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Dany Provost

Gros bon sens

Dany Provost

Expert(e) invité(e)

Des failles dans le calcul des pensions alimentaires peuvent vous coûter une fortune

Dany Provost|Mis à jour hier à 14h17

Des failles dans le calcul des pensions alimentaires peuvent vous coûter une fortune

Des incohérences dans le calcul des pensions alimentaires peuvent coûter une fortune à certains parents. (Photo: Adobe Stock)

Dans une série de trois textes, notre collaborateur se penchera sur les aberrations dans les règles de pensions alimentaires, de l’Allocation famille au Québec et de l’allocation canadienne pour enfants. Après «Des aberrations dans les règles de pensions alimentaires et des allocations familiales (partie 1)», il analyse les incohérences du calcul des pensions alimentaires.

Une première version de ce texte a été publiée le 8 novembre 2024. Nous étions dans l’attente de réponses à plusieurs demandes effectuées auprès du ministère de la Justice. Ce dernier a répondu aux interrogations, modifiant ainsi plusieurs parties du texte. Voici la version la plus à jour.

EXPERT INVITÉ. Récemment, j’étais dans la mise à jour de mon livre As-tu réglé ça?, qui sortira en janvier prochain, dans une section où je parle de pensions alimentaires. Dans cette mise à jour, j’ai décidé de présenter les grands principes des calculs qui sont intemporels, plutôt que de mettre à jour un cas détaillé selon les paramètres de 2024.

Après m’être creusé la tête pour essayer de comprendre ce qui causait les résultats étonnants de certains scénarios de changement de garde, j’ai dû me rendre à l’évidence…

Des discontinuités dans les calculs peuvent créer d’importantes injustices entre les parents, surtout si l’un deux connait beaucoup mieux le modèle de fixation que l’autre et décide d’en tirer un avantage.  

La semaine dernière, j’ai vous ai présenté deux situations qui pouvaient être discutables en matière de politique.

Cette semaine, je continue avec l’analyse de la différence entre une garde exclusive et partagée. Le problème peut être majeur pour certains parents dont le temps de garde se situe autour de 40% (ou 60%).

Faisons un petit pas en arrière et reprenons notre exemple de la semaine dernière.

Guillaume, le père, gagne 151 835$ par année et Jasmine, la mère, gagne 59 335$. Ils ont eu deux enfants et ils sont maintenant séparés. Les besoins des enfants, à ce palier de revenu, sont d’environ 20 000$ par année selon la table de fixation de la contribution alimentaire de base de 2024.

Le partage de la contribution de 20 000$ se fait donc à raison de 3/4 pour Guillaume (15 000$) et 1/4 pour Jasmine (5000$) à cause de leurs revenus respectifs.

Si Guillaume a la garde des enfants pendant 146 jours par année (40%), il est considéré en «garde partagée» et, selon le modèle, il contribue aux dépenses à raison de 8000$ (40% de 20 000). Comme il doit plutôt contribuer à la hauteur de 15 000$, la différence de 7000$ est versée à Jasmine sous forme de pension alimentaire.

Entre 147 et 219 jours de garde par année (de 40% à 60%), chaque jour de garde additionnel génère une réduction moyenne de quelque 55$ par année de pension. Cela donne une pension de 3000$ à 219 jours. Cette réduction de pension est compensée par le fait qu’on reconnaît à Guillaume, autant de dépenses supplémentaires. Sa contribution de 15 000$ est donc maintenue.

À ce moment, retenez ceci: à 146 jours de garde, la pension que Guillaume doit verser est de 7000$ par année et on lui reconnaît 8000$ de dépenses pour une contribution totale de 15 000$.

Une journée de garde catastrophique

Si le nombre de jours de garde de Guillaume était plutôt de 145 par année (une seule journée de moins), à combien s’élèverait sa pension?

54$ de plus?

Non.

504$ de plus?

Non plus.

Vous êtes bien assis?

5046$ de plus par année!

Mais attention. Avant de s’alarmer, on doit faire des calculs.

En effet, cette journée de différence fait en sorte que Guillaume passe de 8000$ de dépenses reconnues (40% de 20 000), aux simples dépenses engagées directement à la suite de ses droits de visite et de sortie, car il n’est plus en «garde partagée». Cette différence doit être considérée, car elle le libère d’un certain fardeau.

À 145 jours de garde, sa pension augmente ainsi de 5000$ (à 12 000$), mais les dépenses qu’il était tenu de faire avec une garde partagée sont réduites à zéro, ce qui lui fait théoriquement sauver 8000$. La méthode lui reconnaît toutefois 3000$ de dépenses à cause de son temps de garde. Cela signifie qu’au net, le montant des dépenses reconnues est de 5000$ de moins (8000 – 3000) et sa pension augmente de 5000$ pour compenser cette réduction.

En fin de compte, il contribue donc aux dépenses des enfants à la hauteur de 15 000$ (12 000$ de pension et 3000$ de dépenses reconnues).

C’est la «logique» de la méthode.

Mais, même si le principe semble bon, c’est ici que des injustices peuvent survenir.

Afin d’avoir une image claire de la répartition des besoins des enfants entre les parents, j’ai produit un graphique pour toutes les possibilités de temps de garde pour Guillaume, de 0 à 365 jours.

À noter que dans une première version de ce texte, je n’avais indiqué que les montants de pension (couleurs foncées), ce qui donnait un portrait moins complet.

