de 1876 est un exemple marquant d’un scrutin dont le vainqueur était difficile à déterminer. Elle opposait Rutherford B. Hayes (républicain) à Samuel J. Tilden (démocrate). Tilden avait obtenu la majorité des voix populaires, mais il manquait des votes électoraux pour remporter la présidence. Les résultats étaient contestés dans plusieurs États clés, et des fraudes et des irrégularités avaient été signalées.
Un comité spécial a été formé pour décider de l’issue de l’élection, et après des négociations, Hayes a finalement été déclaré vainqueur, bien que l’élection soit restée très controversée. Ce compromis, connu sous le nom de «Compromis de 1877» (ci-dessous) a mis fin à la crise, mais a également marqué la fin de la Reconstruction dans le sud des États-Unis.
Qu’est-ce que le Compromis de 1877?
Le Compromis de 1877 est un accord informel entre les démocrates du Sud et les alliés du républicain Rutherford Hayes visant à régler le résultat de l’élection présidentielle de 1876 et marquant la fin de l’ère de la Reconstruction.
Immédiatement après l’élection présidentielle de 1876, il est apparu clairement que le résultat de la course dépendait en grande partie des résultats contestés en Floride, en Louisiane et en Caroline du Sud, les trois seuls États du sud où les gouvernements républicains de l’époque de la Reconstruction étaient encore au pouvoir.
Alors qu’une commission bipartite du Congrès débattait du résultat au début de l’année 1877, les alliés du candidat du Parti républicain, Rutherford Hayes, rencontrèrent en secret des démocrates modérés du Sud afin de négocier l’acceptation de l’élection de Hayes.
Les démocrates acceptent de ne pas bloquer la victoire de Hayes à condition que les républicains retirent toutes les troupes fédérales du Sud, consolidant ainsi le contrôle démocrate sur la région. À la suite du «Compromis de 1877» (ou «Compromis de 1876»), la Floride, la Louisiane et la Caroline du Sud sont redevenues démocrates, mettant ainsi fin à l’ère de la Reconstruction.
Il n’est pas inhabituel de cohabiter
Plusieurs élections présidentielles à la fin du 19e siècle ont été extrêmement serrées. Cleveland a remporté le vote populaire en 1884 avec moins de 1%. Il l’a de nouveau emporté en 1888 avec une marge similaire, mais a perdu face à Benjamin Harrison au sein du collège électoral. En 1880, James Garfield l’a emporté avec environ 0,1% d’écart.
À deux reprises au cours de ce siècle, le vainqueur du collège électoral a perdu le vote populaire : Bush en 2000 et Trump en 2016. Il y a eu deux résultats similaires dans la seconde moitié du 19e siècle : Tilden et Cleveland, après avoir remporté le vote populaire en 1876 et 1888, ont tous deux perdu au Collège électoral.
Bien entendu, la victoire au collège électoral dans la seconde moitié du XIXe siècle était une cible mouvante. Le nombre officiel de voix nécessaires pour remporter la présidence a changé 14 fois entre 1850 et 1900, au fur et à mesure que de nouveaux États étaient admis dans l’Union.
Les présidents relativement faibles (en termes de soutien populaire) à la fin du XIXe siècle étaient encore plus affaiblis par l’absence d’un gouvernement unifié (un seul parti contrôlant la Chambre, le Sénat et la Maison-Blanche).
Les gouvernements divisés sont monnaie courante dans la politique américaine d’aujourd’hui. Bill Clinton, Barack Obama, Donald Trump et Joe Biden sont arrivés au pouvoir avec des gouvernements unifiés et ont perdu la Chambre des représentants deux ans plus tard.
Les républicains ont perdu leur majorité au Sénat au cours de la première année du mandat de George W. Bush. Le dernier président des États-Unis à avoir eu quatre ans de gouvernement unifié est Jimmy Carter.
La fin du XIXe siècle et le début de celui-ci sont tous deux caractérisés par des partis politiques étroitement divisés et l’absence d’élections décisives (les politologues parlent d’élections «critiques») qui changent la nation de manière importante et durable.
Ces élections sont rares, et les périodes de campagnes hautement compétitives, comme celle que nous vivons aujourd’hui, sont peut-être plus proches de la norme dans la politique américaine.
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Comment s’est déroulé le processus de 2000?
Voici exactement comment s’est déroulée la contestation de 2000 entre Al Gore et Georges Bush :
- 7 novembre : jour de l’élection
- 8 novembre : Le décompte initial des voix en Floride est très serré ; Bush est en tête. Al Gore concède, puis se rétracte
- 10 novembre : Le recomptage obligatoire des bulletins de vote est presque terminé. L’avance de Bush se réduit à 327 voix.
- 13 novembre : un juge fédéral rejette la demande de Bush d’arrêter le recomptage manuel des voix. • 15 novembre : le comté de Broward commence le recomptage manuel.
- 22 novembre : Bush demande à la Cour suprême des États-Unis de bloquer la décision de la Cour suprême de Floride autorisant les recomptages manuels. (Bush v. Palm Beach Co.)
- 4 décembre : la Cour suprême des États-Unis annule la décision de la Cour suprême de Floride et la renvoie.
