Entreprendre autrement: quand la différence devient force!
Kim Auclair|Mis à jour le 16 octobre 2024«c’est en acceptant ma surdité que j’ai vraiment pris conscience de ma débrouillardise, de mes forces.» (Photo: 123RF)
EXPERTE INVITÉE. En 2011, j’ai eu la chance de faire partie des premiers experts invités pour Les Affaires. C’est Géraldine Martin qui m’avait remarquée. À l’époque, j’étais très active sur les réseaux sociaux, principalement sur tout ce qui touchait à l’entrepreneuriat.
J’ai toujours été dans l’univers des communications, mais peu de gens savaient que je suis sourde.
Ma surdité est de sévère à profonde: je n’entends pas de l’oreille gauche et, depuis 2019, je porte un implant cochléaire à droite. Avant cela, j’avais un appareil auditif de ce côté.
Pendant longtemps, j’ai caché ma surdité, par peur d’être jugée ou de manquer des occasions favorables.
Je suis une personne qui s’adapte facilement aux autres. En groupe, j’observe et je me fonds dans la foule, espérant que mes compétences se remarquent sans que les gens se concentrent sur mes défis.
Mon parcours professionnel a été difficile, et j’ai souvent eu l’impression de devoir travailler deux fois plus dur pour arriver là où je suis aujourd’hui.
C’est après un épuisement professionnel en 2018 que j’ai décidé d’accepter et de parler ouvertement de ma différence.
J’ai réalisé que faire preuve d’ouverture n’est pas une faiblesse, mais une force.
J’aime dire que ça nous permet de créer des liens profonds avec ceux qui partagent nos valeurs et d’ouvrir des portes sur des circonstances inattendues. C’est ce que j’appelle: tracer son propre chemin à son rythme et voir les possibilités là où d’autres ne les voient pas.
Pourquoi avoir choisi l’entrepreneuriat?
Pour être honnête, cela s’est fait naturellement et avec un peu de naïveté.
Mais j’ai compris ce choix au fur et à mesure que j’avançais dans le monde professionnel.
Il y a plus de 20 ans, dès le début de ma recherche d’emploi en communications, j’ai ressenti des préjugés. Je n’osais pas mentionner ma surdité sur mon C.V., par peur que cela empêche les employeurs de m’inviter en entrevue.
Une fois face à eux, je percevais souvent un malaise, surtout quand je parlais des défis liés à ma surdité. En plus, je manquais d’expérience et mes résultats scolaires n’étaient pas à la hauteur. Au fond, rien ne semblait suffisant pour que quelqu’un me donne ma chance.
(Je dois préciser que j’ai toujours été intégrée dans des classes ordinaires. Je refusais les aides proposées qui étaient adaptées à mes réalités. Tout ça pour ne pas me sentir différente.)
Tout a changé lorsque j’ai pris conscience que le Web pouvait être ma deuxième porte d’entrée sur le marché du travail.
C’est le Web qui m’a permis de transformer mes défis en atouts, me donnant la liberté de créer ma propre voix et de me démarquer dans mon secteur d’activité.
C’est en lançant mon blogue pour partager mes réflexions sur l’entrepreneuriat et la communication Web que j’ai réussi à attirer mes premiers clients.
C’est grâce à mon implication avec Les Affaires et ma forte présence sur les réseaux sociaux que des entreprises m’ont mandatée pour écrire des articles sur leur blogue lié à l’entrepreneuriat. À faire des conférences et des formations. J’ai même animé une émission de radio pendant près de trois ans en plus d’être invitée dans divers médias pour partager mon parcours et sensibiliser sur les réalités des personnes en situation de handicap. J’ai aussi écrit un livre en 2017 qui résumait mes 10 premières années en affaires. Chaque jour était une leçon, une façon de prouver ma valeur autrement.
Mais c’est en acceptant ma surdité que j’ai vraiment pris conscience de ma débrouillardise.
Mon opération pour l’implant cochléaire a été un tournant. Ça m’a permis de ralentir mon entreprise, de réapprendre à entendre et à me connaître au-delà de la femme d’affaires que j’étais devenue. C’était comme découvrir une partie de moi que j’avais laissée de côté.
En parlant ouvertement de ma différence, j’ai découvert un nouveau réseau de personnes partageant des expériences similaires. Ça m’a montré que je n’étais pas seule dans ce combat. Ça m’a permis aussi de mettre des mots sur ce que je vivais et de réaliser que nous formions une communauté soudée.
Mais ça m’a aussi confrontée à la réalité des préjugés qui persistent dans le monde professionnel, ce qui m’a poussée à me battre pour plus d’inclusion et de reconnaissance. Notamment en acceptant d’animer et co-réaliser le balado Capable – Entreprendre sans limites, en collaboration avec l’Office des personnes handicapées du Québec. Ce projet montre que l’entrepreneuriat est une voie possible pour ceux qui n’ont pas trouvé leur place sur le marché traditionnel et inspire d’autres à suivre cette voie.
Ces personnes, avec un handicap (visible ou invisible), ont choisi l’entrepreneuriat non seulement pour contourner les obstacles du marché du travail, mais aussi pour faire leur place dans la société et combler leur besoin de créer et de se réaliser.
Ces gens, qu’ils soient artistes, conférenciers, travailleurs autonomes ou propriétaires de petites entreprises, transforment leurs défis en moteurs de réussite.
Comme moi, ils ne se sentent pas handicapés; c’est la société qui leur rappelle leurs défis au quotidien.
Encore aujourd’hui, les préjugés sont présents
Il y a quelques jours, une personne m’a dit: «Kim, j’attends des nouvelles d’un employeur depuis un mois, mais il revient toujours sur mon handicap au lieu de parler de mes compétences.»
Ça, c’est dans le milieu du travail. Mais quand on parle d’entrepreneuriat, c’est la même chose.
Je connais des entrepreneurs aveugles qui ont approché des bailleurs de fonds pour agrandir leur environnement de travail. Ces derniers étaient hésitants, et les réponses étaient souvent évasives, comme si leurs capacités étaient remises en question. Ils ont finalement trouvé un investisseur important, mais surtout grâce à la visibilité médiatique de leur histoire.
Revenir pour sensibiliser
En revenant écrire pour Les Affaires, j’ai envie de montrer que concilier entrepreneuriat et handicap est non seulement possible, mais aussi porteur d’innovation. En partageant plus d’exemples de débrouillardise et d’actions concrètes que vous pouvez poser, j’espère contribuer à normaliser le handicap dans nos vies professionnelles.
À très bientôt!