La stratégie canadienne doit viser un équilibre entre la coopération et la défense de ses propres intérêts, tout en anticipant les exigences américaines. (Photo: 123RF)
EXPERT INVITÉ. Au cours de la présente campagne électorale, Donald Trump a fait de nombreuses annonces qui inquiètent les économistes.
Il y a quelques semaines, le Peterson Institute for International Economics, un centre de recherche indépendant à tendance libérale (à défaut d’être progressiste), a publié un rapport estimant entre autres les effets de l’augmentation proposée des droits de douane à 60% pour les importations de Chine et à 10% pour le reste du monde.
Le rapport confirme l’intuition de la plupart des économistes : les principaux perdants de cette politique seraient les Américains eux-mêmes. Cette politique entraînerait des répercussions sur la croissance, l’inflation, et ferait grimper le taux de chômage.
Reste que les partenaires commerciaux des États-Unis seront affectés eux aussi, et il y a des raisons de craindre que le Canada ne fasse pas exception.
En 2018, lors de la négociation de l’ACÉUM, les États-Unis ont imposé des droits de douane de 25% sur l’acier et de 10% sur l’aluminium en provenance du Canada, qui auraient imposé une perte estimée à 2 G$ au Québec. Ils ont en outre menacé d’imposer de nouveaux droits de douane sur les voitures et les pièces automobiles, qui, heureusement, ne se sont pas concrétisés.
Demain encore, si Trump était élu, il serait naïf de s’attendre à un traitement de faveur pour le Canada dans les négociations commerciales des États-Unis. Qu’importe si ce sont in fine les Américains qui paieraient le prix fort, ces négociations se feront sans ménagement.
Cette brutalité a deux objectifs. D’une part, il s’agit d’un outil de négociation, notamment lors de la renégociation de l’ACÉUM prévue en 2026, et plus généralement pour obtenir des baisses de droits de douane de leurs partenaires. D’autre part, il s’agit d’encourager le développement domestique de certaines industries.
Il n’y a aucun doute, cependant, que cette vision court-termiste se retournera contre eux en quelques années seulement.
Les relations commerciales entre deux pays comme le Canada et les États-Unis sont profitables si l’une des deux conditions est remplie :
- Une relation de confiance, répétée, fondée sur la coopération et la recherche de compromis mutuellement avantageux
- Une instance supranationale capable de régler les conflits.
Le America First de Donald Trump ne laisse de place à aucune de ces deux options.
Pour autant, l’histoire récente donne plusieurs raisons de rester prudemment optimistes.
L’ «équipe Canada» mise en place par Justin Trudeau pour la négociation de l’ACÉUM a obtenu la levée des droits de douane sur l’acier et l’aluminium en mai 2019. Elle a évité la mise en place de droits de douane sur les voitures et les pièces automobiles. Elle a aussi évité des droits de douane sur l’industrie culturelle, si cruciale pour le maintien de l’identité culturelle du Canada et du Québec. Et l’ACÉUM ne diffère pas si significativement de l’ALÉNA qu’il remplace.
En fin de compte, le bon sens a prévalu.
En attendant, cet optimisme ne peut être justifié que par une stratégie rigoureuse de la part de l’ «équipe Canada 2.0», avec deux mandats particuliers.
D’abord, il est probable que Trump réplique sa stratégie de 2018, et arrive à la table des négociations après avoir pris en otage quelques industries qui, prises à la gorge, mettront la pression sur les négociateurs canadiens. Quelles industries? Bien malin qui le devinera.
Le Canada peut toutefois se donner les moyens de soutenir une industrie, quelle qu’elle soit, que Trump voudrait prendre en otage pendant la durée des négociations, et s’assurer ainsi d’un front uni des industries canadiennes face aux exigences américaines.
Approche pragmatique
Ensuite, le Canada pourrait accepter de faire certaines concessions de bon sens.
Un exemple clé est le système de gestion de l’offre. Ce système bénéficie certes à un certain nombre d’exploitations agricoles canadiennes en leur garantissant des revenus stables, mais il impose des coûts significatifs aux consommateurs et aux contribuables canadiens, disproportionnés par rapport aux avantages.
De plus, ce système qui vise explicitement à distordre la concurrence constitue un point de friction historique dans les négociations commerciales avec les États-Unis. Revoir ou abandonner progressivement ce système coûteux, en échange de concessions dans d’autres secteurs comme les métaux critiques ou l’énergie, constituerait une approche pragmatique.
En réponse aux tensions commerciales croissantes avec la Chine, le Canada a déjà commencé à aligner ses droits de douane sur ceux des États-Unis, avec des augmentations significatives sur les véhicules électriques et les produits en acier et aluminium. D’autres suivront probablement, notamment sur les batteries et les semi-conducteurs.
Même sous une présidence de Kamala Harris, le Canada ne serait pas à l’abri de telles exigences, car elle a également soutenu des politiques commerciales protectionnistes visant à réduire la dépendance envers la Chine pour les technologies critiques.
Dans ce contexte, la stratégie canadienne doit viser un équilibre entre la coopération et la défense de ses propres intérêts, tout en anticipant les exigences américaines, que ce soit sous Trump ou Harris, pour éviter de se retrouver «dehors».