Sur les besoins de 20 000$, on voit donc que Guillaume contribue toujours pour 15 000$ (en bleu) et Jasmine pour 5000$ (en rose). Une partie de cette contribution est faite sous forme de dépenses reconnues (en pâle) et de pension (en foncé).

Tout semble cohérent à première vue.

Mais qu’en est-il de ces discontinuités à 146 et 220 jours? Faisons un exemple pour voir en voir les impacts.

Prenons l’hypothèse que les besoins de 20 000$ sont ventilés ainsi :

  • Dépenses fixes
    • 6000$ pour le logement
    • 1000$ pour les cadeaux
  • Dépenses proportionnelles au temps de garde
    • 8000$ pour l’alimentation
    • 2500$ pour les sorties et autres activités
  • Dépenses autres
    • 2500$ pour les vêtements, le matériel scolaire et les autres dépenses ponctuelles

Total = 20 000$.

Évidemment, la ventilation est unique à chaque cas, mais l’idée, ici, est d’illustrer une situation « possible » et cohérente avec le modèle.

Mais regardons-le de plus près en considérant les dépenses suivantes pour Guillaume:

  • Dépenses fixes (40% pour les besoins de l’exemple, mais probablement plus près de 50% en réalité)
    • 2400$ pour le logement
    • 400$ pour les cadeaux
  • Dépenses proportionnelles à son temps de garde (40%)
    • 3200$ pour l’alimentation
    • 1000$ pour les sorties et autres activités
  • Dépenses autres (40%)
    • 1000$

Total = 8000$.

Guillaume dépense donc, dans les faits, 8000$ pour ses enfants, soit le montant que le modèle considère en garde partagée (40% de 20 000). Comparons maintenant les situations de 145 et 146 jours de garde pour son cas.

À 146 jours, en garde partagée, l’argent qui sort réellement de ses poches est donc de 15 000$, soit les 8000$ qu’il dépense auxquels on rajoute la pension de 7000$.

Tout balance jusqu’ici. Il contribue pour 15 000$.

Mais…

À 145 jours, la situation de Guillaume est cependant la suivante.

  • 12 000$ de pension, selon le modèle
  • 2400$ pour le logement
  • 400$ pour les cadeaux
  • 3200$ pour l’alimentation
  • 1000$ pour les sorties et autres activités
  • 0$ pour les autres dépenses, car elles sont assumées par Jasmine

Total = 19 000$, 4000$ de plus!

Ça fait une journée de garde qui coûte cher!

Cette différence est surtout due à l’augmentation de la pension. En effet, le fait de le libérer théoriquement du paiement de 40% des dépenses (8000$) ne s’applique pas sur la totalité de ces dernières, il ne s’applique que sur le montant des autres dépenses de 2500$.

Pourquoi?

Parce qu’il n’a pas le choix de payer son logement, les cadeaux, l’alimentation et les autres activités. À 145 ou à 146 jours, ces dépenses sont les mêmes… et les dépenses de logement et des cadeaux seraient les mêmes aussi à seulement 10% de temps de garde…

À 145 jours, le modèle ne lui accorde que 3000$ pour l’ensemble de ces dépenses qui sont en réalité, dans notre exemple, de 7000$ (et qui pourraient être plus élevées). Ces 4000$ d’écart constituent une faille importante du modèle.

Et le problème est symétrique. À l’autre bout du spectre (le passage à plus de 60% crée les mêmes distorsions, mais dans une moindre mesure parce que la contribution de Jasmine est de 25% au lieu de 75%).

En fait, la situation est unique pour chaque cas. Mais ce qu’il faut retenir, c’est que le montant des dépenses reconnues à 145 jours (ou 292 jours) pour le parent non-gardien peut être loin de la réalité. Ce montant est égal à 20% des besoins, multiplié par la proportion de la contribution du parent. Pour Guillaume, ses dépenses reconnues sont donc de 75% de 4000$ (20% de 20 000), soit 3000$.

Assez arbitraire…

Combien de parents ont payé des milliers de dollars de trop (à l’ex-conjoint) pendant plusieurs années?

Un professeur de droit m’a déjà dit que 90% des lois étaient du «gros bon sens».

Pas certain ici…

Si chaque parent payait simplement une pension proportionnelle à ses jours de garde, on aurait une belle ligne droite descendante qui, dans notre cas, commencerait à 15 000$ de pension à payer pour Guillaume et se terminerait par une pension de 5000$ qu’il recevrait de Jasmine.

On n’aurait pas non plus cette discussion voulant qu’un parent qui a un temps de garde de 20% est injustement traité par rapport à celui qui ne voit jamais ses enfants et qui ne paie rien. Il existe des dépenses à 20% de temps de garde (notamment pour le logement comme dans notre exemple) et ces dépenses ne sont pas reconnues.

Parce qu’on a voulu simplifier l’administration, à mon avis, on a commis une erreur dans le modèle des pensions alimentaires en instaurant des paliers. Le ministère aurait dû voir ces failles depuis longtemps.

Y a-t-il des personnes qui ont sciemment floué leur conjoint, moins averti, en faisant des simulations avec ce modèle discutable?

Je ne sais pas…

Mais je ne voudrais pas être dans la peau de Jasmine ou de Guillaume, qui se réveille aujourd’hui après avoir payé pendant 20 ans et négocié une entente où un des deux avait la garde de ses enfants toutes les fins de semaine plus un mois de vacances l’été et une semaine à Noël.

En ayant négocié un nombre de jours de garde différent de seulement 5 jours par année, la pension aurait pu différer jusqu’à plus de 80 000$.

Un détail…

Cher ministère, ma porte est grand ouverte.