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Jean-Paul Gagné

Droit au but

Jean-Paul Gagné

Analyse de la rédaction

Les assureurs pourraient devoir payer pour les déboires du conseil de Gildan

Jean-Paul Gagné|Édition de la mi‑juin 2024

CHRONIQUE. Le coût de ce fiasco? Plus de 65M$ US, selon Glenn Chamandy.

CHRONIQUE. Revenons au 11 décembre 2023. Sans que l’on s’y attende, une bombe éclate à la Bourse canadienne. Gildan, géant mondial de la fabrication de t-shirts basé à Montréal, annonce le congédiement de Glenn Chamandy, qui a cofondé cette société il y a 40 ans et qui la dirige depuis 20 ans.

On annonce son successeur: Vince Tyra, de Louisville, au Kentucky, ex-dirigeant de Fruit of the Loom (1997-2000), qui a fait faillite, et de Broder Bros, un distributeur de vêtements (2000-2005). Sans expérience à l’international et dans la fabrication, il n’est pas à la hauteur pour gérer la complexité de Gildan: totalement intégrée verticalement, 44 000 employés, 29 usines, capitalisation de 8,8 milliards de dollars américains (G$ US), revenus de 4,4G$ US (12 derniers mois).

L’action de Gildan, qui vogue autour de 50$, atteint 42$ le 15 janvier, en baisse de 17%. La réaction est vive. Les fonds Browning West, de Los Angeles, et Turtle Creek, de Toronto, dénoncent la décision du conseil de Gildan et demandent la réintégration de M. Chamandy. Sept autres fonds, dont Jarislowsky Fraser, de Montréal, suivent. Ils contrôlent ensemble 35% des actions de Gildan.

Le coup de grâce survient lorsqu’ISS, Glass Lewis et Egan-Jones, qui conseillent les actionnaires institutionnels, votent en faveur de M. Chamandy. Humilié, le conseil démissionne en bloc, emportant avec eux Vince Tyra et Arun Bajaj, vice-président exécutif aux RH et aux affaires légales de Gildan.

Le 28 mai, les actionnaires élisent un nouveau conseil dont fait partie M. Chamandy. Une grande victoire pour lui, une défaite très amère pour l’ex-conseil.

Le coût de ce fiasco ? « Plus de 65 millions de dollars (M$) américains » (environ 90M$ CA), selon Glenn Chamandy. La somme comprend les frais juridiques et administratifs liés à la bataille des procurations, la poursuite intentée par le CA contre Browning West, les frais légaux et financiers engagés dans le processus de mise en vente de Gildan en mars et les allocations de départ respectives de MM. Tyra et Bajaj, qui pourraient coûter respectivement 8M$ US (pour quatre mois de travail) et 4M$ US. On a aussi donné 4M$ US pour fidéliser quatre vice-présidents. Plusieurs de ces coûts sont pris en charge par Gildan, donc par ses actionnaires, sans qu’ils n’aient rien eu à dire sur l’offensive mal avisée du conseil contre le PDG de leur société.

Browning West, qui a beaucoup dépensé pour mener la charge contre le CA de Gildan, pourrait aussi exiger de se faire rembourser.

Pour sa part, M. Chamandy aurait bénéficié d’une allocation de départ de 20M$ US, mais il ne l’aurait pas encaissée. Il a révélé vouloir racheter les actions de Gildan qu’il a vendues au début du différend.

Les actionnaires qui ont vendu leurs actions à perte à la suite du congédiement de M. Chamandy pourraient intenter une action collective contre les administrateurs de Gildan. Mais ce ne sont pas ces derniers qui risquent de payer si ce recours est autorisé. Comme ils bénéficient d’une assurance responsabilité pour les conséquences de leurs décisions et qu’ils pourront démontrer qu’ils ont agi de bonne foi, ce sont les assureurs qui paieront la note, le cas échéant.

Leçons de gouvernance

Il est plausible que M. Chamandy ait manqué de transparence sur ses activités d’affaires à la Barbade et sur ses intentions réelles quant à son plan de retraite. Au lieu de préparer sa succession, comme convenu en 2021, M. Chamandy aurait, paraît-il, présenté un plan de croissance ambitieux, trop coûteux, mal aligné et hautement risqué aux yeux du conseil. Face au refus de M. Chamandy d’obtempérer, le conseil a forcé son départ.

L’échec de cette manœuvre s’explique à la fois par les succès financiers de Gildan sous la gouverne de M. Chamandy selon les investisseurs institutionnels, mais aussi par la qualité de ses relations avec eux. Comme les banquiers, les grands investisseurs exigent la transparence et la fiabilité de l’information transmise. Les conseils ont horreur des mauvaises surprises.

Il se peut aussi que le conseil de Gildan ait développé un certain inconfort face à certaines pratiques de M. Chamandy, après les avoir endossées, en ce qui a trait au très faible taux d’impôt payé sur les profits (5% et moins), aux bas salaires et aux normes de santé et de sécurité dans certaines de ses usines, notamment au Honduras.

C’est en raison de ces pratiques que la Caisse de dépôt et le Fonds de solidarité ont vendu leurs actions de Gildan. La Caisse a révélé qu’elle pourrait revenir vers Gildan quand cette dernière commencera, en 2025, à payer le taux d’impôt minimal de 15% prévu pour les multinationales, conformément à une convention internationale entérinée par le Canada.

Ce fiasco de gouvernance pourrait constituer un excellent sujet d’études en droit des sociétés et en gouvernance. Il montrerait les conséquences graves pouvant résulter de la perte de confiance d’un conseil envers son chef de la direction.

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Cet article a initialement été publié dans l’édition papier du journal Les Affaires du 20 juin 2024.