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Pascal Lépine

Entrepreneur nouveau genre

Pascal Lépine

Expert(e) invité(e)

Entreprendre pour redonner à la communauté

Pascal Lépine|Publié le 25 septembre 2024

Entreprendre pour redonner à la communauté

Yamlal, fondateur de Data Next Step (Photo: courtoisie)

EXPERT INVITÉ. Il était une fois un père de famille népalais qui immigre au Canada, en quête d’une plus grande qualité de vie pour sa famille. Il cumule les emplois et travaille comme un forcené dans l’espoir d’arriver un jour à rapatrier sa famille et de lui offrir une meilleure vie. Car lui seul a obtenu le droit d’immigrer pour l’instant. Le déchirement est grand et la distance, incommensurable. Le contact se maintient de peine et de misère, à coups de télécommunications intermittentes à partir du village voisin où les siens doivent se rendre en taxi pour échanger au téléphone, faute d’en avoir un chez eux. 


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Au bout de cinq ans, la famille est finalement réunie au grand complet au Québec. Yamlal a alors 12 ans et emprunte la voie défrichée par son paternel vers l’objectif suprême: accéder à une meilleure éducation, à une meilleure carrière, à une meilleure vie.

En digne fils d’immigrant qui a consenti tous les efforts pour permettre tous les espoirs aux générations après lui, Yamlal ne déçoit pas. Il décroche donc une technique, un bac en ingénierie, des stages et des emplois dans de grandes entreprises, et même un emploi de rêve pour une multinationale… Et pourtant, il abandonnera tout pour lancer sa propre entreprise de sécurité informatique.

Pourquoi échanger une situation professionnelle enviable et stable contre les aléas et défis de l’entrepreneuriat?

C’est une évidence

Ce que j’ai omis de vous dire, c’est que, tout au long de son parcours, Yamlal s’est engagé comme pas un dans tous ses milieux de vie, que ce soit auprès de la communauté étudiante ou auprès de sa famille. Non pas par obligation, mais par évidence. L’engagement est aussi évident pour lui que le ciel est bleu! «On s’entraide, on ne se laisse pas tomber. C’est la famille», m’a-t-il lancé le plus naturellement du monde.

C’est que, pour Yamlal, ne pas être là pleinement pour les siens, ce serait comme de se soustraire à lui-même tellement la communauté est un prolongement de son être. On comprend que le sens de la famille et de la communauté coule dans ses veines.

Et voilà pourquoi il est entrepreneur: il s’agit d’un chemin pour aider sa communauté d’origine autant que sa communauté d’adoption. Fidèle à ses valeurs profondes et fort d’un sentiment d’appartenance prégnant envers son pays d’origine, Yamlal utilise son entreprise non pas pour s’enrichir personnellement, mais pour embaucher autant des gens d’ici que des travailleurs domiciliés au Népal.

OK, je vous entends déjà dire que l’outsourcing n’est pas tant une mesure pour soutenir des populations moins favorisées à l’international qu’une stratégie pour réduire les frais d’exploitation d’une compagnie. Si, dans bien des cas de figure, vous avez raison, le fondateur et propriétaire de Data Next Step y va d’un discours autre — qu’on sent empreint de franchise — quant à ses motivations à lui: «Je veux contribuer à offrir de meilleures conditions de vie à des gens de mon pays d’origine pour qu’ils n’aient pas à vivre un parcours d’immigration comme celui de mon père. Le déracinement, l’éloignement, le recommencement, on n’est pas obligé de passer par là.» Éventuellement, il espère élargir cette aide à d’autres pays.

Ainsi, Data Next Step offre aux travailleuses et travailleurs népalais des conditions bien supérieures à celles qui sont leur lot habituel. Aussi Yamlal prend-il le temps de rencontrer chaque talent pressenti, qu’il habite tout près ou plus loin, pour vérifier qu’il y a adéquation entre les valeurs de l’entreprise, celles de ses clients, et celles des éventuels employés et employées. Il tient à établir un contact sincère et une relation de confiance, donnant-donnant, avec les gens sur qui repose, ultimement, le succès de son entreprise.

Parce que ce succès équivaudra à toujours plus d’aide à distribuer dans les communautés.

La rentabilité d’abord, la générosité ensuite

Data Next Step n’a pas toujours été profitable. La mission est pourtant pertinente et l’expertise, en demande: l’entreprise veut rendre accessibles aux PME des services nécessaires en cybersécurité qui soient de la même qualité que ceux dont disposent les multinationales. Or, par le passé, Yamlal a tellement voulu aider avec un grand A qu’il en a oublié d’assurer la viabilité de ses stratégies d’affaires — ou d’en élaborer! Par exemple, il fut un temps où Data Next Step offrait gracieusement ses services à toujours plus d’OBNL. Un ami lui a même déjà lancé qu’il n’était pas «en train de faire rouler une business, mais une œuvre de charité!»

Considérant la cause noble, la PME dépensait sans compter… et les chiffres ne s’additionnaient pas dans les états financiers. Les temps étaient durs, mais «la conviction de faire des affaires pour les bonnes raisons, pour aider» rappelait au chef d’entreprise le bien-fondé de sa démarche et l’importance de persévérer. «C’est pour ça que je fais ce que je fais dans la vie.»

Pour éviter le marasme, Data Next Step a revu ses stratégies philanthropiques. En plus d’offrir de meilleures conditions de travail à des Népalais et Népalaises, elle offre toujours ses services de sécurité informatique à peu de frais à des organismes aux moyens plus limités, mais suivant un nombre prédéfini de dossiers pro bono.

Yamlal a bien appris sa leçon: la générosité de l’homme derrière la PME ne peut ni ne doit avoir le dessus sur la planification et la rentabilité de la PME.

Ça peut sembler une évidence pour un entrepreneur «classique», mais Yamlal ne tombe pas dans cette catégorie.

Heureusement pour l’humanité.