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Dany Provost

Gros bon sens

Dany Provost

Expert(e) invité(e)

Des aberrations dans les règles de pensions alimentaires et des allocations familiales (partie 3)

Dany Provost|Mis à jour le 15 novembre 2024

Des aberrations dans les règles de pensions alimentaires et des allocations familiales (partie 3)

La fiscalité n'est pas adaptée aux nouvelles réalités des parents séparés et des familles recomposées. (Photo: 123RF)

Dans une série de trois textes, notre collaborateur se penche sur les aberrations dans les règles de pensions alimentaires, de l’allocation famille au Québec et de l’allocation canadienne pour enfants. Après «Des aberrations dans les règles de pensions alimentaires et des allocations familiales (partie 1)» et «Des failles dans le calcul des pensions alimentaires peuvent vous coûter une fortune (partie 2)», il analyse, pour ce dernier texte, les incohérences du calcul des allocations familiales.

EXPERT INVITÉ. Lors de mes deux dernières chroniques, j’ai abordé la question d’aberrations dans le calcul des pensions alimentaires pour les enfants. Nous avons notamment vu un exemple où il était possible qu’une seule journée de garde dans l’année puisse coûter jusqu’à 4000$ de pension à un parent en faveur de l’autre.

Mais les pensions alimentaires ne sont pas le seul domaine où des aberrations sont présentes lors de la séparation de parents.

La fiscalité ne laisse pas sa place en matière de non-sens et de règles aberrantes.

Et quand on combine les deux (pensions alimentaires et fiscalité), on a un très beau cocktail…

Comment les règles fiscales sont-elles déconnectées de la réalité?

L’une des raisons est qu’elles sont simplement archaïques. On peut leur créditer une certaine logique qui pouvait s’appliquer jusqu’aux trois premiers quarts du XXe siècle. Mais ça fait quand même 50 ans qu’on est ailleurs. En effet, si autrefois, la garde était généralement assumée par un seul parent, la mère en grande majorité du temps, une grande diversité d’ententes de garde existe aujourd’hui.

La diversité est partout.

Et comme les séparations arrivent désormais de plus en plus tôt dans la vie des enfants, de nombreux parents recevront pendant plusieurs années des allocations provinciales et fédérales. De plus, ces allocations ayant été fortement bonifiées à plusieurs reprises au fils des années, les hypothèses utilisées dans les calculs entraînent des conséquences financières importantes.

Quand des parents se séparent, les règles actuelles de calcul des allocations se basent notamment sur les trois hypothèses suivantes qui m’apparaissent pour le moins questionnables:

  1. Le fait qu’un parent assume une garde de moins de 40% du temps signifie qu’il n’engage aucune dépense pour ses enfants.
  2. Au fédéral, le fait qu’un parent paie une pension alimentaire implique qu’il n’assume aucune proportion du temps de garde et donc, qu’il ne paie aucune dépense directement pour ses enfants.
  3. Si un nouveau conjoint arrive dans le décor, il paie les dépenses de ses beaux-enfants comme s’il s’agissait de ses propres enfants.

Vous voyez les injustices que ça peut créer ?

Prenons ces hypothèses une par une.

Le fait qu’un parent assume une garde de moins de 40% du temps signifie qu’il n’engage aucune dépense pour ses enfants

Cela implique qu’un parent qui a la garde de ses enfants moins de 40% du temps (145 jours ou moins par année), n’a droit à aucune allocation pour ses enfants, tant au fédéral qu’au Québec.

Encore une fois, comme pour les pensions alimentaires, une seule journée de plus peut donner des milliers de dollars à un parent, au détriment de l’autre.

En franchissant le cap de 40% à 146 jours, il recevra la moitié de l’allocation à laquelle il aurait droit s’il avait une garde à temps plein.

De même, à l’autre point «pivot» de 60%, une seule journée (de 219 à 220 jours) lui fait gagner des milliers de dollars en lui accordant le plein montant des allocations, et ce encore une fois au détriment de l’autre parent qui disparaît simplement du portrait en tombant sous la barre des 40%.

Quand des mesures fiscales appliquent des paliers, cela cause souvent des problèmes.

Au fédéral, le fait qu’un parent paie une pension alimentaire implique qu’il n’assume aucune proportion du temps de garde et donc, qu’il ne paie aucune dépense directement pour ses enfants.

Cela signifie que, si ce parent n’a pas de conjoint et qu’il paie une pension à l’autre parent, aussi minime soit-elle, il perd un crédit d’impôt important. Près de 2000$ d’impôt additionnel.

Cette règle découle d’une présomption du gouvernement fédéral selon laquelle il ne serait pas possible qu’un parent paie une pension alimentaire et assume une partie du temps de garde, ce qui est pourtant prévu au modèle québécois de fixation des pensions alimentaires…

Vive la cohérence!

Si un nouveau conjoint arrive dans le décor, il paie les dépenses de ses beaux-enfants comme s’il s’agissait de ses propres enfants

La plus grande aberration est ici. Cela crée toujours des distorsions et des injustices. Il est vrai que, dans le temps de nos grands-mères, lorsqu’une femme monoparentale, habituellement veuve ou abandonnée par son mari, se « remettait en ménage » avec un nouveau conjoint, celui-ci, souvent le seul soutien financier de la famille, prenait tout le monde sous son aile.

Aujourd’hui, ce n’est plus comme ça que ça se passe. Les nouveaux conjoints de parents séparés peuvent contribuer, dans une certaine mesure, aux besoins de leurs beaux-enfants, mais ce n’est pas la norme qu’ils paient sans faire de distinction avec leurs propres enfants.

Le pattern courant est qu’un parent qui a, au minimum, une garde partagée se retrouve monoparental et ses allocations sont généralement augmentées parce que seul son revenu est considéré.

Lorsqu’il se trouve un nouveau conjoint, les revenus de ce dernier sont pris en compte et les allocations sont recalculées à la baisse, même si le conjoint ne paie rien pour les enfants.

En fait, ce sont les deux parents qui devraient être financièrement responsables des enfants. Pas un parent avec son nouveau conjoint, alors que l’autre parent est jeté hors du décor!

Vraiment, une refonte financière et fiscale de tout ce qui touche les séparations est due.

Il y a tellement d’injustices et d’aberrations en matière de séparation et de recomposition familiale! Si ce n’est pas clair pour vous, je vous conseille de lire les excellents ouvrages Le Québec, un paradis pour les familles ?, de Luc Godbout et Suzie St-Cerny, et La facture amoureuse, de Pierre-Yves McSween et Paul-Antoine Jetté.

Ça devrait vous éclairer.

À suivre…