Des coupes arbitraires pour contrer une impasse financière
Jean-Paul Gagné|Édition de la mi‑septembre 2024En 2022‑2023, le MES n’a autorisé que 18 des 54 demandes d’interventions urgentes et imprévisibles présentées par les cégeps. (Photo: 123RF)
CHRONIQUE. « J’ai le plaisir de vous informer que… » C’est par cette phrase ironique que la ministre de l’Enseignement supérieur (MES), Pascale Déry, a annoncé aux cégeps et aux universités le 31 juillet dernier que les allocations budgétaires qui leur avaient été attribuées au printemps pour leurs investissements courants et l’entretien de leurs immeubles étaient amputées.
Ces coupes seraient de 40 % à 60 % dans la plupart des cégeps. C’est 70 % pour le cégep de l’Abitibi-Témiscamingue et du même ordre pour l’Université de Sherbrooke. Dans le réseau de l’Université du Québec (UQ), les coupes varient de 30 % à 80 %. Ses universités constituantes ne réaliseraient que le tiers de leurs projets, soit une valeur d’environ 35 millions de dollars (M $), si rien ne change. Or, des sommes supplémentaires de 50 M $ ont été engagées avant la tombée du couperet. L’éducation n’était-elle pas la grande priorité de François Legault ?
Pour camoufler l’urgence de couper dans des allocations déjà autorisées, la lettre fait état d’une nouvelle norme sur les paiements de transfert. Pourquoi maintenant ? Le MES connaissait déjà cette norme lorsqu’il a autorisé les budgets de dépenses pour les exercices en cours, qui se termineront le 30 avril pour les entités de l’UQ et le 30 juin pour les cégeps.
La période de compression budgétaire visée coïncide avec l’exercice financier du gouvernement, qui se terminera le 31 mars 2025. Cette échéance indique la volonté de Québec de s’assurer de ne pas dépasser son déficit record de 11 milliards de dollars (G $) pour l’exercice en cours. Craindrait-il pour la notation de crédit du gouvernement ?
Dans les ministères, on commence à restreindre l’embauche, le temps supplémentaire, les déplacements et la sous-traitance. En francisation, on a coupé 16 classes sur 19 au centre de services scolaire des Mille-Îles. En éducation, les écoles primaires et secondaires sont en attente de savoir ce qui leur sera demandé. On ne sait rien non plus de l’effort qui sera exigé des ministères. Le ministre des Finances, Eric Girard, demande une compression de 1 G $ aux entreprises du gouvernement d’ici 2028‑2029, mais rien ne semble enclenché.
Répercussion sévère sur les cégeps
Les coupes exigées des cégeps surviennent quelques mois après que la vérificatrice générale (VG) a révélé que 65 % de leurs infrastructures étaient en mauvais état, comparativement à 24 % en 2019. Leur dégradation est très rapide et rien n’indique un redressement, Québec ayant réduit de 37 % en 2023‑2024 les sommes destinées à leur entretien. Pire, Québec exige maintenant d’autoriser lui-même les réparations urgentes et imprévisibles même si les cégeps ont des fonds pour les payer.
Autre preuve de cette centralisation, les coupes imposées aux cégeps et aux universités ont été décidées par le ministère sans aucune consultation avec les établissements. Cette opacité est en porte-à-faux avec une déclaration récente de Pascale Déry, selon qui « ce sont les cégeps qui priorisent leurs projets ».
Des faits montrent une autre réalité. En 2022‑2023, le MES n’a autorisé que 18 des 54 demandes d’interventions urgentes et imprévisibles présentées par les cégeps. Par exemple, il a refusé un projet immobilier relatif à une infiltration d’eau et des moisissures (14e priorité dans la catégorie des interventions urgentes et imprévisibles), mais il a accepté un projet de climatisation classé au 43e rang des priorités.
La soi-disant grande autonomie des cégeps est contredite par la VG, qui affirme que le MES omet les priorités locales et n’évalue pas certains risques, telle l’interruption de services. La VG mentionne aussi que 16 des 28 projets retenus par le MES en 2022‑2023 n’étaient pas ceux qui avaient reçu la meilleure note, et ce, sans explication présente au dossier.
Des décisions sont inexplicables. Alors que l’on a refusé au Cégep de Chicoutimi d’acquérir un hangar pour abriter cinq aéronefs que le MES lui avait permis d’acheter pour son école de pilotage, on a autorisé un agrandissement du cégep de Saint-Félicien, qui était en surplus d’espace de 23 %. Autre aberration, on a refusé au Cégep de La Pocatière d’investir pour empêcher la fermeture d’une résidence d’étudiants en mauvais état (deuxième priorité d’une liste de cinq), mais on l’a autorisé à acquérir un immeuble à Montmagny (cinquième priorité). Par ailleurs, la piscine du même cégep a été fermée, faute de financement pour la réparer.
Les coupes de l’État auront des répercussions durables. Puisque les établissements n’auront en principe plus d’argent pour planifier des projets d’investissement, que des plans et devis seront retardés, que les attributions de contrats seront reportées, plusieurs projets ne pourront pas être réalisés avant quelques années. Et comme ils coûteront plus cher, on en fera moins. Le cercle vicieux de la dégradation s’accélérera. La capacité de réalisation de la mission des établissements sera menacée.
Crise financière
L’intervention radicale du MES dans les budgets des universités et des cégeps et les coupes imposées dans d’autres sphères du gouvernement s’explique probablement par les contraintes financières de celui-ci.
Pour juguler son déficit de 11 G $, Eric Girard a annoncé que le gouvernement allait faire « une révision de l’ensemble de ses dépenses ». Alors que l’on devrait s’attendre à un examen des programmes de l’État, ce sont plutôt des coupes arbitraires dans des allocations déjà autorisées qui sont exigées.
De son côté, la ministre Pascale Déry soutient que « les sommes sont là, elles ne bougent pas », comme si rien n’a changé dans les engagements du gouvernement envers les établissements. Cela n’est pas faux, mais leur utilisation est bloquée par l’État. Soutenant que « l’on ne peut pas tout faire en même temps », elle soutient que l’effort demandé est « une question de saine gestion des finances publiques ».
On peut s’attendre à ce que les dirigeants des cégeps et des universités continuent de défendre leurs projets d’investissement et résistent farouchement à la mise en péril de la mission de leur institution. Il serait trop bête en effet de faire payer à leurs étudiants le trou financier que le gouvernement a creusé par des baisses d’impôt injustifiées et des chèques électoralistes.
L’auteur de ce texte est un ex-administrateur d’un cégep.
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