- 11 décembre : la Cour suprême des États-Unis met fin aux recomptages manuels dans une autre affaire, Bush contre Gore.
- 12 décembre : la Cour suprême des États-Unis renverse la décision de la Cour suprême de Floride dans l’affaire Bush contre Gore, ce qui met fin aux recomptages. La décision est prise par 5 voix contre 4. Les 25 grands électeurs de Floride sont ainsi attribués à Bush.
- 13 décembre : Al Gore admet que Bush a remporté l’élection.
L’arrêt décisif a été rendu à 5 voix contre 4 et a mis fin aux recomptages manuels. Les 25 voix électorales de l’État ont ainsi été attribuées à Georges W Bush, qui est devenu le 43e président des États-Unis.
Ceci est très bien résumé par un graphique de RBC :
Comment réagissent les marchés?
Pour revenir à l’élection contestée de 2000, toute chose égale par ailleurs, le S&P 500 a chuté de 12% entre le jour de l’élection, le 7 novembre, et le creux du marché, le 20 décembre, soit une semaine après la défaite de Gore.
Il faut savoir que le marché n’était pas du tout préparé à ce drame électoral, y compris aux multiples batailles judiciaires ou à l’intervention de la Cour suprême. Les événements sont survenus comme des éclairs, sans crier gare. Il n’y avait pas de précédent. La surprise a été totale et les principaux indices boursiers ont eu du mal à l’absorber.
Aujourd’hui les événements de 2000 font que le marché est mieux préparé cette fois-ci. Le conflit entre Bush et Gore n’est qu’un exemple parmi d’autres.
En outre, les fondamentaux des actions, l’économie et les politiques monétaires et fiscales d’aujourd’hui diffèrent de ceux de l’époque.
Par exemple, alors que se déroulait le recomptage des voix entre Bush et Gore, la bulle technologique, sauvagement surévaluée, commençait à éclater — rétrospectivement, un événement historique majeur pour le marché. Ce n’est pas le cas aujourd’hui.
Que faut-il faire? S’il y a peu d’exemples d’élections contestées, il y a cependant 2 cas de figure qui sont possibles :
L’année 2000
Les investisseurs doivent garder à l’esprit qu’un effondrement du marché s’est produit lors de l’élection contestée de 2000, et que nous sommes confrontés à une volatilité à court terme et à des risques de baisse similaires lors de l’élection actuelle.
Toutefois, il ne serait pas judicieux de modifier les positions en actions à long terme sur la base de ces risques électoraux atypiques, car ces situations sont souvent temporaires.
Même si les événements postérieurs au jour de l’élection entraînent des poursuites judiciaires et des incertitudes, les marchés iront de l’avant. Les grandes entreprises présentes sur les marchés boursiers américains resteront en place et la situation se stabilisera.
Les enjeux sont tout simplement trop importants pour les entreprises et les États-Unis pour qu’il en soit autrement.
À moyen terme, quel que soit l’issue des élections ou le drame politique potentiel, nous prévoyons toujours une croissance économique modérée aux États-Unis et une amélioration des bénéfices, ce qui devrait entraîner une hausse des prix des actions au cours de l’année prochaine.
L’année 2020
Les marchés financiers ont, en réalité, fait preuve d’une résilience remarquable face à la tentative de Donald Trump de contester les résultats de l’élection présidentielle de 2020.
Bien que la situation politique ait été marquée par une incertitude prolongée, les indices boursiers américains ont poursuivi leur progression.
En effet, les actions ont enregistré un rebond notable dans les derniers jours de la semaine suivant le scrutin, même avant que Joe Biden ne soit officiellement désigné vainqueur.
Cette capacité des marchés à ignorer le tumulte politique s’explique en grande partie par la conviction des investisseurs que, malgré les contestations juridiques et l’agitation politique, les fondamentaux économiques restaient solides et la transition du pouvoir se ferait inévitablement. De plus, l’anticipation de politiques favorables à l’économie, en particulier des plans de relance annoncés par Biden, a contribué à soutenir l’optimisme des marchés.
Ainsi, bien que l’incertitude politique ait plané jusqu’au week-end où la victoire de Biden a été officialisée, les investisseurs se sont concentrés sur les perspectives économiques de long terme plutôt que sur les perturbations politiques immédiates.
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Le résumé crucial
Vous trouverez ci-dessous un résumé des évolutions potentielles des différents actifs/régions à une indécision quant au futur locataire de la Maison-Blanche.
Synthèse
En cas d’égalité dans le collège électoral américain, le processus constitutionnel prévoit un vote à la Chambre des représentants pour désigner le président, chaque État disposant d’un vote, tandis que le Sénat élirait le vice-président.
Historiquement, ce type de scénario est rare, mais possible, et la dernière grande incertitude électorale remonte à l’élection de 1876, marquée par des contestations et le célèbre «Compromis de 1877».
En 2000 et 2020, malgré les batailles judiciaires et l’incertitude politique, les marchés ont démontré une certaine résilience, notamment grâce aux fondamentaux économiques solides et aux anticipations de politiques de relance. C’est bien évidemment la durée du recomptage des voix ou des recours qui alimentera la volatilité des marchés.